L'Héritage, saison 2
Publié : mer. 03 mai 2006, 18:46
Bon, comme promis, après une certaine période d'attente, voici ma deuxième fic, l'Héritage. Elle se déroule 3 ans après NG, et comptera donc de nombreux spoils. Elle fait entrer un tout nouveau personnage à Konoha et suit sa carrière en tant que shinobi, au milieu des bouleversements que connaîtra son époque.
Les 6 premiers chapitres seront peut-être un peu décalés par rapport aux suivants : en effet, cette fic aussi est le résultat d'une collaboration entre moi et Asano Akodo, et ces 6 premiers chapitres avaient déjà été écrits avant que je ne participe à la fic. Après un certain temps passé à écrire les chapitres qui ont suivi, nous avons convenu de réécrire les premiers chapitres selon mon style. Ils ont donc été écrits après les chapitres suivants, et peuvent paraître légèrement décalés.
A noter que cette fic est assez liée à mon autre fic, le Passé blanc. Je ne vous dirais pas exactement en quoi pour ne pas spoiler, mais il est recommandé de lire le Passé blanc si vous voulez avoir une compréhension complète de l'Héritage.
Voici le sommaire :
Saison 1 : Un Nouveau à Konoha
Une funeste journée (prélude que vous trouverez dans ce post)
Arrivée à Konoha
Visite médicale
Une voie de plus
Un après midi à Konoha
Une « belle » journée
Un très sale quart d'heure
Vitesse supérieure
Deux monstres
Réunion au sommet
Qui ?
Les toits de Konoha
Dépression
Nuit d'orage
La demeure blanche
Bois et soleil
Neko-sennin
Saison 2 : Maître et élève
Les pierres du souvenir
L'exilé
De retour
Sang et larmes
Voici le prélude.
Une funeste journée
Cela faisait déjà plus d’un an. Une putain de mauvaise année. Et il espérait que la prochaine, celle qu’il s’apprêtait à entamer, serait différente. Bientôt, il allait tout laisser derrière. Tout. Tout ce qui avait été sa vie pendant 18 ans ; pas seulement cette putain de mauvaise année, mais aussi son enfance, son adolescence, le lieu de sa naissance, ses amis, ses parents. Ou du moins ce qu’il en restait. Et Akodo revenait sur tout. Sur ce qui lui était arrivé avant cette putain de mauvaise année. Depuis le début, avant même le début de ses 18 années.
Ca avait surtout commencé avec sa mère. Asano Mayumi, petite fille née dans un village, un petit village perdu dans les contreforts des montagnes au bord du pays. Un village qui n’aurait jamais connu de contact avec Konoha sans elle. Sans ses yeux. A sa naissance on a cru qu’elle était née aveugle. Pourtant elle y voyait probablement mieux que n’importe qui dans le village. Ses yeux n’étaient pas ceux d’un aveugle : aucun aveugle n’a les yeux entièrement blancs.
Un Byakugan parfait. Aussi parfait que celui d’un digne descendant de la plus prestigieuse famille du Pays du Feu. On a jamais su comment ça avait pu se passer. Enfin il l’avait su il y a peu, même si aujourd’hui encore il ne comprenait pas tout.
Le village était frontalier, donc un shinobi a fini par la remarquer en faisant halte, au cours d’une mission à l’étranger. De fil en aiguille, elle avait été emmenée à Konoha et confiée aux Hyûga. Dix ans plus tard, elle en revenait avec tout le bagage d’un bon shinobi, jyûken en guise de bonus. Le village était devenu un poste frontalier à part entière, et il comptait quelqu’un capable de le défendre en cas d’agression. Autant Konoha que le petit village y gagnaient.
Après son retour elle s’était mariée, assez rapidement. C’était une belle femme, chaleureuse et franche. Le père d’Akodo était un homme des montagnes, grand et baraqué, mais doux et patient quand il fallait. Et à la naissance du garçon, 2 ans après le retour de Mayumi, tout le village se demanda s’il allait hériter des yeux de ma mère. Mais non, il était normal, tout ce qu’il avait hérité d’elle c’était ses cheveux roux flamboyants.
Jusqu’à il y a un an, c’était un garçon très agréable, avec un talent incomparable pour se rapprocher des gens, pour se faire des amis. Il en était presque collant. Ce n’était par faiblesse, pas parce qu’il avait besoin d’être entouré. C’était dans sa nature, il pouvait se lier avec n’importe qui.
La seule chose un peu exceptionnelle à son propos, et cela sa mère l’avait remarquée, c’était son flux de chakra. Il était un peu différent, un peu anormal. Mais rien d’alarmant. C’était peut-être pour ça qu’elle avait décidé de le former en tant que ninja. Enfin « former » est un bien grand mot : il n’avait maîtrisé les bases qu’à 16 ans, et il était loin d’être une pointure. Mayumi n’était pas un professeur sévère, et son entraînement n’était pas à plein temps. Ca n’était pas grand-chose d’autre qu’un passe-temps ou un moyen comme un autre de garder la forme.
Son poing se serra tant que ses phalanges blanchirent, et son regard mordoré se durcit tandis que ses souvenirs remontaient. Il s’en souvenait comme s’il y était : il se rappelait chaque détail, la fraîcheur du matin et le timide soleil d’été qui s’éveillait et réchauffait la petite cour, où trois personnes s’activaient déjà. Il se rappelait le bruit irrégulier des shurikens se plantant dans le bois. C’était un passe-temps qui allait bientôt devenir sa vie.
Ce matin-là, il y a 1 an et 5 jours, était un matin comme les autres. Ordinaire et agréable comme peut l’être un matin dans la vie simple qu’il menait à cette époque. Et deux sons se faisaient entendre, deux aciers se plantant dans le bois : celui de la cognée d’une hache qu’un imposant homme faisait s’abattre sur des bûches, et celui de shurikens qu’un adolescent aux cheveux roux envoyait de la main droite sur une cible d’entraînement. Et un peu à l’écart, une femme rousse tendant du linge, aux étranges yeux blancs, qui semblaient contractés comme s’ils étaient pourvus de muscles, aux tempes parcourues de ce qui avait l’air de veines saillantes, et dont le front était orné d’un tatouage vert.
-Tu n’es pas assez précis aux shurikens, Akodo : à ton âge je pouvais en lancer 6 et ne rien rater, dit la femme de derrière un épais drap blanc.
-Je sais, maman, mais de toute façon je ne suis pas un ninja, alors arrête de m’en demander autant, lui rétorqua le jeune homme, et puis je te rappelle que tu es censée être aveugle.
-Et que tu n’es pas censée avoir ça sur le front, ajouta l’homme d’une voix à la fois bourrue et douce.
Mayumi soupira, ferma les yeux un instant et noua un bandeau de tissu autour de son front, reprenant un visage banal.
