Publié : sam. 10 févr. 2007, 23:15
Et la deuxième partie !! j'espère qu'elle est bien. Je me suis volontairement attardée sur Arashi pour construire un parallèle avec Kakashi.
Chapitre XI
2ème partie
Embusqué à quelques mètres à peine des palissades de Kiri, Arashi ferma les yeux. Pourvu que tout se passe bien du côté de Kakashi. Lorsqu’il avait entendu que l’équipe d’Okara était sélectionnée, il n’avait pas été surpris – le capitaine était certainement un des meilleurs de toute la section – mais il en avait voulu à son ami d’entraîner le garçon dans une mission aussi dangereuse. Okara savait pertinemment qu’il y avait de très grandes chances pour que nul ne revienne vivant d’Aoi Shinju ; il avait malgré tout décidé d’y emmener Kakashi. Certes, le garçon était sous son autorité directe mais il n’était pas encore tout à fait remis de sa mésaventure et cela pourrait s’avérer un handicap, non seulement pour la victoire mais pour Okara lui-même : car quoi qu’il en dise, Arashi était certain qu’il s’était attaché à Kakashi. Malheureusement, en dépit de tout ce qu’il avait pu lui dire, le capitaine ANBU n’avait pas cédé et s’était au contraire mis en colère.
Arashi posa sa main sur l’épaule d’Okara tandis que les autres officiers quittaient la pièce.
- Kôji, je voudrais que tu me rendes un service.
L’autre se retourna. Sous son masque, un demi-sourire à la fois amusé et las se dessina car il ne savait que trop ce qu’allait être l’objet de la demande.
- Tu veux que je veille sur Kakashi pendant la mission.
Ce n’était pas une question. Arashi hocha la tête. Okara soupira.
- Je crois qu’il est temps de mettre les choses au clair une bonne fois pour toutes, Arashi : je ne suis pas comme toi. Je ne suis pas Jounin et Kakashi n’est pas un enfant sous ma responsabilité. Protéger mes hommes ne fait pas partie de mon boulot.
- Mais tu as tout intérêt à ce qu’ils restent en vie, non ? Il est encore fragile, Kôji. Je me sentirais beaucoup plus tranquille si je savais que tu gardes un œil sur lui.
- Tu as si peu confiance en lui ? Tu le crois tellement incapable de se défendre ?
- Mais non, c’est juste que…
- Pourquoi crois-tu que mon équipe a été sélectionnée et que j’ai accepté de participer ? C’est parce que je connais mes ninjas. Je sais de quoi ils sont capables. Crois-moi si je n’avais ne serait-ce qu’une seconde le moindre doute sur leurs capacités à se battre, j’aurais refusé.
Arashi se mordit les lèvres.
- Si tu ne me fais pas confiance, poursuivit Okara, fais au moins confiance à ce gosse.
- Je lui fais confiance. Mais je ne veux pas qu’il lui arrive quelque chose…
- Est-ce que tu es en train de dire que ce n’est pas mon cas ?
- Non, ce n’est pas du tout ce que…
- Tu peux peut-être te permettre d’avoir ce genre de sentiment paternaliste, Arashi, mais il y en a d’autres qui ne peuvent pas. Sa voix s’était distinctement durcie. Je ne peux pas me payer ce luxe, que ce soit avec Kakashi ou un autre. On nous donne une mission, on l’accomplit, c’est tout. Tant mieux si on reste en vie mais le plus important, ça reste la mission. Tu crois que ça m’amuse d’envoyer mes hommes au casse-pipe ? Tu sais ce que c’est que de convaincre des gens de choses en lesquelles tu ne crois pas ?
- Non… je ne fonctionne pas comme ça.
- Eh bien moi c’est mon boulot. Je fais ça tous les jours. Je fais croire aux soldats qu’ils vont survivre, alors que je sais très bien que certains n’en reviendront pas, parce que sinon, ils ne feront pas ce qu’on leur demande. On a un travail à faire. Si je me mets à protéger mes hommes, je compromets la mission et c’est pas ce qu’on attend de moi.
- Je sais tout ça. J’ai été ANBU aussi, je te rappelle.
- Tu l’as été, oui.
Le ton de sa voix laissait planer un sous-entendu qui fit frissonner Arashi. Etait-il donc devenu si différent aux yeux d’Okara ?
- Tu changes, Arashi, reprit l’ANBU comme pour lui confirmer ses pensées. Fais gaffe à pas devenir comme ces vieux bureaucrates qui n’ont plus aucun contact avec le monde réel. Ce serait vraiment dommage.
Arashi soupira. Qu’il le veuille ou non, l’écart entre Okara et lui était en train de se creuser. Le capitaine ANBU le considérait de moins en moins comme un « semblable », comme un homme de terrain, qui se bat et qui côtoie la mort. Qui sait ce que sacrifice veut dire. Peut-être même se sentait-il trahi. Arashi comprenait qu’il réagisse ainsi mais il regrettait. Il n’avait pas quitté l’ANBU et grimpé dans la hiérarchie par dédain. Il voulait pouvoir changer les choses et faire en sortes que les autres ne subissent plus dans la douleur ou la solitude. Or pour changer les choses, il fallait être en haut. Tout ce qu’il avait fait, il l’avait fait pour eux, pour les gens comme Okara. Seulement cela, l’ANBU n’avait pas l’air de le comprendre.
Une main effleura son épaule.
- Arashi-sama…
Le jeune homme cligna des yeux. Un Jounin était apparu sur sa droite.
- Oui ?
- Les éclaireurs emmenés par Yamanaka Inoshi sont de retour.
- Ah, bien. Et alors ?
- Le plan a fonctionné. La palissade de Kiri est dégarnie d’au moins la moitié de ses hommes. Tout le monde est en place. Nous n’attendons plus que votre signal.
- Parfait.
Son visage lisse se durcit.
- Alors finissons-en, murmura-t-il.
Il jeta un regard circulaire autour de lui et vit de multiples éclats argentés briller fugitivement un peu partout. Ils étaient prêts. Alors, lentement, il leva son bras.
Je vais mettre fin à cette guerre une fois pour toutes.
D’un geste vif, il abaissa son bras. Aussitôt, l’orage se déchaîna sur Kiri.
Courir. Bondir. Frapper ici et là, trancher la chair. Faire vite, être précis.
Eviter un jutsu d’eau. Riposte, avance ; anticipe. Réguler son souffle.
Avancer, frapper, tuer encore et encore. Ne pas prêter attention aux camarades qui tombent. Ignorer les cris.
Glisse sur une plaque de verglas, dérape. Concentre du chakra sous les pieds et petit jutsu d’adhérence. Bondit pour éviter un kunaï.
Souffle.
Un enfant qui hurle de terreur.
Ne pas penser, ne pas réfléchir. Tranche une gorge, sectionne un poignet, défonce une cage thoracique. Il a les gants poisseux de sang.
Kakashi virevolte à droite, à gauche, bondit, saute, évite, frappe. Il encaisse, il recule, il riposte, charge, tue, tue et tue encore. Les visages se confondent. Ses oreilles bourdonnent. Il a froid, son ventre lui fait mal. Ne pas s’arrêter, surtout ne pas s’arrêter de bouger. Court. Frappe encore, encore et encore. Tue. Tue tout ce qui l’attaque.
Souffle. Respire.
Un cri tout près. On dirait la voix d’Isane.
Une explosion sur le côté. Il est projeté contre un mur et la douleur l’aveugle un instant. Il n’arrive plus à respirer.
Merde
Se relever. Vite, vite. Il ne faut pas rester à découvert. Bouger, même si ça fait mal. Il n’arrête pas de trembler. L’odeur du sang partout. Il y a tellement de bruit. Il a du mal à voir à cause de la fumée.
Respire. Respire !
Il se relève en pataugeant dans la boue. Son genou droit manque de lâcher. Il se rend compte que son pantalon est déchiré au niveau de la rotule et que le tissu est poisseux de sang. Il se rend compte qu’il a mal. Sa jambe est engourdie.
Merde, merde, merde.
Regarde autour de lui. Tout est flou, tout bouge. Des ombres passent à toute vitesse ; il y a le bruit de l’acier qui heurte l’acier, des cris de douleur et d’agonie, des appels.
Plaque ses mains l’une contre l’autre. Ça va user du chakra mais tant pis. Il a besoin de bouger vite.
Voilà.
Maintenant, bouge. Bouge. Bouge !
Son corps bouge tout seul. Plonge à terre. Un kunaï se plante à l’endroit exact où se trouvait sa tête. Roule sur le côté, debout. Un ninja de Kiri lui fonce dessus, il est rapide. Encaisse, encaisse, encaisse. Recule, évite. Recule, pare. Recule, recule encore. Evite, évite, pare. Encaisse.
La lame est passée près cette fois. Trop près. Si ça continue, il va se faire tuer. A cette pensée, son esprit rugit de fureur. Son estomac se contracte, ses yeux brillent d’une lueur dangereuse. Il ne veut pas mourir. Pas ici. Pas maintenant. Pas de la main de ce type. La colère le submerge. Il se dégage d’un geste brusque, fait demi-tour et se met à courir dans le sens opposé. Son adversaire le suit bêtement. Le garçon accélère, sort un kunaï, fait soudainement volte face et se propulse vers le ninja de Kiri qui pris au dépourvu ne freine pas. Il lui coince la tête entre ses cuisses et frappe. Une fois, deux fois, trois fois. Il enfonce sauvagement sa lame sans se soucier du sang qui gicle sur son masque. Le ninja ennemi s’affaisse. Kakashi se dégage, le souffle rauque. Le gars a beau être mort, il a envie de lui fracasser le crâne à coup de pieds ; il le ferait s’il en avait le temps. Tant pis. Il le fera avec d’autres.
Lance un kunaï presque sans viser. Un cri. Touché. Un sourire carnassier se dessine sur ses lèvres.
A mon tour.
Il sort un parchemin de sa sacoche, le déroule et trace une longe ligne sanglante dessus. Puis il l’agite selon une suite compliquée de gestes avant de le refermer et de le plaquer au sol.
Kuchiyose no jutsu !
Dans un nuage de poussière qui passe inaperçu dans la brume environnante, dix chiens de différentes tailles apparaissent. Du plus petit au plus gros, ils sentent que la situation est particulière. Tous bavent déjà d’impatience. Leurs yeux jaunes luisent férocement. Kakashi frémit d’excitation. L’apparition de sa meute lui procure toujours un grisant sentiment de puissance. Il a l’impression que rien ne peut l’atteindre. C’est lui le prédateur. C’est rare qu’il utilise autant de chiens mais il en a envie. Et il faut bien qu’eux en profitent un peu.
- Amusez-vous, se contente-t-il de dire.
Les chiens ne se le font pas dire deux fois et disparaissent. A peine quelques secondes plus tard, les premiers hurlements se font entendre. Kakashi renverse alors sa tête en arrière et se met à rire. Ce n’est pas un rire joyeux, ni amusé. Il ne sait pas trop pourquoi il rit. Mais ça le soulage, alors il le fait. Il sort un deuxième kunaï et se jette à nouveau dans la bataille. Là-bas. Un bateau intact de Kiri. Il se précipite dessus, emplit ses poumons de chakra.