-Ca va, ça va, mais je ne pourrais plus surveiller les alentours.
L’homme rit doucement.
-Allons chérie, que veux-tu qu’il se passe ?
-Le pays n’est plus en guerre depuis ma naissance, maman, tu devrais arrêter de t’inquiéter.
Oui, c’était un matin comme les autres. Mais le souvenir de ce matin si tranquille amenait Akodo au bord des larmes, tant de tristesse que de rage. Car le souvenir de ce matin en appelait d’autres, d’autres souvenirs, des souvenirs moins heureux, comme si quelques minutes avaient suffit à transformer sa vie paisible en enfer vide de toute vie et de toute joie.
Il se souvenait encore des pas précipités qu’on entendit résonner dans la cour et du souffle court de l’homme qui arriva en appelant celle qui était chargée de protéger le village.
-Mayumi-san ! Mayumi-san ! Venez voir, vite !!
C’était un matin différent, teinté de panique et de mystère : Akodo n’avait pas encore compris à quel point c’était grave. Après tout peut-être n’était-ce qu’une nouvelle urgente. Mais sa mère ne s’y trompa pas : elle avait vu suffisamment d’hommes paniquer et tourner les talons, terrifiés. Elle avait vu assez de batailles et tué assez d’hommes pour reconnaître la peur dans leur voix et leurs yeux. Aussi ne perdit-elle pas de temps.
Elle sortit de la cour rapidement et n’eut qu’à plisser les yeux pour savoir où aller. Bientôt sa vitesse surhumaine avait dépassé celle de l’homme qui l’avait appelée, qui se contenta de guider son fils et son mari. Des gens s’étaient attroupés autour d’une charrette, à la sortie du village, et résumaient la situation par leurs cris d’effroi, leurs murmures de consternation et leurs pleurs. La foule s’écarta pour laisser passer Mayumi. Lorsqu’Akodo la rejoignit, il vit tout de suite à son visage que la situation était grave. Et il en eut la confirmation lorsqu’il vit ce qui était dans la charrette.
Il y a quelques heures, c’était très certainement un homme. Maintenant ce n’était qu’une statue de grès, avec l’expression d’un homme terrifié, les yeux exorbités, la bouche grande ouverte dans un hurlement silencieux, figée dans l’horreur du dernier instant, comme une grotesque caricature d’humain.
Comme tous ceux qui étaient présents, Mayumi arborait une expression horrifiée, mais qui était loin d’exprimer l’incompréhension. Elle fixa de son Byakugan le corps pendant quelques secondes, et ses soupçons reçurent confirmation. Son visage n’était plus marqué par la peur, mais par une résignation inquiète, comme si, contrairement à tous les autres, elle savait. Elle savait exactement ce que le village risquait et elle savait quoi faire. C’était sa responsabilité.
Elle se tourna vers son fils.
-Akodo, file à la volière et envoie notre oiseau le plus rapide à Konoha, avec le message : « Besoin d’aide et vite ! »
Le jeune homme ne se le fit pas dire deux fois et courut de toute la vitesse de ses jambes. Lui aussi avait compris, comme tous ceux qui étaient présents, ce que cette horreur signifiait.
La région était dangereuse. Tous les gens qui vivaient ici savaient qu’il ne fallait pas s’aventurer dehors la nuit et surtout qu’il ne fallait jamais franchir les contreforts des montagnes. Les légendes locales parlaient de temps de terreur et de mort avant la venue des shinobis, lorsque le pays du Feu était encore une terre sauvage. Les mythes abondaient, parlant de démons descendant des montagnes pour prélever leur dû en âmes. Et la plus effroyable de ces légendes parlait d’un être monstrueux, capable de dérober son âme à un mortel d’un regard, le pétrifiant dans l’instant. Peu importait que cette légende soit vrai ou pas : il y avait danger, et Akodo savait qu’il fallait prévenir Konoha au plus vite. Si Mayumi ne pouvait vaincre cette chose, quelle qu’elle soit, personne du village ne le pouvait.
Mais le destin n’attendit pas que les renforts arrivent. Un rugissement inhumain se fit entendre. De la forêt toute proche sortit une créature de cauchemar. Les arbres s’écartèrent pour engendrer un être ressemblant un humain démesuré, plus grand, plus large, aux muscles si hypertrophiés que son corps était grotesque et difforme. Sa tête semblait petite en comparaison, enfoncée qu’elle était entre ses larges épaules ; sa large mâchoire était armée de crocs et, presque indiscernables dans cette masse de muscles, deux petits yeux noirs et cruels scrutaient les environs avec une agitation qui confinait à l’hystérie.
La foule resta un moment interdite devant une telle monstruosité, puis un chasseur, habitué à réagir au danger, encocha une flèche dans son arc de corne et en transperça le bras du monstre. Fulminant, le démon se rapprocha du village à grands pas, et quelques instants plus tard leurs regards se croisèrent. Le cri horrifié du chasseur mourut dans sa gorge lorsqu’elle se pétrifia ; il s’effondra au sol, changé en statue de basalte.
La peur saisit de sa poigne glacée le cœur des villageois, mais Mayumi ne faiblit pas, et se mit en garde. Il n’y avait pas grand-chose à espérer face à cette chose : sa puissance physique pouvait le protéger même du jyûken, et le Byakugan ne serait d’aucun secours. Peu importe le moyen, voir ses yeux signifiait mourir.
Voyant la kunoichi tenant tête à la bête sans faillir, les villageois eurent honte de leur peur et empoignèrent en guise d’arme ce qui était à portée. La bête souffla avec mépris et chargea en poussant un hurlement tonitruant. Le combat serait rude…
Akodo avait l’impression que son cœur allait exploser tant il battait fort. Jamais la volière ne lui avait paru aussi éloignée. Lorsqu’il franchit le seuil, il se précipita et faillit faire basculer l’échelle, avant de parvenir au perchoir sur lequel un aigle l’observait de son regard d’ambre, si semblable au sien. Paniqué, Akodo écrivit le message convenu, jurant copieusement tandis que le tremblement de ses doigts faussait son écriture. Il attacha rapidement le petit parchemin à la patte de l’oiseau, enfila à son bras droit un épais gant de cuir qui était accroché sur le mur et fit se percher l’aigle sur son bras. Il parvint à réfréner sa hâte pour éviter d’affoler le messager, et une fois parvenu à la fenêtre, lui chuchota ces mots, d’une voix aussi calme que possible.
-A Konoha, aussi vite que tu peux !
D’un geste sec du bras il fit s’envoler l’espoir, qui fonça à tire d’ailes sur les vents. Akodo le regarda un instant s’éloigner, priant de toute son âme qu’il arrive à temps, puis redescendit l’échelle en trombe sans prendre le temps d’enlever le gant. Il mit en œuvre toutes les leçons et conseils de sa mère, et rassembla tout ce qu’il avait appris en 18 ans, et parvint à glisser sur les airs, de toit en toit, à la manière des ninja, d’un pas aérien inconnu des simples mortels, plus vite qu’il n’avait jamais été. Mais sa course, aussi spectaculaire soit-elle, lui semblait toujours trop lente : il avait un mauvais pressentiment. Il fallait qu’il arrive là-bas à temps. Il ne savait pas pourquoi, il ne savait ce que sa présence changerait au combat. Tout ce qu’il savait, c’était que ses tripes lui hurlaient de se presser, que quelque chose de terrible allait se passer s’il n’arrivait pas là-bas plus vite que ça, plus vite !!
Mayumi commença à s’inquiéter. Pour autant qu’elle pouvait en juger, elle n’aurait bientôt plus assez de chakra pour garder le rythme. Elle savait que ça allait être dur, mais pas à ce point-là : bon sang, cette horreur était rapide ! Malgré sa maîtrise du taijutsu, elle devait dépenser ses forces pour continuer à combattre efficacement : non seulement cette chose était un mélange parfait de force, de résistance et de rapidité, mais en plus le corps-à-corps était deux fois plus difficile face à ce satané regard. Mayumi était forcée d’abandonner le pouvoir de vigilance et de combattre en faisant constamment attention à la position de son visage. Si pour elle le combat était deux fois plus difficile, pour les villageois il n’y avait aucun espoir.
Elle tenta de se calmer et de faire le bilan de la situation. De la quinzaine de villageois qui avait commencé le combat à ses côtés, seul 3 restaient. Si elle n’était pas en pleine bataille, Mayumi aurait fait plus que de les pleurer, mais elle ne pouvait faiblir maintenant. La rue était jonchée de statues aux membres brisés, des visages pétrifiés ornés qui exprimaient une horreur grotesque, à présent éternelle, et de cadavres démembrés et déchiquetés. Le sol était rouge de sang. Mais malgré tous ces sacrifices courageux, le monstre tenait toujours debout. Elle ne pouvait pas faiblir : ils ne devaient pas être morts en vain. C’était à elle de protéger ceux qui étaient encore vivants. Les femmes et les enfants. Et son fils. C’était à elle de protéger ce village.
La bête boitait sur une jambe brisée, et un de ses bras était presque arraché. Mayumi décida d’en finir. Elle fit un signe de tête à son époux, qui tint sa hache prête. Elle ferma les yeux forma une courte série de sceaux, faisant en un éclair circuler son chakra dans ses poumons. Elle prit une grande inspiration tandis que la poussière s’envolait en tourbillons et formait de fugitifs symboles cabalistiques dans l’air. Les mains de Mayumi invoquèrent la puissance du Tigre...
Katon ! Karyûdan !!
Elle souffla de toutes ses forces et une longue ligne de feu flamboyant frappa le démon de plein fouet, l’envoyant s’écraser contre le mur d’une maison voisine. Mayumi poussa un soupir de soulagement tandis que son mari se précipitait, hache à la main, pour achever le monstre qui, semblait-il, ne bougeait plus.
Akodo acheva à cet instant ce qui lui avait semblé durer des heures, et parvint à la sortie du village, et il aurait pu se calmer si seulement il n’avait pas tant mis son cœur à l’épreuve de sa course effrénée. La vue d’un tel champ de ruines et de cadavres ne suffit pas à gâcher la joie qu’il avait de voir que ses parents étaient en vie, et que sa mère avait réussi, une fois de plus, à protéger le village.
Mais le destin se fit un plaisir de fouler sa joie jusqu’à ce que mort s’en suive. Dans un sursaut d’une rapidité inhumaine, le démon frappa le père d’Akodo de son long bras. Malgré le vacarme que firent la destruction de la maison et le rugissement de la bête, Akodo entendit avec une clarté abjecte le craquement d’arbre blessé que firent les os de son père.
Mayumi, horrifié, poussa un cri à peine audible, mais dans lequel on sentait son cœur se briser, tout comme le corps de son époux. Animé d’une vivacité terrifiante malgré ses blessures, le monstre se releva, la prit dans sa large main et la porta à ses yeux.
Le temps s’arrêta pour Akodo tandis qu’il voyait sa mère se débattre, de plus en plus faiblement tandis que le froid envahissait ses membres. Elle était de dos, mais le jeune homme put voir dans son âme son visage s’orner de cette expression d’horreur figée. Sans réfléchir, obéissant à son instinct qui voyait avec clarté sa main droit toujours gantée, il porta la main gauche à sa ceinture. Il était droitier, mais ce détail n’avait pas d’importance : il était totalement insignifiant face à l’urgence qui guidait son bras.
Les deux étoiles d’acier qu’il lança avec une précision parfaite finirent leur course dans les yeux maudits du démon. Mais il était déjà trop tard. Il recula en vacillant et laissa tomber une Mayumi pétrifiée, changée en statue immaculée. Akodo se rua vers elle, trop lentement pour l’empêcher de se briser sur le sol.
De la statue de sel qui avait été sa mère, il ne restait plus rien. Plus rien de sa mère. Rien d’autre que le souvenir d’elle, des 18 ans qu’elle avait passé à veiller sur lui et sur le village, le souvenir de son amour et de sa franchise. Il ne restait rien d’autre que tous ces souvenirs heureux, souillés par sa mort. Les pleurs d’Akodo se changèrent en hurlement rauque tandis qu’ils montaient le long de sa gorge. Il eut l’impression que son âme vieillissait de plusieurs siècles, jusqu’à se dessécher comme ce qui restait de son corps. Tous ces souvenirs lui semblaient être du mercure brûlant, coulant dans ses veines et consumant son corps, maintenant qu’ils n’étaient plus que souvenirs du deuil, de sa mort, de cette souffrance qui était tout ce qui restait d’elle. Les souvenirs n’étaient plus que des lames chauffés à blanc qui semblaient mutiler chaque partie de son corps et tracer de longues cicatrices dans son âme.
Et ce bruit, ce bruit qui lui vrillait les oreilles, ce sifflement entêtant et qui allait en s’amplifiant, qui aurait peut-être pu être le bruit de ses pleurs, s’il n’avait pas été celui de sa douleur changée en rage, en rancœur et en colère. Il sentait son corps se consumer dans le brasier de sa colère et en ressortir, puissant et terrible.
Une unique larme coula sur sa joue droite, et la douleur et la rage semblèrent la clouer sur sa peau. Une énergie formidable se déversa de son âme dans son corps, se frayant un chemin jusqu’à l’extérieur, l’enveloppant et l’enlaçant de son étreinte brutale. Quelques chose s’échappa du tas de sel, deux pierres jumelles qui tracèrent en un court instant deux balafres croisées sur sa joue droite, crucifiant la larme qui y restait figée.