Katon : Gokakyu no jutsu !
Il crache, crache, crache autant de feu qu’il peut. Au milieu de cet univers de fumée et de grisaille, les flammes font rougeoyer l’eau de la mer comme du sang. Le bateau prend feu. Des silhouettes en sortent en hurlant, le corps enflammé, titubant comme des fantômes. Kakashi éclate de rire. La cruauté n’est pas une marque de fabrique de la Brume ; ils vont vite s’en rendre compte.
Quand les renforts de Konoha arrivèrent enfin quelques heures plus tard, il ne restait presque plus rien d’Aoi Shinju. Juste des ruines encore fumantes, des corps ensanglantés partout, horribles témoins du massacre, et une écoeurante odeur de chair en décomposition. En tête des troupes, Arashi fit silencieusement signe à ses hommes de se déployer pour rechercher des survivants, alliés ou ennemis. Il perçut quelques bruits de lutte mais rien d’alarmant. Les ANBU avaient fait leur travail au-delà de leurs espérances. Pour ce qu’il en voyait, aucun ninja ennemi n’avait survécu. De même pour les civils. Il embrassa la Perle détruite du regard, un goût amer dans la bouche. Ces gens n’avaient rien demandé à personne mais on les avait tués parce qu’ils étaient trop précieux pour la Brume. Arashi retint un soupir las. Cette routine macabre ne le gênait pas d’habitude mais il y avait des moments, comme celui-là, où tous vos meurtres vous revenaient en mémoire, vous faisant vous sentir sale. Oui, sale, c’était le mot. Il fit quelques pas, enjambant les corps avec difficulté tant il y en avait. Nombreux étaient les femmes et les enfants. Il ferma les yeux, se félicitant intérieurement d’avoir quitté les ANBU. Les assassinats faisaient toujours partie de son quotidien mais au moins, rares étaient les cas où le meurtre de civils, et surtout d’enfants, s’avérait nécessaire. Les ANBU eux n’avaient pas le choix. Cette constatation le plongea dans un désarroi qui lui coupa le souffle l’espace d’un instant. Les choses ne changeraient pas. Jamais. Cette part sombre du boulot des shinobis avait toujours existé et elle existerait toujours. Les ANBU auraient toujours le sale travail à faire, on leur demanderait toujours de faire abstraction de leurs sentiments et de leur vie au profit de missions telle que celle-ci. Parce que les ninjas avaient un travail à faire, on ne changerait pas les choses. Une boule se forma dans sa gorge. Il se sentit perdu. Tout ça… tout ça pour rien ? Tout à coup furieux contre lui-même, il poussa un cri de rage et frappa violemment le mur le plus proche qui s’écroula. Ce n’était pas vrai, ça ne pouvait pas être vrai ! Il y avait forcément de l’espoir quelque part, une lueur qui ne demandait qu’à rayonner. Il fallait juste qu’il la trouve.
- Arashi-sama.
Il se retourna. Nara Shikato s’approchait.
- Quoi ? demanda-t-il sèchement.
- Nos hommes ont quadrillé le périmètre, répondit le Jounin sans se laisser démonter par le ton de son supérieur. Rien à signaler. Notre victoire est totale.
Curieusement, cette nouvelle laissa Arashi de marbre.
- Nos pertes ?
- On ne sait pas encore. On compte.
- Où est Shiba ?
- On ne sait pas.
- Comment ça vous ne savez pas ? s’écria Arashi que le flegme du Nara commençait à agacer. Trouvez-le ! Maintenant !!
L’homme parut un peu surpris par ce changement de ton mais il ne fit aucun commentaire et disparut. Arashi frissonna. Aucun ANBU de Konoha ou d’Ame ne s’était encore montré. Et vu le nombre qui gisait à terre… C’était mauvais signe. Son estomac se contracta douloureusement. Ils ne pouvaient pas… ils ne pouvaient être tous morts. C’était impossible. Ça représentait une trop grosse perte d’hommes. Un trop grand sacrifice. Il y avait des survivants. Il fallait qu’il y en ait. Au moins un. Au moins deux. Au moins eux.
- Arashi-sama !! fit alors une voix sur sa gauche.
Le jeune homme se tourna. Un Jounin courait vers lui.
- Oui ?
- Venez voir. Vite.
Arashi lui emboîta le pas avec la sensation que le pire était encore à venir. Le Jounin le conduisit à un groupe d’ANBU qui faisaient cercle autour de quelque chose, il ne voyait pas quoi. Shikato était avec eux. Dans un premier temps, Arashi se sentit soulagé : au moins, certains ANBU avaient survécu. Mais lorsqu’il s’approcha du groupe et que Shikato s’écarta pour le laisser voir ce que les ANBU entouraient respectueusement, il eut l’impression d’avoir reçu un coup en plein estomac. Le corps avait été lacéré avec une sauvagerie qui faisait froid dans le dos, même pour un futur Hokage, mais le large manteau brun déchiré ne laissait guère de doute : c’était Shiba. Shiba Eiji, le commandant en chef ANBU, était mort. Arashi regarda un des ANBU s’accroupir et poser un masque sur le visage déchiqueté sans savoir si ce qu’il éprouvait était de la consternation ou juste le contrecoup de la surprise. Le commandant n’avait certes pas été un proche et son humanité était plus que discutable mais il avait été un des piliers de Konoha et l’ANBU lui devait beaucoup. C’était une perte énorme.
Fait chier…
Kakashi ne bougeait pas. Il ne pouvait pas. Il était pétrifié. L’adrénaline était retombée, ne laissant qu’une douleur sourde dans tout son corps et le sang battant dans ses tempes. Il tremblait à cause du froid et de ses blessures mais ça n’avait pas d’importance. Plus maintenant. Le froid, le sang, la douleur, il ne sentait plus rien. Le temps était comme suspendu tandis qu’il la regardait. Aucun doute possible. C’était bien elle. Il reconnaissait son nez fin et droit, ses lèvres bien dessinées, ses yeux dorés ressemblant tellement à ceux de Tsunade. Il passa sa main dans ses mèches blondes couvertes de sang séché avec la sensation qu’un gouffre venait de s’ouvrir sous ses pieds. Encore. C’était le seul mot auquel il pouvait penser. Encore. Une fois de plus, il n’avait pas été là. Trop tard. Il serra les dents pour refouler les sanglots qui lui montaient à la gorge. Il n’avait même pas eu le temps de se réconcilier avec elle. Elle était partie avec sa haine comme seul souvenir. Sa main tremblait alors qu’il lui fermait les yeux.
- Ookami.
Il ne se retourna pas. Il aurait dû être content d’entendre la voix de son capitaine – content de voir qu’il avait survécu – mais il n’y parvenait pas. Peut-être parce que sans elle, ça n’allait plus être comme avant. Peut-être aussi parce qu’il savait qu’Okara ferait comme si de rien n’était.
- Ookami, qu’est-ce que tu fous ?
Il entendit les pas se rapprocher puis s’arrêter au moment où son ombre se dessina sur le sol tout près de lui. Et il ne se passa rien. Pas un geste, pas un mot, pas un bruit. Rien que le silence. Kakashi détacha lentement son regard du corps d’Isane et leva les yeux vers Okara. Le capitaine fixait la jeune femme inanimée sans rien dire, sans bouger. Il ne s’accroupit pas à côté de Kakashi. Il ne la toucha pas. Il ne lui dit pas non plus que ça n’avait aucune importance, qu’elle était morte en faisant son devoir, qu’il n’avait pas à la pleurer. Rien. Rien du tout.
- Taichou ! Ookami !
Les deux hommes se retournèrent. C’était Kaito. Le jeune homme courait vers eux en boitant. Son bras gauche pendait inerte le long de son torse. Mais lorsqu’il vit le corps de son équipière, il se figea. Le kunaï qu’il tenait dans sa main droite tomba à terre dans un cliquetis métallique.
- I… Isane…
Il releva son masque. Son visage habituellement si enjoué et rieur apparut, marqué par le choc. Jamais il n’avait semblé si désarmé, si fragile. Il fit un geste pour s’agenouiller près du corps puis s’arrêta. Kakashi vit le conflit dans ses yeux écarquillés par la douleur et lorsque Kaito fit finalement un pas en arrière, il sut combien ce geste lui avait coûté. Ce regard… cette souffrance indescriptible de bête blessée mêlée de rage et de stupéfaction lui coupa le souffle. Les larmes étaient là, visibles au coin de ses yeux, mais pas une ne coula. Pas une. Et pourtant… En observant son ami, Kakashi se demanda si avec le temps, on perdait la faculté de pleurer, à défaut de perdre celle de souffrir. Kaito fit un pas vers le corps et, toujours masque relevé, il baissa la tête. Après un moment d’hésitation, Kakashi se leva et l’imita. Ce n’était pas réglementaire mais pour cette fois, les conventions iraient se faire foutre. C’était pour elle. Pour lui rendre un dernier hommage. Elle avait été plus qu’un masque, tellement plus qu’une meurtrière. Une équipière, une amie. Une sœur. Isane avait veillé sur lui, l’avait accompagné dans son apprentissage, avait été là pour lui. Savoir que la dernière chose qu’il lui avait dite était d’aller se faire foutre lui était insupportable.
Elle n’aurait pas droit à des funérailles – elle serait brûlée comme tous les autres – mais elle méritait mieux que trois visages blancs et figés en guise d’adieu. Okara était cependant déjà parti lorsque Kakashi se tourna vers lui. Ça ne l’étonna pas – il était comme ça, toujours lointain, toujours impassible – mais il ne put empêcher la haine de lui tordre les entrailles. Même pour elle… même pour elle, il n’était pas resté. Sur la joue d’Isane, les premiers flocons se posèrent puis coulèrent, prenant des allures de larmes.
- Félicitations, Arashi-kun. Ta mission est un succès total.
Debout dans le bureau du Sandaime, face à l’Hokage, Homura et Koharu, Arashi hocha la tête sans répondre. Ces éloges qui l’auraient comblé de bonheur et de fierté quelques mois plus tôt ne lui laissaient aujourd’hui qu’une terrible sensation de vide. La victoire était incontestable, c’est vrai : Kiri avait longtemps résisté mais au final, Konoha et Kumo avaient été largement supérieurs en nombre. La Brume avait dû rendre les armes. Ce n’était plus qu’une question de jours avant que les négociations de paix ne s’engagent. Iwa suivrait certainement très vite et lui serait bientôt Yondaime. Il aurait désormais tout le temps de changer ce qui devait l’être et d’améliorer la vie de ses soldats. Okara et Kakashi allaient bien – physiquement du moins. Il aurait dû être heureux. Le problème était que ce n’était pas le cas. Pourquoi ne pouvait-il s’empêcher de se demander… y avait-il une chance, une seule petite chance que tout ce gâchis de vies ait pu être évité ? Cette question n’aurait jamais de réponse, il en était conscient, et elle en était d’autant plus dure à ignorer. La guerre impliquait des sacrifices, il en avait toujours été ainsi. Mais Aoi Shinju avait été le sacrifice de trop. Ç’avait été trop de morts innocentes d’un seul coup. Son triomphe personnel s’asseyait sur un piédestal de cadavres. Dès lors, la victoire devenait amère et les compliments complètement déplacés.