Il sentit son être se déchirer, et cette douleur réclamait le remède. Le remède à sa souffrance… Lorsqu’il posa les yeux sur le démon, il sentit que son propre regard avait changé. Tout son corps et son âme brûlait d’une soif terrible, une soif de souffrance et de mort : seule la douleur de ce monstre pouvait apaiser la sienne.
Il entendit vaguement les villageois survivants hurler d’horreur, il les sentit tomber à terre, mais il ne s’en soucia pas. Il vit les statues se ternir et tomber en poussière autour de lui, il vit les arbres se racornir et l’air se troubler, devenir si flou qu’il semblait solide et soulever les pierres en tourbillons qui lui écorchaient le visage. Mais le monde pouvait mourir, il n’avait pas d’importance.
Tout ce qu’Akodo voyait, c’était le démon se tordre de douleur, suffoquer, tomber à terre dans des spasmes d’une souffrance infinie. Et tout ce qu’il entendit fut un rire réjoui, un rire cruel et sadique qu’il savait être le sien. Et tout ce qu’il sentit fut la vie quitter les alentours, quitter le corps du monstre, sa souffrance venir apaiser sa soif de mort. Mais ce qu’il ressentit par-dessus tout fut sa joie, une joie immense et délicieuse tandis que le monde semblait mourir autour de lui… et ce bruit, ce bruit qui était devenu son rire, son souffle, les battements même de son cœur, de sa vie…
Plus tard les shinobis de Konoha lui diraient que lorsqu’ils étaient arrivés au village, ils avaient su immédiatement qu’il était trop tard. Dans la rue à moitié dévastée, il ne restait que quelques rochers, des cadavres d’hommes desséchés, une colossale carcasse pourrissante, et au milieu de ce champ de désolation, il y avait un jeune garçon aux cheveux roux, inconscient. Mais sur son visage on pouvait voir une blessure en forme de croix, et à côté de lui, quelque chose brillait dans la poussière. Deux pierres jumelles, deux gemmes immaculés, deux lacs de nacre sans fond qui autrefois avaient été les yeux de sa mère. Et rien ne vivait aux alentours. Tout était mort.
Asano Akodo, 17 ans, orphelin.
L’année suivante avait été très différente. Sa vie avait changé. Le village avait changé. Cette journée était restée gravée dans leur mémoire, la cicatrice du souvenir. Et dans ce souvenir, il n’était plus le fils de celle que les avait protégé pendant près de 20 ans. Il était ce garçon étrange, cet être qui avait terrassé le démon. Mais il était surtout celui qui avait dévoré les quelques pauvres diables qui avaient survécu à cette bataille. Tout le village en avait parlé pendant des mois : il ne restait que de la poussière, et il était le seul à avoir survécu. Il n’y avait pas à chercher bien loin.
Mais si seulement il n’y avait eu que les soupçons et l’inquiétude. Le temps aurait pu y faire. Mais Akodo avait changé, bien plus que le village. Il semblait que la cicatrice de son souvenir était toujours blessure, qu’elle était trop profonde pour que la douleur disparaisse. Il s’était refermé sur sa douleur, dans son regret, et était devenu sombre et solitaire. Il vivait seul, et personne n’osait l’approcher. Mais plus encore, ses souvenirs étaient si vivaces, cette vieille blessure semblait si douloureuse qu’elle s’emparait de lui.
Son deuil ne s’était jamais vraiment achevé, et sa rancœur, sa rage ne s’était pas apaisée. Pas plus que la soif. Cette soif de mort et de souffrance, que le souvenir ranimait sans cesse. Elle se faisait parfois si pressante qu’il regardait les gens différemment, il les dévisageait avec les yeux les plus effrayants qu’ils aient jamais vu, des yeux qui n’étaient pas ceux d’un homme, mais d’un prédateur affamé.
La douleur était grande, et elle entretenait la soif comme du bois sec nourrit et fortifie un feu, tout comme la colère, la frustration et le regret. Et les soupçons des villageois, qui allaient croissants, n’arrangeaient rien.
Et un jour ce fut la crise. Un jour, il n’en put plus, et il céda. Les gens n’étaient plus des gens. Il n’avait plus d’amis, tous s’étaient éloignés de lui. Il ne lui restait que le souvenir de l’amitié. Et comme tous ses souvenirs, ils vieillissaient, devenaient racornis et rabougris, aigris et malsains. C’était un de ces jours où il avait l’impression qu’une bête abjecte était lovée dans ses entrailles, et qu’elle s’agitait, réclamait sa pitance d’une voix avide et amère. C’était un goût étrange dans sa bouche, un petit sifflement entêtant dans ses oreilles, sa vision devenue légèrement floue, c’était une légion de détails et de petits tracas, qui semblaient s’unir dans ses entrailles pour donner naissance à cette chose affamée, cette chose si proche de lui, qui l’appelait par son nom… il l’entendait réclamer dans son âme…
Partout, il ne voyait plus que des gorges et des cœurs qui battaient, qui étaient animés de toute cette vie, cette énergie si douce… une petite douceur pour apaiser cette douleur amère dans sa bouche et son ventre…
Il s’était senti partir, se perdre. Il avait bondi, il avait frappé, il avait agi, il l’avait fait. Et la soif s’était apaisée. C’était simple, et c’était délicieux. Mais la suite ne concernait que lui, maintenant que la bête dans ses entrailles s’était endormie, comblée, satisfaite d’une manière qui lui semblait abjecte à présent.
Il savait qu’ils allaient le tuer, le lyncher, le lapider, se débarrasser de ce nouveau démon, de ce monstre qui accablait leur village à son tour. Il était dégoûté de lui-même, de ce que cette chose lui avait fait faire. Mais il ne pouvait se résoudre à mourir.
Le chef du village était un homme sage. Aussi ne le tua-t-il pas tout de suite. Peut-être était-ce par pitié, peut-être était-ce parce qu’il avait trop peur de ce que ce démon pourrait faire si on s’en prenait à lui. Il devait l’envoyer ailleurs. Là où on saurait s’occuper de lui, d’une manière ou d’une autre, peu importe où, pourvu que ce soit loin. Avant qu’il ne tue, encore une fois.
Konoha. Après tout, Mayumi en était bien revenue meilleure. Ils savaient s’occuper des êtres de ce genre là-bas. Il se contenta de donner le choix à Akodo : soit il allait à Konoha, soit il mourrait ici. Sa vie ici n’avait aucun sens, pas plus que l’enfer. Il n’hésita pas.
C’était la dernière nuit qu’il passait ici. Ses affaires étaient prêtes. Sa vie ici était morte avec sa mère, avec ce qu’il était avant. Ne lui restait que le souvenir. Il espérait qu’il pourrait le rendre moins douloureux. Elle lui avait un peu parlé du village des ninjas, et en bien. Mais c’était il y a 20 ans. Il ne savait pas ce qu’il y trouverait, il espérait juste que ce serait différent d’ici : c’était son lieu de naissance, un petit village calme et hospitalier, là où il avait vécu toute sa vie, là où il avait appris à être heureux. Mais ce n’était maintenant que l’endroit qui lui avait appris la douleur, la haine et l’amertume. Il semblait que tout ce qui était son passé, tout le bonheur n’était qu’un souvenir perdu, dont le deuil engendrait toujours plus de souffrance.
Tout sauf peut-être une chose. Il porta la main à son cou, sous le ciel rempli d’étoiles, les étoiles éternelles et tellement belles, tout comme cette joie qui maintenant paraissait si loin. Il prit dans sa main la petite bourse de cuir qu’il portait en pendentif, et en sortit deux gemmes blanches. Ses yeux étaient morts avec sa mère, mais c’était là tout ce qui ne le faisait pas souffrir : c’était tout ce qui restait d’elle. Ils étaient si profonds, si purs, si morts qu’ils ne reflétaient plus rien, ni joie, ni souffrance.
Ce n’était que des pierres. Il espérait qu’elles pourraient redevenir des souvenirs avec le reste.
Les 6 premiers chapitres seront peut-être un peu décalés par rapport aux suivants : en effet, cette fic aussi est le résultat d'une collaboration entre moi et Asano Akodo, et ces 6 premiers chapitres avaient déjà été écrits avant que je ne participe à la fic. Après un certain temps passé à écrire les chapitres qui ont suivi, nous avons convenu de réécrire les premiers chapitres selon mon style. Ils ont donc été écrits après les chapitres suivants, et peuvent paraître légèrement décalés.
A noter que cette fic est assez liée à mon autre fic, le Passé blanc. Je ne vous dirais pas exactement en quoi pour ne pas spoiler, mais il est recommandé de lire le Passé blanc si vous voulez avoir une compréhension complète de l'Héritage.
Voici le sommaire :
Saison 1 : Un Nouveau à Konoha
Une funeste journée (prélude que vous trouverez dans ce post)
Arrivée à Konoha
Visite médicale
Une voie de plus
Un après midi à Konoha
Une « belle » journée
Un très sale quart d'heure
Vitesse supérieure
Deux monstres
Réunion au sommet
Qui ?
Les toits de Konoha
Dépression
Nuit d'orage
La demeure blanche
Bois et soleil
Neko-sennin
Saison 2 : Maître et élève
Les pierres du souvenir
L'exilé
De retour
Sang et larmes
Voici le prélude.
Une funeste journée
Cela faisait déjà plus d’un an. Une putain de mauvaise année. Et il espérait que la prochaine, celle qu’il s’apprêtait à entamer, serait différente. Bientôt, il allait tout laisser derrière. Tout. Tout ce qui avait été sa vie pendant 18 ans ; pas seulement cette putain de mauvaise année, mais aussi son enfance, son adolescence, le lieu de sa naissance, ses amis, ses parents. Ou du moins ce qu’il en restait. Et Akodo revenait sur tout. Sur ce qui lui était arrivé avant cette putain de mauvaise année. Depuis le début, avant même le début de ses 18 années.
Ca avait surtout commencé avec sa mère. Asano Mayumi, petite fille née dans un village, un petit village perdu dans les contreforts des montagnes au bord du pays. Un village qui n’aurait jamais connu de contact avec Konoha sans elle. Sans ses yeux. A sa naissance on a cru qu’elle était née aveugle. Pourtant elle y voyait probablement mieux que n’importe qui dans le village. Ses yeux n’étaient pas ceux d’un aveugle : aucun aveugle n’a les yeux entièrement blancs.
Un Byakugan parfait. Aussi parfait que celui d’un digne descendant de la plus prestigieuse famille du Pays du Feu. On a jamais su comment ça avait pu se passer. Enfin il l’avait su il y a peu, même si aujourd’hui encore il ne comprenait pas tout.
Le village était frontalier, donc un shinobi a fini par la remarquer en faisant halte, au cours d’une mission à l’étranger. De fil en aiguille, elle avait été emmenée à Konoha et confiée aux Hyûga. Dix ans plus tard, elle en revenait avec tout le bagage d’un bon shinobi, jyûken en guise de bonus. Le village était devenu un poste frontalier à part entière, et il comptait quelqu’un capable de le défendre en cas d’agression. Autant Konoha que le petit village y gagnaient.
Après son retour elle s’était mariée, assez rapidement. C’était une belle femme, chaleureuse et franche. Le père d’Akodo était un homme des montagnes, grand et baraqué, mais doux et patient quand il fallait. Et à la naissance du garçon, 2 ans après le retour de Mayumi, tout le village se demanda s’il allait hériter des yeux de ma mère. Mais non, il était normal, tout ce qu’il avait hérité d’elle c’était ses cheveux roux flamboyants.
Jusqu’à il y a un an, c’était un garçon très agréable, avec un talent incomparable pour se rapprocher des gens, pour se faire des amis. Il en était presque collant. Ce n’était par faiblesse, pas parce qu’il avait besoin d’être entouré. C’était dans sa nature, il pouvait se lier avec n’importe qui.
La seule chose un peu exceptionnelle à son propos, et cela sa mère l’avait remarquée, c’était son flux de chakra. Il était un peu différent, un peu anormal. Mais rien d’alarmant. C’était peut-être pour ça qu’elle avait décidé de le former en tant que ninja. Enfin « former » est un bien grand mot : il n’avait maîtrisé les bases qu’à 16 ans, et il était loin d’être une pointure. Mayumi n’était pas un professeur sévère, et son entraînement n’était pas à plein temps. Ca n’était pas grand-chose d’autre qu’un passe-temps ou un moyen comme un autre de garder la forme.
Son poing se serra tant que ses phalanges blanchirent, et son regard mordoré se durcit tandis que ses souvenirs remontaient. Il s’en souvenait comme s’il y était : il se rappelait chaque détail, la fraîcheur du matin et le timide soleil d’été qui s’éveillait et réchauffait la petite cour, où trois personnes s’activaient déjà. Il se rappelait le bruit irrégulier des shurikens se plantant dans le bois. C’était un passe-temps qui allait bientôt devenir sa vie.
Ce matin-là, il y a 1 an et 5 jours, était un matin comme les autres. Ordinaire et agréable comme peut l’être un matin dans la vie simple qu’il menait à cette époque. Et deux sons se faisaient entendre, deux aciers se plantant dans le bois : celui de la cognée d’une hache qu’un imposant homme faisait s’abattre sur des bûches, et celui de shurikens qu’un adolescent aux cheveux roux envoyait de la main droite sur une cible d’entraînement. Et un peu à l’écart, une femme rousse tendant du linge, aux étranges yeux blancs, qui semblaient contractés comme s’ils étaient pourvus de muscles, aux tempes parcourues de ce qui avait l’air de veines saillantes, et dont le front était orné d’un tatouage vert.