- Grâce à toi, la paix va de nouveau régner, ajouta Koharu esquissant l’un de ses très rares sourires. Konoha peut être fière d’avoir un chef tel que toi. Une nouvelle ère commence.
Arashi eut un sourire triste. Il aurait aimé pouvoir en être aussi sûr.
- Arashi, nous devons choisir le jour de ton intronisation, dit le Sandaime, les sourcils légèrement froncés comme s’il avait conscience de ce qui se passait dans la tête de son cadet et était désolé de lui parler de choses si bassement matérielles.
- Pas avant que la paix ne soit signée, répondit aussitôt le jeune homme. Pour le reste, je m’en fiche.
Homura fronça les sourcils, apparemment peu satisfait de la réponse.
- J’espère que vous soignerez un peu plus votre manière de parler une fois que vous serez Yondaime. Un Hokage ne peut se permettre ce genre d’écarts de langage.
Les yeux bleus d’Arashi se plissèrent brièvement.
- Bien entendu, répondit-il avec un sourire froid.
- Le lendemain de la signature du traité, cela te convient-il ? intervint le Sandaime de sa voix posée, invitation générale à rester calme.
- Ça me va très bien.
- Parfait, dit Koharu. Nous allons commencer à organiser les préparatifs et envoyer les invitations aux Kage alliés dès maintenant. Konoha est au seuil d’un tournant dans son histoire, cette cérémonie se doit d’être mémorable.
Arashi essaya assez vainement de sourire. Pourquoi ? Pourquoi tout lui paraissait-il soudain si gris alors que son rêve était sur le point de se réaliser ? Il avait toujours voulu être Hokage, du plus loin qu’il s’en souvienne. Il avait travaillé dur pour cela, fait nombre de sacrifices et perdu beaucoup d’êtres chers. Dieu, il méritait d’être heureux. Il méritait de pouvoir être fier de lui, de ce qu’il était, alors pourquoi ? Pourquoi ce malaise au creux du ventre, pourquoi cette putain de tristesse ? Pourquoi cette sensation qu’il ne verrait jamais Konoha heureuse ? Sa gorge se noua, il dut lutter pour reprendre contenance.
- Avez-vous encore besoin de moi, Hokage-sama ?
- En fait… oui.
L’air gêné du Sandaime et le signe qu’il fit à Koharu et Homura pour qu’ils quittent le bureau le firent jurer intérieurement. Au nom du ciel, qu’allait-on lui encore lui apprendre ?
- Arashi, tu sais que le commandant Shiba est mort.
Le jeune homme hocha la tête. Le vieil homme sortit une feuille d’un de ses tiroirs et la tendit à Arashi.
- Ce sont les résultats des capitaines ANBU et toute une série de recommandations. Ils sont unanimes : Okara Kôji est le plus indiqué pour prendre la place du commandant Shiba. Je l’ai convoqué, il ne va pas tarder à arriver.
Arashi leva les yeux vers lui.
- Hokage-sama... Je ne remets pas votre décision en cause mais il y a de fortes chances pour qu’il refuse le poste.
- Ce poste ne peut rester vacant, Arashi. Il est bien trop important. Et pour être honnête, je n’ai aucune envie de laisser un tel pouvoir à Danzou.
- Je suis d’accord mais pourquoi promouvoir Kôji ? Il n’est pas le seul capitaine…
- Il n’est pas le seul mais il est le meilleur. Ses hommes l’apprécient, ils sont prêts à mourir pour lui. L’ANBU a besoin d’une personnalité qui rassemble, qui unit…
- Et vous croyez qu’il est l’homme de la situation ?
- Tout à fait.
Arashi hésita un moment avant de répondre.
- Hokage-sama, je connais bien Kôji. Je ne suis pas sûr que le nommer commandant soit une si bonne idée que cela. Il… enfin… Je pense que ça va le contrarier…
Le Sandaime soupira et se frotta les yeux de sa main droite. Il semblait épuisé.
- Arashi… Sa voix était terriblement lasse. Je sais déjà tout ça. Je ne demanderais pas mieux que de laisser Kôji tranquille mais je dois penser au bien de Konoha. La paix arrive, il va falloir tout reconstruire et le village va avoir besoin de repères pour avancer. J’ai décidé que Kôji serait celui des ANBU.
- Mais…
- Ecoute-moi, mon garçon. Le vieil homme contourna son bureau pour venir à côté d’Arashi. C’est important de conserver des liens avec son passé mais tu ne dois pas oublier qui tu es sur le point de devenir. Etre Kage c’est agir dans l’intérêt de tous. De tous, tu comprends ? Pas du sien ou d’une minorité, même si elle t’est chère.
Arashi se pinça les lèvres en hochant la tête. Il avait probablement écouté cent fois ce discours mais il lui semblait que sa véritable signification ne lui apparaissait que maintenant. A l’évidence, le choc théorie/pratique n’était pas réservé qu’aux Genins. Il eut soudain envie de rire de sa propre bêtise. Le Sandaime le regarda avec ce qui ressemblait à de la tristesse et ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose mais juste à cet instant, des coups furent frappés à la porte et un Chunnin passa la tête dans l’entrebâillement.
- Le capitaine Okara est là, Hokage-sama.
Arashi se tendit. Déjà ? Le Sandaime hocha la tête.
- Qu’il entre.
Le ninja s’effaça et Okara entra, visage masqué, de son pas assuré et droit.
- Hokage-sama, Arashi-sama, fit-il en saluant les deux hommes. Vous m’avez demandé ?
- Oui, en effet.
Le Sandaime alla se replacer derrière son bureau. Arashi inspira à fond.
- Capitaine, suite au décès de Shiba Eiji, le conseil a décidé de vous élever au rang de commandant, annonça le vieil homme.
Arashi vit son ami tressaillir imperceptiblement et tourner la tête dans sa direction. Il haussa discrètement les épaules en guise d’excuse. Il ne comprenait toujours pas la décision du Sandaime. Quitte à promouvoir quelqu’un, autant que ce fût quelqu’un qui s’en réjouirait. Mais non. Ils avaient choisi Okara. Certes, l’homme était doué et même si Arashi ne s’expliquait pas comment, il s’attirait naturellement le respect et l’admiration voire l’amour de ses hommes. Il lui avait, en cela, toujours fait penser à un courant d’air : puissant, insaisissable, implacable. Fascinant à sa manière. Mais la notoriété, le respect ou même le pouvoir n’intéressaient pas Okara Kôji. C’était un homme réaliste et pragmatique, qui se souciait peu de ce qui pouvait lui arriver du moment qu’il faisait ce qu’il estimait être bon pour Konoha. Mais même pour lui, il y avait une limite, Arashi commençait à le voir. Il savait qu’une de ses équipières était morte à Aoi Shinju, une femme qu’il avait eu sous ses ordres pendant, semblait-il, assez longtemps. En dépit de ce qu’on disait de lui, et l’homme se serait probablement suicidé plutôt que de l’admettre, il était probable qu’Okara ait été personnellement touché.
Après un temps qui lui sembla interminable, l’ANBU finit par acquiescer.
- Bien.
Sa voix était contrôlée. Le Sandaime hocha la tête.
- J’ai confiance en vous, vous ferez du bon travail.
Okara ne répondit pas.
- Je ne vous retiens pas davantage, vous avez certainement beaucoup à faire.
- Beaucoup plus qu’il y a dix minutes, c’est certain, répliqua froidement l’ANBU.
Il salua et sortit avant même que le Sandaime ait répondu. Celui-ci haussa les sourcils, l’air stupéfait, et se tourna vers Arashi qui soupira. Etant donné la situation, il estimait qu’ils s’en sortaient plutôt bien. Néanmoins, il se dirigea vers la porte et sortit à son tour. A peine hors de la pièce, la poigne de fer d’Okara se referma sur son bras. Le capitaine avec retiré son masque et dévisageait son ancien équipier avec colère.
- J’ose espérer que tu m’aurais averti si tu avais été au courant… attaqua-t-il d’emblée.
- Il m’a appris la nouvelle à peine deux minutes avant que tu n’arrives. Je n’ai pas été consulté dans cette affaire, je…
- Pourquoi moi ? le coupa Okara. Pourquoi moi et pas Hatano par exemple ?
- C’est toi qui possèdes les meilleurs résultats. Et tes hommes t’apprécient. Ils se battront si tu leur demandes.
Okara renifla ironiquement.
- J’ai la côte à ce point ?
- Je suis désolé, je sais que c’est la dernière chose dont tu as envie. Mais Konoha a besoin de toi, tu…
- Je ne crois pas t’avoir demandé de me réciter le manuel du bon Hokage, Arashi. C’est ton avis qui m’intéresse.
Arashi serra les dents.
- Ne rends pas les choses plus compliquées, Kôji. Tu crois peut-être que ce genre de situation m’amuse ?
- J’en sais rien, répondit l’autre en haussant les épaules. Mais c’est toi qui as voulu devenir Hokage, non ? Alors assume. Et aies au moins l’honnêteté de me dire ce que toi tu penses au lieu de ressortir ce que ces bureaucrates te mettent dans le crâne.
Arashi rougit de colère.
- Le Sandaime n’est pas un bureaucrate… Et je n’étais pas en train de répéter leurs excuses. Je pense sincèrement que Konoha a besoin de toi. Les ANBU ont besoin de toi.
Okara le regarda longuement et Arashi eut la désagréable certitude que le capitaine regardait au fond de son cœur. La déception qui apparut dans les yeux sombres de l’ANBU le lui confirma.
- Tu mériterais que je t’en colle une, murmura finalement Okara.
Arashi déglutit.
- Je suis désolé… Le désespoir fit trembler sa voix. Sincèrement désolé.
A ce stade, il ne pouvait plus que prier pour que la carte de la sincérité fonctionne mais tout ce qu’il obtint fut un rictus dédaigneux.
- C’est ça…
Arashi retint un soupir. Okara faisait partie de ces gens qui considéraient les excuses comme une marque d’incompétence plutôt que de culpabilité ou d’humilité et dans la mesure où il avait ici pris la peine de répondre, Arashi pouvait presque s’estimer privilégié. Il lui en voulut d’accorder si peu de valeur à ses sentiments mais Okara n’était pas le seul responsable.
Les deux hommes échangèrent un regard. Il y eut un court instant où chacun eut envie de dire beaucoup mais où aucun n’eut le courage d’ouvrir la bouche. En l’espace d’une seconde, une barrière s’était dressée, une barrière qu’ils n’avaient plus, ni l’un ni l’autre, réellement envie de franchir. Pourquoi ? Ils n’auraient pas très bien su le dire eux-mêmes. Peut-être par peur. Sans doute par fierté. Peut-être aussi parce qu’ils savaient que c’était trop tard, que ce qui les séparait était désormais trop important et que tous leurs efforts n’y auraient rien changé. Et comme s’ils en avaient pris conscience au même moment, Arashi recula d’un pas et Okara abaissa son masque. Plus d’amitié, plus de sourire, plus de confidence. Il n’y avait plus qu’un Hokage et un commandant ANBU. Un accord tacite pour oublier ce qu’ils avaient partagé. Un au revoir.