-Tu n’es pas assez précis aux shurikens, Akodo : à ton âge je pouvais en lancer 6 et ne rien rater, dit la femme de derrière un épais drap blanc.
-Je sais, maman, mais de toute façon je ne suis pas un ninja, alors arrête de m’en demander autant, lui rétorqua le jeune homme, et puis je te rappelle que tu es censée être aveugle.
-Et que tu n’es pas censée avoir ça sur le front, ajouta l’homme d’une voix à la fois bourrue et douce.
Mayumi soupira, ferma les yeux un instant et noua un bandeau de tissu autour de son front, reprenant un visage banal.
-Ca va, ça va, mais je ne pourrais plus surveiller les alentours.
L’homme rit doucement.
-Allons chérie, que veux-tu qu’il se passe ?
-Le pays n’est plus en guerre depuis ma naissance, maman, tu devrais arrêter de t’inquiéter.
Oui, c’était un matin comme les autres. Mais le souvenir de ce matin si tranquille amenait Akodo au bord des larmes, tant de tristesse que de rage. Car le souvenir de ce matin en appelait d’autres, d’autres souvenirs, des souvenirs moins heureux, comme si quelques minutes avaient suffit à transformer sa vie paisible en enfer vide de toute vie et de toute joie.
Il se souvenait encore des pas précipités qu’on entendit résonner dans la cour et du souffle court de l’homme qui arriva en appelant celle qui était chargée de protéger le village.
-Mayumi-san ! Mayumi-san ! Venez voir, vite !!
C’était un matin différent, teinté de panique et de mystère : Akodo n’avait pas encore compris à quel point c’était grave. Après tout peut-être n’était-ce qu’une nouvelle urgente. Mais sa mère ne s’y trompa pas : elle avait vu suffisamment d’hommes paniquer et tourner les talons, terrifiés. Elle avait vu assez de batailles et tué assez d’hommes pour reconnaître la peur dans leur voix et leurs yeux. Aussi ne perdit-elle pas de temps.
Elle sortit de la cour rapidement et n’eut qu’à plisser les yeux pour savoir où aller. Bientôt sa vitesse surhumaine avait dépassé celle de l’homme qui l’avait appelée, qui se contenta de guider son fils et son mari. Des gens s’étaient attroupés autour d’une charrette, à la sortie du village, et résumaient la situation par leurs cris d’effroi, leurs murmures de consternation et leurs pleurs. La foule s’écarta pour laisser passer Mayumi. Lorsqu’Akodo la rejoignit, il vit tout de suite à son visage que la situation était grave. Et il en eut la confirmation lorsqu’il vit ce qui était dans la charrette.
Il y a quelques heures, c’était très certainement un homme. Maintenant ce n’était qu’une statue de grès, avec l’expression d’un homme terrifié, les yeux exorbités, la bouche grande ouverte dans un hurlement silencieux, figée dans l’horreur du dernier instant, comme une grotesque caricature d’humain.
Comme tous ceux qui étaient présents, Mayumi arborait une expression horrifiée, mais qui était loin d’exprimer l’incompréhension. Elle fixa de son Byakugan le corps pendant quelques secondes, et ses soupçons reçurent confirmation. Son visage n’était plus marqué par la peur, mais par une résignation inquiète, comme si, contrairement à tous les autres, elle savait. Elle savait exactement ce que le village risquait et elle savait quoi faire. C’était sa responsabilité.
Elle se tourna vers son fils.
-Akodo, file à la volière et envoie notre oiseau le plus rapide à Konoha, avec le message : « Besoin d’aide et vite ! »
Le jeune homme ne se le fit pas dire deux fois et courut de toute la vitesse de ses jambes. Lui aussi avait compris, comme tous ceux qui étaient présents, ce que cette horreur signifiait.
La région était dangereuse. Tous les gens qui vivaient ici savaient qu’il ne fallait pas s’aventurer dehors la nuit et surtout qu’il ne fallait jamais franchir les contreforts des montagnes. Les légendes locales parlaient de temps de terreur et de mort avant la venue des shinobis, lorsque le pays du Feu était encore une terre sauvage. Les mythes abondaient, parlant de démons descendant des montagnes pour prélever leur dû en âmes. Et la plus effroyable de ces légendes parlait d’un être monstrueux, capable de dérober son âme à un mortel d’un regard, le pétrifiant dans l’instant. Peu importait que cette légende soit vrai ou pas : il y avait danger, et Akodo savait qu’il fallait prévenir Konoha au plus vite. Si Mayumi ne pouvait vaincre cette chose, quelle qu’elle soit, personne du village ne le pouvait.
Mais le destin n’attendit pas que les renforts arrivent. Un rugissement inhumain se fit entendre. De la forêt toute proche sortit une créature de cauchemar. Les arbres s’écartèrent pour engendrer un être ressemblant un humain démesuré, plus grand, plus large, aux muscles si hypertrophiés que son corps était grotesque et difforme. Sa tête semblait petite en comparaison, enfoncée qu’elle était entre ses larges épaules ; sa large mâchoire était armée de crocs et, presque indiscernables dans cette masse de muscles, deux petits yeux noirs et cruels scrutaient les environs avec une agitation qui confinait à l’hystérie.
La foule resta un moment interdite devant une telle monstruosité, puis un chasseur, habitué à réagir au danger, encocha une flèche dans son arc de corne et en transperça le bras du monstre. Fulminant, le démon se rapprocha du village à grands pas, et quelques instants plus tard leurs regards se croisèrent. Le cri horrifié du chasseur mourut dans sa gorge lorsqu’elle se pétrifia ; il s’effondra au sol, changé en statue de basalte.
La peur saisit de sa poigne glacée le cœur des villageois, mais Mayumi ne faiblit pas, et se mit en garde. Il n’y avait pas grand-chose à espérer face à cette chose : sa puissance physique pouvait le protéger même du jyûken, et le Byakugan ne serait d’aucun secours. Peu importe le moyen, voir ses yeux signifiait mourir.
Voyant la kunoichi tenant tête à la bête sans faillir, les villageois eurent honte de leur peur et empoignèrent en guise d’arme ce qui était à portée. La bête souffla avec mépris et chargea en poussant un hurlement tonitruant. Le combat serait rude…
Akodo avait l’impression que son cœur allait exploser tant il battait fort. Jamais la volière ne lui avait paru aussi éloignée. Lorsqu’il franchit le seuil, il se précipita et faillit faire basculer l’échelle, avant de parvenir au perchoir sur lequel un aigle l’observait de son regard d’ambre, si semblable au sien. Paniqué, Akodo écrivit le message convenu, jurant copieusement tandis que le tremblement de ses doigts faussait son écriture. Il attacha rapidement le petit parchemin à la patte de l’oiseau, enfila à son bras droit un épais gant de cuir qui était accroché sur le mur et fit se percher l’aigle sur son bras. Il parvint à réfréner sa hâte pour éviter d’affoler le messager, et une fois parvenu à la fenêtre, lui chuchota ces mots, d’une voix aussi calme que possible.
-A Konoha, aussi vite que tu peux !
D’un geste sec du bras il fit s’envoler l’espoir, qui fonça à tire d’ailes sur les vents. Akodo le regarda un instant s’éloigner, priant de toute son âme qu’il arrive à temps, puis redescendit l’échelle en trombe sans prendre le temps d’enlever le gant. Il mit en œuvre toutes les leçons et conseils de sa mère, et rassembla tout ce qu’il avait appris en 18 ans, et parvint à glisser sur les airs, de toit en toit, à la manière des ninja, d’un pas aérien inconnu des simples mortels, plus vite qu’il n’avait jamais été. Mais sa course, aussi spectaculaire soit-elle, lui semblait toujours trop lente : il avait un mauvais pressentiment. Il fallait qu’il arrive là-bas à temps. Il ne savait pas pourquoi, il ne savait ce que sa présence changerait au combat. Tout ce qu’il savait, c’était que ses tripes lui hurlaient de se presser, que quelque chose de terrible allait se passer s’il n’arrivait pas là-bas plus vite que ça, plus vite !!
Mayumi commença à s’inquiéter. Pour autant qu’elle pouvait en juger, elle n’aurait bientôt plus assez de chakra pour garder le rythme. Elle savait que ça allait être dur, mais pas à ce point-là : bon sang, cette horreur était rapide ! Malgré sa maîtrise du taijutsu, elle devait dépenser ses forces pour continuer à combattre efficacement : non seulement cette chose était un mélange parfait de force, de résistance et de rapidité, mais en plus le corps-à-corps était deux fois plus difficile face à ce satané regard. Mayumi était forcée d’abandonner le pouvoir de vigilance et de combattre en faisant constamment attention à la position de son visage. Si pour elle le combat était deux fois plus difficile, pour les villageois il n’y avait aucun espoir.
Elle tenta de se calmer et de faire le bilan de la situation. De la quinzaine de villageois qui avait commencé le combat à ses côtés, seul 3 restaient. Si elle n’était pas en pleine bataille, Mayumi aurait fait plus que de les pleurer, mais elle ne pouvait faiblir maintenant. La rue était jonchée de statues aux membres brisés, des visages pétrifiés ornés qui exprimaient une horreur grotesque, à présent éternelle, et de cadavres démembrés et déchiquetés. Le sol était rouge de sang. Mais malgré tous ces sacrifices courageux, le monstre tenait toujours debout. Elle ne pouvait pas faiblir : ils ne devaient pas être morts en vain. C’était à elle de protéger ceux qui étaient encore vivants. Les femmes et les enfants. Et son fils. C’était à elle de protéger ce village.
La bête boitait sur une jambe brisée, et un de ses bras était presque arraché. Mayumi décida d’en finir. Elle fit un signe de tête à son époux, qui tint sa hache prête. Elle ferma les yeux forma une courte série de sceaux, faisant en un éclair circuler son chakra dans ses poumons. Elle prit une grande inspiration tandis que la poussière s’envolait en tourbillons et formait de fugitifs symboles cabalistiques dans l’air. Les mains de Mayumi invoquèrent la puissance du Tigre...
Katon ! Karyûdan !!
Elle souffla de toutes ses forces et une longue ligne de feu flamboyant frappa le démon de plein fouet, l’envoyant s’écraser contre le mur d’une maison voisine. Mayumi poussa un soupir de soulagement tandis que son mari se précipitait, hache à la main, pour achever le monstre qui, semblait-il, ne bougeait plus.
Akodo acheva à cet instant ce qui lui avait semblé durer des heures, et parvint à la sortie du village, et il aurait pu se calmer si seulement il n’avait pas tant mis son cœur à l’épreuve de sa course effrénée. La vue d’un tel champ de ruines et de cadavres ne suffit pas à gâcher la joie qu’il avait de voir que ses parents étaient en vie, et que sa mère avait réussi, une fois de plus, à protéger le village.
Mais le destin se fit un plaisir de fouler sa joie jusqu’à ce que mort s’en suive. Dans un sursaut d’une rapidité inhumaine, le démon frappa le père d’Akodo de son long bras. Malgré le vacarme que firent la destruction de la maison et le rugissement de la bête, Akodo entendit avec une clarté abjecte le craquement d’arbre blessé que firent les os de son père.
Mayumi, horrifié, poussa un cri à peine audible, mais dans lequel on sentait son cœur se briser, tout comme le corps de son époux. Animé d’une vivacité terrifiante malgré ses blessures, le monstre se releva, la prit dans sa large main et la porta à ses yeux.
Le temps s’arrêta pour Akodo tandis qu’il voyait sa mère se débattre, de plus en plus faiblement tandis que le froid envahissait ses membres. Elle était de dos, mais le jeune homme put voir dans son âme son visage s’orner de cette expression d’horreur figée. Sans réfléchir, obéissant à son instinct qui voyait avec clarté sa main droit toujours gantée, il porta la main gauche à sa ceinture. Il était droitier, mais ce détail n’avait pas d’importance : il était totalement insignifiant face à l’urgence qui guidait son bras.
Les deux étoiles d’acier qu’il lança avec une précision parfaite finirent leur course dans les yeux maudits du démon. Mais il était déjà trop tard. Il recula en vacillant et laissa tomber une Mayumi pétrifiée, changée en statue immaculée. Akodo se rua vers elle, trop lentement pour l’empêcher de se briser sur le sol.
De la statue de sel qui avait été sa mère, il ne restait plus rien. Plus rien de sa mère. Rien d’autre que le souvenir d’elle, des 18 ans qu’elle avait passé à veiller sur lui et sur le village, le souvenir de son amour et de sa franchise. Il ne restait rien d’autre que tous ces souvenirs heureux, souillés par sa mort. Les pleurs d’Akodo se changèrent en hurlement rauque tandis qu’ils montaient le long de sa gorge. Il eut l’impression que son âme vieillissait de plusieurs siècles, jusqu’à se dessécher comme ce qui restait de son corps. Tous ces souvenirs lui semblaient être du mercure brûlant, coulant dans ses veines et consumant son corps, maintenant qu’ils n’étaient plus que souvenirs du deuil, de sa mort, de cette souffrance qui était tout ce qui restait d’elle. Les souvenirs n’étaient plus que des lames chauffés à blanc qui semblaient mutiler chaque partie de son corps et tracer de longues cicatrices dans son âme.