- Je vous souhaite toute la réussite possible, Arashi-sama, fit Okara en s’inclinant. Vous ferez un excellent Hokage.
Sa voix n’avait aucune chaleur. C’était formel, un subordonné s’adressant à un supérieur. Arashi réalisa avec chagrin qu’il était incapable de dire si Okara était sincère ou non. La gorge trop nouée pour répondre, il hocha la tête en silence. Ils avaient été amis. Peut-être pas dans le sens habituel du terme – à partir du moment où il avait quitté l’ANBU, ils avaient cessé de se voir, et le jeune homme réalisait à présent que le nœud du problème se trouvait là – mais il n’avait jamais vu Okara autrement qu’en ami et il avait cru qu’il en serait de même pour lui. Il était parti et ce, sans se soucier de ce qu’en avait pensé Okara. A vrai dire, l’idée que son ami puisse lui en vouloir ne lui était jamais venue à l’esprit. Ça ne cadrait pas avec son caractère généreux et ouvert. L’univers ANBU lui était apparu trop sombre pour l’être rayonnant qu’il était et trop étroit pour l’objectif qu’il s’était fixé. Il avait fait ce qu’il avait cru être bon, ce qui était bon. Okara ne pouvait pas lui reprocher d’avoir voulu fuir ce monde de ténèbres pour accomplir son rêve. Mais pouvait-on seulement demander à un homme désespéré de comprendre les rêves des autres ?
A son absence de réponse, Okara considéra l’entretien terminé et tourna les talons sans rien ajouter. Arashi serra les poings, les battements de son cœur soudain douloureux, mais il ne chercha pas à le rattraper. C’était inutile. Il jeta un regard circulaire autour de lui et il lui sembla que l’ocre des murs s’était ternie et que les lumières n’éclairaient plus aussi bien. Le couloir semblait plus long, plus large. Il faisait plus froid et lorsqu’il fit un pas en avant, le son sur le carrelage produisit un écho lugubre. Un frisson parcourut son corps, il ferma les yeux. Ce qui était fait était fait, il n’y pouvait plus rien. Dès lors, le mieux était d’avancer. Il devait avancer, c’était ce qu’on attendait de lui, c’était ce qu’il avait toujours fait. Mais aujourd’hui et pour la première fois de sa vie, l’option « reculer » apparaissait incroyablement tentante.
Une semaine passa encore. La neige avait recouvert le village de son manteau blanc étincelant, figeant le paysage dans une atmosphère féerique presque irréelle. Sur les toits, le bord des rues, les ponts, les ruisseaux, les cristaux immaculés avaient remplacé la boue et le gris des dernières semaines. Après des mois passés à lutter, Konoha semblait plus que jamais en osmose avec ce qui l’entourait. Le soleil se reflétant sur la neige présentait à toute heure de la journée un merveilleux spectacle de couleurs et de nuances. Au matin, il nimbait les maisons d’un doux et réconfortant halot doré. Au zénith, la neige prenait des allures de diamant tant elle étincelait, avant de devenir rouge sang au coucher du soleil. La nuit enfin, le village se parait d’un bleu pâle argenté, scintillant doucement sous les rayons de la lune, et les stalactites devenaient les larmes de ceux qui ne parvenaient plus à pleurer. Cette sensation de pureté était un remède, une catharsis après les longs mois imprégnés par le sang et la mort. Le silence et le repos succédaient aux cris de guerre et de douleur, à la haine et aux marches interminables à travers le territoire. Une atmosphère propice au deuil et aux larmes enfin autorisées à couler. Une longue cérémonie mortuaire eut lieu pour saluer tous ceux tombés au combat. C’est à ce moment là que la guerre apparut dans sa dimension la plus cruelle : jamais Konoha n’avait perdu autant d’hommes au cours de son histoire. Jamais. Les familles brisées se comptaient par dizaines. Devant les tombes, nombreuses étaient les mères accompagnées de leurs enfants désormais sans père – quand ils ne se retrouvaient pas tout simplement orphelins. Apaisante et élévatrice, la neige ne parvint cependant pas à apaiser cette douleur ambiante. C’était trop. Cette guerre avait trop pris aux habitants de Konoha. Le traumatisme moral était immense. Face à ce qui avait été perdu, la victoire finale n’avait aucune saveur. Les gens étaient venus lors de la signature du traité entre le Sandaime et le Mizukage deux jours plus tôt mais loin de s’en réjouir, ils avaient au contraire profité de l’occasion pour manifester leur haine à l’encontre de celui qui leur avait causé tant de souffrances à coup de sifflets, d’injures et de lancers de projectiles. Sans l’intervention des ANBU, la situation aurait probablement dégénéré en émeute.
Mais aujourd’hui, on ferait en sorte que ce soit différent ; on laisserait le chagrin et la colère momentanément de côté pour se tourner vers l’avenir : car aujourd’hui, Uzumaki Arashi devenait officiellement Yondaime du village de la Feuille. Ce jeune homme si populaire, si admiré, si puissant, enfin ! il accédait au poste. On l’avait tant attendu lui aussi. Il était le héros de la guerre, le vainqueur d’Aoi Shinju, l’Eclair Jaune de Konoha, la fierté de tout un peuple. C’était son triomphe, sa victoire. En ce jour de fête, le village blanc s’était paré de mille couleurs. Des rubans avaient été accrochés partout, on avait collé des affiches chatoyantes sur chaque mur et des lampions avaient été suspendus le long des fils électriques en prévision de la grande fête prévue le soir même. Les rues étaient pleines d’allégresse et d’enthousiasme. Des odeurs de cuisine et des effluves de mets délicats se répandaient un peu partout. Chacun mettait toute son ardeur à la préparation de la fête. Plus de visage triste, de larme, de lamentation. Cette journée marquait l’entrée dans une nouvelle ère, il fallait qu’elle soit mémorable. A midi, tout le village se rassembla devant la falaise aux Hokages. Tous, ils étaient tous venus : commerçants, artisans, paysans, Genins, Chunnins, Jounins, femmes, hommes et enfants. Ils étaient tous là. Le visage levé vers le ciel, ils attendaient leur nouveau maître tandis que tapis dans la foule, à peine visibles, les ANBU veillaient, guettant le moindre signe suspect.
Dissimulé à quelques mètres de l’immense estrade, Kakashi attendait, partagé entre l’excitation et un malaise dont il ne s’expliquait pas – ou plutôt dont il ne voulait pas s’expliquer - l’origine. Cela faisait des mois qu’il attendait ce moment, il avait même eu peur de ne jamais y assister, mais à présent que le triomphe de son sensei était sur le point de s’accomplir, quelque l’empêchait de se réjouir. Ce n’était pas seulement du à la mort d’Isane – non, ç’aurait été trop simple – c’était quelque chose de plus… Il n’arrivait pas à définir la chose mais quoi qu’il en soit, c’était une fois de plus lié à Okara. Kaito lui avait appris sa promotion au poste de commandant un peu plus tôt dans la journée. Sur le coup, Kakashi avait été furieux – dans la mesure où ils étaient les principaux concernés par cette promotion puisqu’ils perdaient leur capitaine, Okara aurait tout de même pu prendre la peine de le leur dire de vive voix – mais il avait également ressenti de la peine, ce qui était déjà beaucoup plus dérangeant. L’idée d’un lien affectif quelconque avec un homme qui l’avait humilié, torturé, blessé, déçu et qui en plus ne semblait éprouver aucune douleur à la perte de ses hommes, lui déplaisait. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de ressentir un sentiment d’abandon. D’abandon… C’était ridicule. Ce n’était pas la première fois que quelqu’un l’abandonnait, et Okara ne méritait pas que l’on éprouve un tel sentiment pour lui.
Une immense clameur le tira de ses pensées, il releva la tête. Arashi venait d’apparaître, accompagné du Sandaime, de Koharu, Homura mais aussi de Jiraya et – un muscle s’agita dans la joue de Kakashi – d’Okara, vêtu du large manteau brun. L’ANBU suivait Arashi tout en maintenant une distance d’environ cinq mètres. C’était le protocole : en cas de problème, il était assez proche pour intervenir. Jiraya, Koharu et Homura restèrent en retrait quand le Sandaime et Arashi s’avancèrent jusqu’au bord de l’estrade. A la vue du héros du jour, les hurlements de joie redoublèrent et le vieil homme dut lever la main pour calmer les ardeurs de la foule.
- Un nouveau jour se lève, commença-t-il une fois le silence obtenu. La guerre et la douleur sont aujourd’hui derrière nous. Vous diriger fut un honneur mais il est temps pour moi de passer la main. La guerre l’a montré, il est désormais quelqu’un de plus apte, de plus jeune et de plus fort que moi. Cet homme, vous le connaissez tous : il s’agit d’Uzumaki Arashi.
Des applaudissements à tout rompre résonnèrent. Le Sandaime se tourna vers le jeune homme.
- Arashi, je suis fier de t’avoir comme successeur. C’est avec joie que je te cède ma place. Puisses-tu apporter ta chaleur à notre village.
Il se retourna pour prendre le chapeau rouge et blanc munis de voiles et un manteau brun que lui tendaient Koharu. Puis il fit face à Arashi et lentement, il déposa le chapeau sur les cheveux blonds ébouriffés du jeune homme. Arashi enfila ensuite le manteau et l’attacha sur sa poitrine. On lisait dans ses yeux bleus une émotion intense. Il se tourna vers le peuple.
- A partir d’aujourd’hui, je serai la force de Konoha, clama-t-il d’une voix forte. Je serai sa force et vous serez la mienne. Je vous promets de tout faire pour vous apporter la paix et le bonheur et aussi pour vous défendre. Je mets ma vie à votre service.
Ce fut un tonnerre d’acclamations et de cris de joie. Les barreaux de métal de la balustrade en tremblèrent. Arashi eut un sourire heureux. Il l’avait fait, il était Hokage. Un sentiment de jubilation extrême l’envahit. Son rêve se réalisait enfin. Il avait l’impression que l’avenir s’ouvrait littéralement devant lui, que désormais tout était possible. Jamais il ne s’était senti aussi sûr de lui, aussi triomphant. Il y avait quelque chose d’irréel à se savoir tant aimé d’un peuple. De son peuple. Il ferait tout pour lui, il le savait. Y compris donner sa propre vie. L’amour qu’il ressentait pour Konoha surpassait tout le reste. Il y avait toujours des problèmes – il n’y avait qu’à regarder Okara pour s’en rendre compte – et tout le bonheur du monde n’aurait pas suffi à soulager ce poids au fond de son cœur mais il ne voulait pas y penser. Pas aujourd’hui. Aujourd’hui, il savourait. Dans son dos, les caractères brodés de blanc reflétèrent la lumière du soleil. Il était écrit Yondaime Hokage.[/i]
Chapitre XI
2ème partie
Embusqué à quelques mètres à peine des palissades de Kiri, Arashi ferma les yeux. Pourvu que tout se passe bien du côté de Kakashi. Lorsqu’il avait entendu que l’équipe d’Okara était sélectionnée, il n’avait pas été surpris – le capitaine était certainement un des meilleurs de toute la section – mais il en avait voulu à son ami d’entraîner le garçon dans une mission aussi dangereuse. Okara savait pertinemment qu’il y avait de très grandes chances pour que nul ne revienne vivant d’Aoi Shinju ; il avait malgré tout décidé d’y emmener Kakashi. Certes, le garçon était sous son autorité directe mais il n’était pas encore tout à fait remis de sa mésaventure et cela pourrait s’avérer un handicap, non seulement pour la victoire mais pour Okara lui-même : car quoi qu’il en dise, Arashi était certain qu’il s’était attaché à Kakashi. Malheureusement, en dépit de tout ce qu’il avait pu lui dire, le capitaine ANBU n’avait pas cédé et s’était au contraire mis en colère.
Arashi posa sa main sur l’épaule d’Okara tandis que les autres officiers quittaient la pièce.
- Kôji, je voudrais que tu me rendes un service.
L’autre se retourna. Sous son masque, un demi-sourire à la fois amusé et las se dessina car il ne savait que trop ce qu’allait être l’objet de la demande.
- Tu veux que je veille sur Kakashi pendant la mission.
Ce n’était pas une question. Arashi hocha la tête. Okara soupira.
- Je crois qu’il est temps de mettre les choses au clair une bonne fois pour toutes, Arashi : je ne suis pas comme toi. Je ne suis pas Jounin et Kakashi n’est pas un enfant sous ma responsabilité. Protéger mes hommes ne fait pas partie de mon boulot.
- Mais tu as tout intérêt à ce qu’ils restent en vie, non ? Il est encore fragile, Kôji. Je me sentirais beaucoup plus tranquille si je savais que tu gardes un œil sur lui.
- Tu as si peu confiance en lui ? Tu le crois tellement incapable de se défendre ?
- Mais non, c’est juste que…
- Pourquoi crois-tu que mon équipe a été sélectionnée et que j’ai accepté de participer ? C’est parce que je connais mes ninjas. Je sais de quoi ils sont capables. Crois-moi si je n’avais ne serait-ce qu’une seconde le moindre doute sur leurs capacités à se battre, j’aurais refusé.
Arashi se mordit les lèvres.
- Si tu ne me fais pas confiance, poursuivit Okara, fais au moins confiance à ce gosse.
- Je lui fais confiance. Mais je ne veux pas qu’il lui arrive quelque chose…
- Est-ce que tu es en train de dire que ce n’est pas mon cas ?
- Non, ce n’est pas du tout ce que…
- Tu peux peut-être te permettre d’avoir ce genre de sentiment paternaliste, Arashi, mais il y en a d’autres qui ne peuvent pas. Sa voix s’était distinctement durcie. Je ne peux pas me payer ce luxe, que ce soit avec Kakashi ou un autre. On nous donne une mission, on l’accomplit, c’est tout. Tant mieux si on reste en vie mais le plus important, ça reste la mission. Tu crois que ça m’amuse d’envoyer mes hommes au casse-pipe ? Tu sais ce que c’est que de convaincre des gens de choses en lesquelles tu ne crois pas ?
- Non… je ne fonctionne pas comme ça.
- Eh bien moi c’est mon boulot. Je fais ça tous les jours. Je fais croire aux soldats qu’ils vont survivre, alors que je sais très bien que certains n’en reviendront pas, parce que sinon, ils ne feront pas ce qu’on leur demande. On a un travail à faire. Si je me mets à protéger mes hommes, je compromets la mission et c’est pas ce qu’on attend de moi.
- Je sais tout ça. J’ai été ANBU aussi, je te rappelle.
- Tu l’as été, oui.
Le ton de sa voix laissait planer un sous-entendu qui fit frissonner Arashi. Etait-il donc devenu si différent aux yeux d’Okara ?
- Tu changes, Arashi, reprit l’ANBU comme pour lui confirmer ses pensées. Fais gaffe à pas devenir comme ces vieux bureaucrates qui n’ont plus aucun contact avec le monde réel. Ce serait vraiment dommage.
Arashi soupira. Qu’il le veuille ou non, l’écart entre Okara et lui était en train de se creuser. Le capitaine ANBU le considérait de moins en moins comme un « semblable », comme un homme de terrain, qui se bat et qui côtoie la mort. Qui sait ce que sacrifice veut dire. Peut-être même se sentait-il trahi. Arashi comprenait qu’il réagisse ainsi mais il regrettait. Il n’avait pas quitté l’ANBU et grimpé dans la hiérarchie par dédain. Il voulait pouvoir changer les choses et faire en sortes que les autres ne subissent plus dans la douleur ou la solitude. Or pour changer les choses, il fallait être en haut. Tout ce qu’il avait fait, il l’avait fait pour eux, pour les gens comme Okara. Seulement cela, l’ANBU n’avait pas l’air de le comprendre.
Une main effleura son épaule.
- Arashi-sama…
Le jeune homme cligna des yeux. Un Jounin était apparu sur sa droite.
- Oui ?
- Les éclaireurs emmenés par Yamanaka Inoshi sont de retour.
- Ah, bien. Et alors ?
- Le plan a fonctionné. La palissade de Kiri est dégarnie d’au moins la moitié de ses hommes. Tout le monde est en place. Nous n’attendons plus que votre signal.
- Parfait.
Son visage lisse se durcit.
- Alors finissons-en, murmura-t-il.
Il jeta un regard circulaire autour de lui et vit de multiples éclats argentés briller fugitivement un peu partout. Ils étaient prêts. Alors, lentement, il leva son bras.
Je vais mettre fin à cette guerre une fois pour toutes.
D’un geste vif, il abaissa son bras. Aussitôt, l’orage se déchaîna sur Kiri.
Courir. Bondir. Frapper ici et là, trancher la chair. Faire vite, être précis.
Eviter un jutsu d’eau. Riposte, avance ; anticipe. Réguler son souffle.
Avancer, frapper, tuer encore et encore. Ne pas prêter attention aux camarades qui tombent. Ignorer les cris.
Glisse sur une plaque de verglas, dérape. Concentre du chakra sous les pieds et petit jutsu d’adhérence. Bondit pour éviter un kunaï.
Souffle.
Un enfant qui hurle de terreur.
Ne pas penser, ne pas réfléchir. Tranche une gorge, sectionne un poignet, défonce une cage thoracique. Il a les gants poisseux de sang.
Kakashi virevolte à droite, à gauche, bondit, saute, évite, frappe. Il encaisse, il recule, il riposte, charge, tue, tue et tue encore. Les visages se confondent. Ses oreilles bourdonnent. Il a froid, son ventre lui fait mal. Ne pas s’arrêter, surtout ne pas s’arrêter de bouger. Court. Frappe encore, encore et encore. Tue. Tue tout ce qui l’attaque.
Souffle. Respire.
Un cri tout près. On dirait la voix d’Isane.
Une explosion sur le côté. Il est projeté contre un mur et la douleur l’aveugle un instant. Il n’arrive plus à respirer.
Merde
Se relever. Vite, vite. Il ne faut pas rester à découvert. Bouger, même si ça fait mal. Il n’arrête pas de trembler. L’odeur du sang partout. Il y a tellement de bruit. Il a du mal à voir à cause de la fumée.
Respire. Respire !
Il se relève en pataugeant dans la boue. Son genou droit manque de lâcher. Il se rend compte que son pantalon est déchiré au niveau de la rotule et que le tissu est poisseux de sang. Il se rend compte qu’il a mal. Sa jambe est engourdie.
Merde, merde, merde.
Regarde autour de lui. Tout est flou, tout bouge. Des ombres passent à toute vitesse ; il y a le bruit de l’acier qui heurte l’acier, des cris de douleur et d’agonie, des appels.
Plaque ses mains l’une contre l’autre. Ça va user du chakra mais tant pis. Il a besoin de bouger vite.
Voilà.
Maintenant, bouge. Bouge. Bouge !
Son corps bouge tout seul. Plonge à terre. Un kunaï se plante à l’endroit exact où se trouvait sa tête. Roule sur le côté, debout. Un ninja de Kiri lui fonce dessus, il est rapide. Encaisse, encaisse, encaisse. Recule, évite. Recule, pare. Recule, recule encore. Evite, évite, pare. Encaisse.
La lame est passée près cette fois. Trop près. Si ça continue, il va se faire tuer. A cette pensée, son esprit rugit de fureur. Son estomac se contracte, ses yeux brillent d’une lueur dangereuse. Il ne veut pas mourir. Pas ici. Pas maintenant. Pas de la main de ce type. La colère le submerge. Il se dégage d’un geste brusque, fait demi-tour et se met à courir dans le sens opposé. Son adversaire le suit bêtement. Le garçon accélère, sort un kunaï, fait soudainement volte face et se propulse vers le ninja de Kiri qui pris au dépourvu ne freine pas. Il lui coince la tête entre ses cuisses et frappe. Une fois, deux fois, trois fois. Il enfonce sauvagement sa lame sans se soucier du sang qui gicle sur son masque. Le ninja ennemi s’affaisse. Kakashi se dégage, le souffle rauque. Le gars a beau être mort, il a envie de lui fracasser le crâne à coup de pieds ; il le ferait s’il en avait le temps. Tant pis. Il le fera avec d’autres.
Lance un kunaï presque sans viser. Un cri. Touché. Un sourire carnassier se dessine sur ses lèvres.
A mon tour.
Il sort un parchemin de sa sacoche, le déroule et trace une longe ligne sanglante dessus. Puis il l’agite selon une suite compliquée de gestes avant de le refermer et de le plaquer au sol.
Kuchiyose no jutsu !
Dans un nuage de poussière qui passe inaperçu dans la brume environnante, dix chiens de différentes tailles apparaissent. Du plus petit au plus gros, ils sentent que la situation est particulière. Tous bavent déjà d’impatience. Leurs yeux jaunes luisent férocement. Kakashi frémit d’excitation. L’apparition de sa meute lui procure toujours un grisant sentiment de puissance. Il a l’impression que rien ne peut l’atteindre. C’est lui le prédateur. C’est rare qu’il utilise autant de chiens mais il en a envie. Et il faut bien qu’eux en profitent un peu.
- Amusez-vous, se contente-t-il de dire.
Les chiens ne se le font pas dire deux fois et disparaissent. A peine quelques secondes plus tard, les premiers hurlements se font entendre. Kakashi renverse alors sa tête en arrière et se met à rire. Ce n’est pas un rire joyeux, ni amusé. Il ne sait pas trop pourquoi il rit. Mais ça le soulage, alors il le fait. Il sort un deuxième kunaï et se jette à nouveau dans la bataille. Là-bas. Un bateau intact de Kiri. Il se précipite dessus, emplit ses poumons de chakra.
Katon : Gokakyu no jutsu !
Il crache, crache, crache autant de feu qu’il peut. Au milieu de cet univers de fumée et de grisaille, les flammes font rougeoyer l’eau de la mer comme du sang. Le bateau prend feu. Des silhouettes en sortent en hurlant, le corps enflammé, titubant comme des fantômes. Kakashi éclate de rire. La cruauté n’est pas une marque de fabrique de la Brume ; ils vont vite s’en rendre compte.
Quand les renforts de Konoha arrivèrent enfin quelques heures plus tard, il ne restait presque plus rien d’Aoi Shinju. Juste des ruines encore fumantes, des corps ensanglantés partout, horribles témoins du massacre, et une écoeurante odeur de chair en décomposition. En tête des troupes, Arashi fit silencieusement signe à ses hommes de se déployer pour rechercher des survivants, alliés ou ennemis. Il perçut quelques bruits de lutte mais rien d’alarmant. Les ANBU avaient fait leur travail au-delà de leurs espérances. Pour ce qu’il en voyait, aucun ninja ennemi n’avait survécu. De même pour les civils. Il embrassa la Perle détruite du regard, un goût amer dans la bouche. Ces gens n’avaient rien demandé à personne mais on les avait tués parce qu’ils étaient trop précieux pour la Brume. Arashi retint un soupir las. Cette routine macabre ne le gênait pas d’habitude mais il y avait des moments, comme celui-là, où tous vos meurtres vous revenaient en mémoire, vous faisant vous sentir sale. Oui, sale, c’était le mot. Il fit quelques pas, enjambant les corps avec difficulté tant il y en avait. Nombreux étaient les femmes et les enfants. Il ferma les yeux, se félicitant intérieurement d’avoir quitté les ANBU. Les assassinats faisaient toujours partie de son quotidien mais au moins, rares étaient les cas où le meurtre de civils, et surtout d’enfants, s’avérait nécessaire. Les ANBU eux n’avaient pas le choix. Cette constatation le plongea dans un désarroi qui lui coupa le souffle l’espace d’un instant. Les choses ne changeraient pas. Jamais. Cette part sombre du boulot des shinobis avait toujours existé et elle existerait toujours. Les ANBU auraient toujours le sale travail à faire, on leur demanderait toujours de faire abstraction de leurs sentiments et de leur vie au profit de missions telle que celle-ci. Parce que les ninjas avaient un travail à faire, on ne changerait pas les choses. Une boule se forma dans sa gorge. Il se sentit perdu. Tout ça… tout ça pour rien ? Tout à coup furieux contre lui-même, il poussa un cri de rage et frappa violemment le mur le plus proche qui s’écroula. Ce n’était pas vrai, ça ne pouvait pas être vrai ! Il y avait forcément de l’espoir quelque part, une lueur qui ne demandait qu’à rayonner. Il fallait juste qu’il la trouve.
- Arashi-sama.
Il se retourna. Nara Shikato s’approchait.
- Quoi ? demanda-t-il sèchement.
- Nos hommes ont quadrillé le périmètre, répondit le Jounin sans se laisser démonter par le ton de son supérieur. Rien à signaler. Notre victoire est totale.
Curieusement, cette nouvelle laissa Arashi de marbre.
- Nos pertes ?
- On ne sait pas encore. On compte.
- Où est Shiba ?
- On ne sait pas.
- Comment ça vous ne savez pas ? s’écria Arashi que le flegme du Nara commençait à agacer. Trouvez-le ! Maintenant !!
L’homme parut un peu surpris par ce changement de ton mais il ne fit aucun commentaire et disparut. Arashi frissonna. Aucun ANBU de Konoha ou d’Ame ne s’était encore montré. Et vu le nombre qui gisait à terre… C’était mauvais signe. Son estomac se contracta douloureusement. Ils ne pouvaient pas… ils ne pouvaient être tous morts. C’était impossible. Ça représentait une trop grosse perte d’hommes. Un trop grand sacrifice. Il y avait des survivants. Il fallait qu’il y en ait. Au moins un. Au moins deux. Au moins eux.
- Arashi-sama !! fit alors une voix sur sa gauche.
Le jeune homme se tourna. Un Jounin courait vers lui.
- Oui ?
- Venez voir. Vite.
Arashi lui emboîta le pas avec la sensation que le pire était encore à venir. Le Jounin le conduisit à un groupe d’ANBU qui faisaient cercle autour de quelque chose, il ne voyait pas quoi. Shikato était avec eux. Dans un premier temps, Arashi se sentit soulagé : au moins, certains ANBU avaient survécu. Mais lorsqu’il s’approcha du groupe et que Shikato s’écarta pour le laisser voir ce que les ANBU entouraient respectueusement, il eut l’impression d’avoir reçu un coup en plein estomac. Le corps avait été lacéré avec une sauvagerie qui faisait froid dans le dos, même pour un futur Hokage, mais le large manteau brun déchiré ne laissait guère de doute : c’était Shiba. Shiba Eiji, le commandant en chef ANBU, était mort. Arashi regarda un des ANBU s’accroupir et poser un masque sur le visage déchiqueté sans savoir si ce qu’il éprouvait était de la consternation ou juste le contrecoup de la surprise. Le commandant n’avait certes pas été un proche et son humanité était plus que discutable mais il avait été un des piliers de Konoha et l’ANBU lui devait beaucoup. C’était une perte énorme.
Fait chier…
Kakashi ne bougeait pas. Il ne pouvait pas. Il était pétrifié. L’adrénaline était retombée, ne laissant qu’une douleur sourde dans tout son corps et le sang battant dans ses tempes. Il tremblait à cause du froid et de ses blessures mais ça n’avait pas d’importance. Plus maintenant. Le froid, le sang, la douleur, il ne sentait plus rien. Le temps était comme suspendu tandis qu’il la regardait. Aucun doute possible. C’était bien elle. Il reconnaissait son nez fin et droit, ses lèvres bien dessinées, ses yeux dorés ressemblant tellement à ceux de Tsunade. Il passa sa main dans ses mèches blondes couvertes de sang séché avec la sensation qu’un gouffre venait de s’ouvrir sous ses pieds. Encore. C’était le seul mot auquel il pouvait penser. Encore. Une fois de plus, il n’avait pas été là. Trop tard. Il serra les dents pour refouler les sanglots qui lui montaient à la gorge. Il n’avait même pas eu le temps de se réconcilier avec elle. Elle était partie avec sa haine comme seul souvenir. Sa main tremblait alors qu’il lui fermait les yeux.
- Ookami.
Il ne se retourna pas. Il aurait dû être content d’entendre la voix de son capitaine – content de voir qu’il avait survécu – mais il n’y parvenait pas. Peut-être parce que sans elle, ça n’allait plus être comme avant. Peut-être aussi parce qu’il savait qu’Okara ferait comme si de rien n’était.
- Ookami, qu’est-ce que tu fous ?
Il entendit les pas se rapprocher puis s’arrêter au moment où son ombre se dessina sur le sol tout près de lui. Et il ne se passa rien. Pas un geste, pas un mot, pas un bruit. Rien que le silence. Kakashi détacha lentement son regard du corps d’Isane et leva les yeux vers Okara. Le capitaine fixait la jeune femme inanimée sans rien dire, sans bouger. Il ne s’accroupit pas à côté de Kakashi. Il ne la toucha pas. Il ne lui dit pas non plus que ça n’avait aucune importance, qu’elle était morte en faisant son devoir, qu’il n’avait pas à la pleurer. Rien. Rien du tout.
- Taichou ! Ookami !
Les deux hommes se retournèrent. C’était Kaito. Le jeune homme courait vers eux en boitant. Son bras gauche pendait inerte le long de son torse. Mais lorsqu’il vit le corps de son équipière, il se figea. Le kunaï qu’il tenait dans sa main droite tomba à terre dans un cliquetis métallique.
- I… Isane…
Il releva son masque. Son visage habituellement si enjoué et rieur apparut, marqué par le choc. Jamais il n’avait semblé si désarmé, si fragile. Il fit un geste pour s’agenouiller près du corps puis s’arrêta. Kakashi vit le conflit dans ses yeux écarquillés par la douleur et lorsque Kaito fit finalement un pas en arrière, il sut combien ce geste lui avait coûté. Ce regard… cette souffrance indescriptible de bête blessée mêlée de rage et de stupéfaction lui coupa le souffle. Les larmes étaient là, visibles au coin de ses yeux, mais pas une ne coula. Pas une. Et pourtant… En observant son ami, Kakashi se demanda si avec le temps, on perdait la faculté de pleurer, à défaut de perdre celle de souffrir. Kaito fit un pas vers le corps et, toujours masque relevé, il baissa la tête. Après un moment d’hésitation, Kakashi se leva et l’imita. Ce n’était pas réglementaire mais pour cette fois, les conventions iraient se faire foutre. C’était pour elle. Pour lui rendre un dernier hommage. Elle avait été plus qu’un masque, tellement plus qu’une meurtrière. Une équipière, une amie. Une sœur. Isane avait veillé sur lui, l’avait accompagné dans son apprentissage, avait été là pour lui. Savoir que la dernière chose qu’il lui avait dite était d’aller se faire foutre lui était insupportable.
Elle n’aurait pas droit à des funérailles – elle serait brûlée comme tous les autres – mais elle méritait mieux que trois visages blancs et figés en guise d’adieu. Okara était cependant déjà parti lorsque Kakashi se tourna vers lui. Ça ne l’étonna pas – il était comme ça, toujours lointain, toujours impassible – mais il ne put empêcher la haine de lui tordre les entrailles. Même pour elle… même pour elle, il n’était pas resté. Sur la joue d’Isane, les premiers flocons se posèrent puis coulèrent, prenant des allures de larmes.
- Félicitations, Arashi-kun. Ta mission est un succès total.
Debout dans le bureau du Sandaime, face à l’Hokage, Homura et Koharu, Arashi hocha la tête sans répondre. Ces éloges qui l’auraient comblé de bonheur et de fierté quelques mois plus tôt ne lui laissaient aujourd’hui qu’une terrible sensation de vide. La victoire était incontestable, c’est vrai : Kiri avait longtemps résisté mais au final, Konoha et Kumo avaient été largement supérieurs en nombre. La Brume avait dû rendre les armes. Ce n’était plus qu’une question de jours avant que les négociations de paix ne s’engagent. Iwa suivrait certainement très vite et lui serait bientôt Yondaime. Il aurait désormais tout le temps de changer ce qui devait l’être et d’améliorer la vie de ses soldats. Okara et Kakashi allaient bien – physiquement du moins. Il aurait dû être heureux. Le problème était que ce n’était pas le cas. Pourquoi ne pouvait-il s’empêcher de se demander… y avait-il une chance, une seule petite chance que tout ce gâchis de vies ait pu être évité ? Cette question n’aurait jamais de réponse, il en était conscient, et elle en était d’autant plus dure à ignorer. La guerre impliquait des sacrifices, il en avait toujours été ainsi. Mais Aoi Shinju avait été le sacrifice de trop. Ç’avait été trop de morts innocentes d’un seul coup. Son triomphe personnel s’asseyait sur un piédestal de cadavres. Dès lors, la victoire devenait amère et les compliments complètement déplacés.
- Grâce à toi, la paix va de nouveau régner, ajouta Koharu esquissant l’un de ses très rares sourires. Konoha peut être fière d’avoir un chef tel que toi. Une nouvelle ère commence.
Arashi eut un sourire triste. Il aurait aimé pouvoir en être aussi sûr.
- Arashi, nous devons choisir le jour de ton intronisation, dit le Sandaime, les sourcils légèrement froncés comme s’il avait conscience de ce qui se passait dans la tête de son cadet et était désolé de lui parler de choses si bassement matérielles.
- Pas avant que la paix ne soit signée, répondit aussitôt le jeune homme. Pour le reste, je m’en fiche.
Homura fronça les sourcils, apparemment peu satisfait de la réponse.
- J’espère que vous soignerez un peu plus votre manière de parler une fois que vous serez Yondaime. Un Hokage ne peut se permettre ce genre d’écarts de langage.
Les yeux bleus d’Arashi se plissèrent brièvement.
- Bien entendu, répondit-il avec un sourire froid.
- Le lendemain de la signature du traité, cela te convient-il ? intervint le Sandaime de sa voix posée, invitation générale à rester calme.
- Ça me va très bien.
- Parfait, dit Koharu. Nous allons commencer à organiser les préparatifs et envoyer les invitations aux Kage alliés dès maintenant. Konoha est au seuil d’un tournant dans son histoire, cette cérémonie se doit d’être mémorable.
Arashi essaya assez vainement de sourire. Pourquoi ? Pourquoi tout lui paraissait-il soudain si gris alors que son rêve était sur le point de se réaliser ? Il avait toujours voulu être Hokage, du plus loin qu’il s’en souvienne. Il avait travaillé dur pour cela, fait nombre de sacrifices et perdu beaucoup d’êtres chers. Dieu, il méritait d’être heureux. Il méritait de pouvoir être fier de lui, de ce qu’il était, alors pourquoi ? Pourquoi ce malaise au creux du ventre, pourquoi cette putain de tristesse ? Pourquoi cette sensation qu’il ne verrait jamais Konoha heureuse ? Sa gorge se noua, il dut lutter pour reprendre contenance.
- Avez-vous encore besoin de moi, Hokage-sama ?
- En fait… oui.
L’air gêné du Sandaime et le signe qu’il fit à Koharu et Homura pour qu’ils quittent le bureau le firent jurer intérieurement. Au nom du ciel, qu’allait-on lui encore lui apprendre ?
- Arashi, tu sais que le commandant Shiba est mort.
Le jeune homme hocha la tête. Le vieil homme sortit une feuille d’un de ses tiroirs et la tendit à Arashi.
- Ce sont les résultats des capitaines ANBU et toute une série de recommandations. Ils sont unanimes : Okara Kôji est le plus indiqué pour prendre la place du commandant Shiba. Je l’ai convoqué, il ne va pas tarder à arriver.
Arashi leva les yeux vers lui.
- Hokage-sama... Je ne remets pas votre décision en cause mais il y a de fortes chances pour qu’il refuse le poste.
- Ce poste ne peut rester vacant, Arashi. Il est bien trop important. Et pour être honnête, je n’ai aucune envie de laisser un tel pouvoir à Danzou.
- Je suis d’accord mais pourquoi promouvoir Kôji ? Il n’est pas le seul capitaine…
- Il n’est pas le seul mais il est le meilleur. Ses hommes l’apprécient, ils sont prêts à mourir pour lui. L’ANBU a besoin d’une personnalité qui rassemble, qui unit…
- Et vous croyez qu’il est l’homme de la situation ?
- Tout à fait.
Arashi hésita un moment avant de répondre.
- Hokage-sama, je connais bien Kôji. Je ne suis pas sûr que le nommer commandant soit une si bonne idée que cela. Il… enfin… Je pense que ça va le contrarier…
Le Sandaime soupira et se frotta les yeux de sa main droite. Il semblait épuisé.
- Arashi… Sa voix était terriblement lasse. Je sais déjà tout ça. Je ne demanderais pas mieux que de laisser Kôji tranquille mais je dois penser au bien de Konoha. La paix arrive, il va falloir tout reconstruire et le village va avoir besoin de repères pour avancer. J’ai décidé que Kôji serait celui des ANBU.
- Mais…
- Ecoute-moi, mon garçon. Le vieil homme contourna son bureau pour venir à côté d’Arashi. C’est important de conserver des liens avec son passé mais tu ne dois pas oublier qui tu es sur le point de devenir. Etre Kage c’est agir dans l’intérêt de tous. De tous, tu comprends ? Pas du sien ou d’une minorité, même si elle t’est chère.
Arashi se pinça les lèvres en hochant la tête. Il avait probablement écouté cent fois ce discours mais il lui semblait que sa véritable signification ne lui apparaissait que maintenant. A l’évidence, le choc théorie/pratique n’était pas réservé qu’aux Genins. Il eut soudain envie de rire de sa propre bêtise. Le Sandaime le regarda avec ce qui ressemblait à de la tristesse et ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose mais juste à cet instant, des coups furent frappés à la porte et un Chunnin passa la tête dans l’entrebâillement.
- Le capitaine Okara est là, Hokage-sama.
Arashi se tendit. Déjà ? Le Sandaime hocha la tête.
- Qu’il entre.
Le ninja s’effaça et Okara entra, visage masqué, de son pas assuré et droit.
- Hokage-sama, Arashi-sama, fit-il en saluant les deux hommes. Vous m’avez demandé ?
- Oui, en effet.
Le Sandaime alla se replacer derrière son bureau. Arashi inspira à fond.
- Capitaine, suite au décès de Shiba Eiji, le conseil a décidé de vous élever au rang de commandant, annonça le vieil homme.
Arashi vit son ami tressaillir imperceptiblement et tourner la tête dans sa direction. Il haussa discrètement les épaules en guise d’excuse. Il ne comprenait toujours pas la décision du Sandaime. Quitte à promouvoir quelqu’un, autant que ce fût quelqu’un qui s’en réjouirait. Mais non. Ils avaient choisi Okara. Certes, l’homme était doué et même si Arashi ne s’expliquait pas comment, il s’attirait naturellement le respect et l’admiration voire l’amour de ses hommes. Il lui avait, en cela, toujours fait penser à un courant d’air : puissant, insaisissable, implacable. Fascinant à sa manière. Mais la notoriété, le respect ou même le pouvoir n’intéressaient pas Okara Kôji. C’était un homme réaliste et pragmatique, qui se souciait peu de ce qui pouvait lui arriver du moment qu’il faisait ce qu’il estimait être bon pour Konoha. Mais même pour lui, il y avait une limite, Arashi commençait à le voir. Il savait qu’une de ses équipières était morte à Aoi Shinju, une femme qu’il avait eu sous ses ordres pendant, semblait-il, assez longtemps. En dépit de ce qu’on disait de lui, et l’homme se serait probablement suicidé plutôt que de l’admettre, il était probable qu’Okara ait été personnellement touché.
Après un temps qui lui sembla interminable, l’ANBU finit par acquiescer.
- Bien.
Sa voix était contrôlée. Le Sandaime hocha la tête.
- J’ai confiance en vous, vous ferez du bon travail.
Okara ne répondit pas.
- Je ne vous retiens pas davantage, vous avez certainement beaucoup à faire.
- Beaucoup plus qu’il y a dix minutes, c’est certain, répliqua froidement l’ANBU.
Il salua et sortit avant même que le Sandaime ait répondu. Celui-ci haussa les sourcils, l’air stupéfait, et se tourna vers Arashi qui soupira. Etant donné la situation, il estimait qu’ils s’en sortaient plutôt bien. Néanmoins, il se dirigea vers la porte et sortit à son tour. A peine hors de la pièce, la poigne de fer d’Okara se referma sur son bras. Le capitaine avec retiré son masque et dévisageait son ancien équipier avec colère.
- J’ose espérer que tu m’aurais averti si tu avais été au courant… attaqua-t-il d’emblée.
- Il m’a appris la nouvelle à peine deux minutes avant que tu n’arrives. Je n’ai pas été consulté dans cette affaire, je…
- Pourquoi moi ? le coupa Okara. Pourquoi moi et pas Hatano par exemple ?
- C’est toi qui possèdes les meilleurs résultats. Et tes hommes t’apprécient. Ils se battront si tu leur demandes.
Okara renifla ironiquement.
- J’ai la côte à ce point ?
- Je suis désolé, je sais que c’est la dernière chose dont tu as envie. Mais Konoha a besoin de toi, tu…
- Je ne crois pas t’avoir demandé de me réciter le manuel du bon Hokage, Arashi. C’est ton avis qui m’intéresse.
Arashi serra les dents.
- Ne rends pas les choses plus compliquées, Kôji. Tu crois peut-être que ce genre de situation m’amuse ?
- J’en sais rien, répondit l’autre en haussant les épaules. Mais c’est toi qui as voulu devenir Hokage, non ? Alors assume. Et aies au moins l’honnêteté de me dire ce que toi tu penses au lieu de ressortir ce que ces bureaucrates te mettent dans le crâne.
Arashi rougit de colère.
- Le Sandaime n’est pas un bureaucrate… Et je n’étais pas en train de répéter leurs excuses. Je pense sincèrement que Konoha a besoin de toi. Les ANBU ont besoin de toi.
Okara le regarda longuement et Arashi eut la désagréable certitude que le capitaine regardait au fond de son cœur. La déception qui apparut dans les yeux sombres de l’ANBU le lui confirma.
- Tu mériterais que je t’en colle une, murmura finalement Okara.
Arashi déglutit.
- Je suis désolé… Le désespoir fit trembler sa voix. Sincèrement désolé.
A ce stade, il ne pouvait plus que prier pour que la carte de la sincérité fonctionne mais tout ce qu’il obtint fut un rictus dédaigneux.
- C’est ça…
Arashi retint un soupir. Okara faisait partie de ces gens qui considéraient les excuses comme une marque d’incompétence plutôt que de culpabilité ou d’humilité et dans la mesure où il avait ici pris la peine de répondre, Arashi pouvait presque s’estimer privilégié. Il lui en voulut d’accorder si peu de valeur à ses sentiments mais Okara n’était pas le seul responsable.
Les deux hommes échangèrent un regard. Il y eut un court instant où chacun eut envie de dire beaucoup mais où aucun n’eut le courage d’ouvrir la bouche. En l’espace d’une seconde, une barrière s’était dressée, une barrière qu’ils n’avaient plus, ni l’un ni l’autre, réellement envie de franchir. Pourquoi ? Ils n’auraient pas très bien su le dire eux-mêmes. Peut-être par peur. Sans doute par fierté. Peut-être aussi parce qu’ils savaient que c’était trop tard, que ce qui les séparait était désormais trop important et que tous leurs efforts n’y auraient rien changé. Et comme s’ils en avaient pris conscience au même moment, Arashi recula d’un pas et Okara abaissa son masque. Plus d’amitié, plus de sourire, plus de confidence. Il n’y avait plus qu’un Hokage et un commandant ANBU. Un accord tacite pour oublier ce qu’ils avaient partagé. Un au revoir.
- Je vous souhaite toute la réussite possible, Arashi-sama, fit Okara en s’inclinant. Vous ferez un excellent Hokage.
Sa voix n’avait aucune chaleur. C’était formel, un subordonné s’adressant à un supérieur. Arashi réalisa avec chagrin qu’il était incapable de dire si Okara était sincère ou non. La gorge trop nouée pour répondre, il hocha la tête en silence. Ils avaient été amis. Peut-être pas dans le sens habituel du terme – à partir du moment où il avait quitté l’ANBU, ils avaient cessé de se voir, et le jeune homme réalisait à présent que le nœud du problème se trouvait là – mais il n’avait jamais vu Okara autrement qu’en ami et il avait cru qu’il en serait de même pour lui. Il était parti et ce, sans se soucier de ce qu’en avait pensé Okara. A vrai dire, l’idée que son ami puisse lui en vouloir ne lui était jamais venue à l’esprit. Ça ne cadrait pas avec son caractère généreux et ouvert. L’univers ANBU lui était apparu trop sombre pour l’être rayonnant qu’il était et trop étroit pour l’objectif qu’il s’était fixé. Il avait fait ce qu’il avait cru être bon, ce qui était bon. Okara ne pouvait pas lui reprocher d’avoir voulu fuir ce monde de ténèbres pour accomplir son rêve. Mais pouvait-on seulement demander à un homme désespéré de comprendre les rêves des autres ?
A son absence de réponse, Okara considéra l’entretien terminé et tourna les talons sans rien ajouter. Arashi serra les poings, les battements de son cœur soudain douloureux, mais il ne chercha pas à le rattraper. C’était inutile. Il jeta un regard circulaire autour de lui et il lui sembla que l’ocre des murs s’était ternie et que les lumières n’éclairaient plus aussi bien. Le couloir semblait plus long, plus large. Il faisait plus froid et lorsqu’il fit un pas en avant, le son sur le carrelage produisit un écho lugubre. Un frisson parcourut son corps, il ferma les yeux. Ce qui était fait était fait, il n’y pouvait plus rien. Dès lors, le mieux était d’avancer. Il devait avancer, c’était ce qu’on attendait de lui, c’était ce qu’il avait toujours fait. Mais aujourd’hui et pour la première fois de sa vie, l’option « reculer » apparaissait incroyablement tentante.
Une semaine passa encore. La neige avait recouvert le village de son manteau blanc étincelant, figeant le paysage dans une atmosphère féerique presque irréelle. Sur les toits, le bord des rues, les ponts, les ruisseaux, les cristaux immaculés avaient remplacé la boue et le gris des dernières semaines. Après des mois passés à lutter, Konoha semblait plus que jamais en osmose avec ce qui l’entourait. Le soleil se reflétant sur la neige présentait à toute heure de la journée un merveilleux spectacle de couleurs et de nuances. Au matin, il nimbait les maisons d’un doux et réconfortant halot doré. Au zénith, la neige prenait des allures de diamant tant elle étincelait, avant de devenir rouge sang au coucher du soleil. La nuit enfin, le village se parait d’un bleu pâle argenté, scintillant doucement sous les rayons de la lune, et les stalactites devenaient les larmes de ceux qui ne parvenaient plus à pleurer. Cette sensation de pureté était un remède, une catharsis après les longs mois imprégnés par le sang et la mort. Le silence et le repos succédaient aux cris de guerre et de douleur, à la haine et aux marches interminables à travers le territoire. Une atmosphère propice au deuil et aux larmes enfin autorisées à couler. Une longue cérémonie mortuaire eut lieu pour saluer tous ceux tombés au combat. C’est à ce moment là que la guerre apparut dans sa dimension la plus cruelle : jamais Konoha n’avait perdu autant d’hommes au cours de son histoire. Jamais. Les familles brisées se comptaient par dizaines. Devant les tombes, nombreuses étaient les mères accompagnées de leurs enfants désormais sans père – quand ils ne se retrouvaient pas tout simplement orphelins. Apaisante et élévatrice, la neige ne parvint cependant pas à apaiser cette douleur ambiante. C’était trop. Cette guerre avait trop pris aux habitants de Konoha. Le traumatisme moral était immense. Face à ce qui avait été perdu, la victoire finale n’avait aucune saveur. Les gens étaient venus lors de la signature du traité entre le Sandaime et le Mizukage deux jours plus tôt mais loin de s’en réjouir, ils avaient au contraire profité de l’occasion pour manifester leur haine à l’encontre de celui qui leur avait causé tant de souffrances à coup de sifflets, d’injures et de lancers de projectiles. Sans l’intervention des ANBU, la situation aurait probablement dégénéré en émeute.
Mais aujourd’hui, on ferait en sorte que ce soit différent ; on laisserait le chagrin et la colère momentanément de côté pour se tourner vers l’avenir : car aujourd’hui, Uzumaki Arashi devenait officiellement Yondaime du village de la Feuille. Ce jeune homme si populaire, si admiré, si puissant, enfin ! il accédait au poste. On l’avait tant attendu lui aussi. Il était le héros de la guerre, le vainqueur d’Aoi Shinju, l’Eclair Jaune de Konoha, la fierté de tout un peuple. C’était son triomphe, sa victoire. En ce jour de fête, le village blanc s’était paré de mille couleurs. Des rubans avaient été accrochés partout, on avait collé des affiches chatoyantes sur chaque mur et des lampions avaient été suspendus le long des fils électriques en prévision de la grande fête prévue le soir même. Les rues étaient pleines d’allégresse et d’enthousiasme. Des odeurs de cuisine et des effluves de mets délicats se répandaient un peu partout. Chacun mettait toute son ardeur à la préparation de la fête. Plus de visage triste, de larme, de lamentation. Cette journée marquait l’entrée dans une nouvelle ère, il fallait qu’elle soit mémorable. A midi, tout le village se rassembla devant la falaise aux Hokages. Tous, ils étaient tous venus : commerçants, artisans, paysans, Genins, Chunnins, Jounins, femmes, hommes et enfants. Ils étaient tous là. Le visage levé vers le ciel, ils attendaient leur nouveau maître tandis que tapis dans la foule, à peine visibles, les ANBU veillaient, guettant le moindre signe suspect.
Dissimulé à quelques mètres de l’immense estrade, Kakashi attendait, partagé entre l’excitation et un malaise dont il ne s’expliquait pas – ou plutôt dont il ne voulait pas s’expliquer - l’origine. Cela faisait des mois qu’il attendait ce moment, il avait même eu peur de ne jamais y assister, mais à présent que le triomphe de son sensei était sur le point de s’accomplir, quelque l’empêchait de se réjouir. Ce n’était pas seulement du à la mort d’Isane – non, ç’aurait été trop simple – c’était quelque chose de plus… Il n’arrivait pas à définir la chose mais quoi qu’il en soit, c’était une fois de plus lié à Okara. Kaito lui avait appris sa promotion au poste de commandant un peu plus tôt dans la journée. Sur le coup, Kakashi avait été furieux – dans la mesure où ils étaient les principaux concernés par cette promotion puisqu’ils perdaient leur capitaine, Okara aurait tout de même pu prendre la peine de le leur dire de vive voix – mais il avait également ressenti de la peine, ce qui était déjà beaucoup plus dérangeant. L’idée d’un lien affectif quelconque avec un homme qui l’avait humilié, torturé, blessé, déçu et qui en plus ne semblait éprouver aucune douleur à la perte de ses hommes, lui déplaisait. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de ressentir un sentiment d’abandon. D’abandon… C’était ridicule. Ce n’était pas la première fois que quelqu’un l’abandonnait, et Okara ne méritait pas que l’on éprouve un tel sentiment pour lui.
Une immense clameur le tira de ses pensées, il releva la tête. Arashi venait d’apparaître, accompagné du Sandaime, de Koharu, Homura mais aussi de Jiraya et – un muscle s’agita dans la joue de Kakashi – d’Okara, vêtu du large manteau brun. L’ANBU suivait Arashi tout en maintenant une distance d’environ cinq mètres. C’était le protocole : en cas de problème, il était assez proche pour intervenir. Jiraya, Koharu et Homura restèrent en retrait quand le Sandaime et Arashi s’avancèrent jusqu’au bord de l’estrade. A la vue du héros du jour, les hurlements de joie redoublèrent et le vieil homme dut lever la main pour calmer les ardeurs de la foule.
- Un nouveau jour se lève, commença-t-il une fois le silence obtenu. La guerre et la douleur sont aujourd’hui derrière nous. Vous diriger fut un honneur mais il est temps pour moi de passer la main. La guerre l’a montré, il est désormais quelqu’un de plus apte, de plus jeune et de plus fort que moi. Cet homme, vous le connaissez tous : il s’agit d’Uzumaki Arashi.
Des applaudissements à tout rompre résonnèrent. Le Sandaime se tourna vers le jeune homme.
- Arashi, je suis fier de t’avoir comme successeur. C’est avec joie que je te cède ma place. Puisses-tu apporter ta chaleur à notre village.
Il se retourna pour prendre le chapeau rouge et blanc munis de voiles et un manteau brun que lui tendaient Koharu. Puis il fit face à Arashi et lentement, il déposa le chapeau sur les cheveux blonds ébouriffés du jeune homme. Arashi enfila ensuite le manteau et l’attacha sur sa poitrine. On lisait dans ses yeux bleus une émotion intense. Il se tourna vers le peuple.
- A partir d’aujourd’hui, je serai la force de Konoha, clama-t-il d’une voix forte. Je serai sa force et vous serez la mienne. Je vous promets de tout faire pour vous apporter la paix et le bonheur et aussi pour vous défendre. Je mets ma vie à votre service.
Ce fut un tonnerre d’acclamations et de cris de joie. Les barreaux de métal de la balustrade en tremblèrent. Arashi eut un sourire heureux. Il l’avait fait, il était Hokage. Un sentiment de jubilation extrême l’envahit. Son rêve se réalisait enfin. Il avait l’impression que l’avenir s’ouvrait littéralement devant lui, que désormais tout était possible. Jamais il ne s’était senti aussi sûr de lui, aussi triomphant. Il y avait quelque chose d’irréel à se savoir tant aimé d’un peuple. De son peuple. Il ferait tout pour lui, il le savait. Y compris donner sa propre vie. L’amour qu’il ressentait pour Konoha surpassait tout le reste. Il y avait toujours des problèmes – il n’y avait qu’à regarder Okara pour s’en rendre compte – et tout le bonheur du monde n’aurait pas suffi à soulager ce poids au fond de son cœur mais il ne voulait pas y penser. Pas aujourd’hui. Aujourd’hui, il savourait. Dans son dos, les caractères brodés de blanc reflétèrent la lumière du soleil. Il était écrit Yondaime Hokage.[/i]