Et ce bruit, ce bruit qui lui vrillait les oreilles, ce sifflement entêtant et qui allait en s’amplifiant, qui aurait peut-être pu être le bruit de ses pleurs, s’il n’avait pas été celui de sa douleur changée en rage, en rancœur et en colère. Il sentait son corps se consumer dans le brasier de sa colère et en ressortir, puissant et terrible.
Une unique larme coula sur sa joue droite, et la douleur et la rage semblèrent la clouer sur sa peau. Une énergie formidable se déversa de son âme dans son corps, se frayant un chemin jusqu’à l’extérieur, l’enveloppant et l’enlaçant de son étreinte brutale. Quelques chose s’échappa du tas de sel, deux pierres jumelles qui tracèrent en un court instant deux balafres croisées sur sa joue droite, crucifiant la larme qui y restait figée.
Il sentit son être se déchirer, et cette douleur réclamait le remède. Le remède à sa souffrance… Lorsqu’il posa les yeux sur le démon, il sentit que son propre regard avait changé. Tout son corps et son âme brûlait d’une soif terrible, une soif de souffrance et de mort : seule la douleur de ce monstre pouvait apaiser la sienne.
Il entendit vaguement les villageois survivants hurler d’horreur, il les sentit tomber à terre, mais il ne s’en soucia pas. Il vit les statues se ternir et tomber en poussière autour de lui, il vit les arbres se racornir et l’air se troubler, devenir si flou qu’il semblait solide et soulever les pierres en tourbillons qui lui écorchaient le visage. Mais le monde pouvait mourir, il n’avait pas d’importance.
Tout ce qu’Akodo voyait, c’était le démon se tordre de douleur, suffoquer, tomber à terre dans des spasmes d’une souffrance infinie. Et tout ce qu’il entendit fut un rire réjoui, un rire cruel et sadique qu’il savait être le sien. Et tout ce qu’il sentit fut la vie quitter les alentours, quitter le corps du monstre, sa souffrance venir apaiser sa soif de mort. Mais ce qu’il ressentit par-dessus tout fut sa joie, une joie immense et délicieuse tandis que le monde semblait mourir autour de lui… et ce bruit, ce bruit qui était devenu son rire, son souffle, les battements même de son cœur, de sa vie…
Plus tard les shinobis de Konoha lui diraient que lorsqu’ils étaient arrivés au village, ils avaient su immédiatement qu’il était trop tard. Dans la rue à moitié dévastée, il ne restait que quelques rochers, des cadavres d’hommes desséchés, une colossale carcasse pourrissante, et au milieu de ce champ de désolation, il y avait un jeune garçon aux cheveux roux, inconscient. Mais sur son visage on pouvait voir une blessure en forme de croix, et à côté de lui, quelque chose brillait dans la poussière. Deux pierres jumelles, deux gemmes immaculés, deux lacs de nacre sans fond qui autrefois avaient été les yeux de sa mère. Et rien ne vivait aux alentours. Tout était mort.
Asano Akodo, 17 ans, orphelin.
L’année suivante avait été très différente. Sa vie avait changé. Le village avait changé. Cette journée était restée gravée dans leur mémoire, la cicatrice du souvenir. Et dans ce souvenir, il n’était plus le fils de celle que les avait protégé pendant près de 20 ans. Il était ce garçon étrange, cet être qui avait terrassé le démon. Mais il était surtout celui qui avait dévoré les quelques pauvres diables qui avaient survécu à cette bataille. Tout le village en avait parlé pendant des mois : il ne restait que de la poussière, et il était le seul à avoir survécu. Il n’y avait pas à chercher bien loin.
Mais si seulement il n’y avait eu que les soupçons et l’inquiétude. Le temps aurait pu y faire. Mais Akodo avait changé, bien plus que le village. Il semblait que la cicatrice de son souvenir était toujours blessure, qu’elle était trop profonde pour que la douleur disparaisse. Il s’était refermé sur sa douleur, dans son regret, et était devenu sombre et solitaire. Il vivait seul, et personne n’osait l’approcher. Mais plus encore, ses souvenirs étaient si vivaces, cette vieille blessure semblait si douloureuse qu’elle s’emparait de lui.
Son deuil ne s’était jamais vraiment achevé, et sa rancœur, sa rage ne s’était pas apaisée. Pas plus que la soif. Cette soif de mort et de souffrance, que le souvenir ranimait sans cesse. Elle se faisait parfois si pressante qu’il regardait les gens différemment, il les dévisageait avec les yeux les plus effrayants qu’ils aient jamais vu, des yeux qui n’étaient pas ceux d’un homme, mais d’un prédateur affamé.
La douleur était grande, et elle entretenait la soif comme du bois sec nourrit et fortifie un feu, tout comme la colère, la frustration et le regret. Et les soupçons des villageois, qui allaient croissants, n’arrangeaient rien.
Et un jour ce fut la crise. Un jour, il n’en put plus, et il céda. Les gens n’étaient plus des gens. Il n’avait plus d’amis, tous s’étaient éloignés de lui. Il ne lui restait que le souvenir de l’amitié. Et comme tous ses souvenirs, ils vieillissaient, devenaient racornis et rabougris, aigris et malsains. C’était un de ces jours où il avait l’impression qu’une bête abjecte était lovée dans ses entrailles, et qu’elle s’agitait, réclamait sa pitance d’une voix avide et amère. C’était un goût étrange dans sa bouche, un petit sifflement entêtant dans ses oreilles, sa vision devenue légèrement floue, c’était une légion de détails et de petits tracas, qui semblaient s’unir dans ses entrailles pour donner naissance à cette chose affamée, cette chose si proche de lui, qui l’appelait par son nom… il l’entendait réclamer dans son âme…
Partout, il ne voyait plus que des gorges et des cœurs qui battaient, qui étaient animés de toute cette vie, cette énergie si douce… une petite douceur pour apaiser cette douleur amère dans sa bouche et son ventre…
Il s’était senti partir, se perdre. Il avait bondi, il avait frappé, il avait agi, il l’avait fait. Et la soif s’était apaisée. C’était simple, et c’était délicieux. Mais la suite ne concernait que lui, maintenant que la bête dans ses entrailles s’était endormie, comblée, satisfaite d’une manière qui lui semblait abjecte à présent.
Il savait qu’ils allaient le tuer, le lyncher, le lapider, se débarrasser de ce nouveau démon, de ce monstre qui accablait leur village à son tour. Il était dégoûté de lui-même, de ce que cette chose lui avait fait faire. Mais il ne pouvait se résoudre à mourir.
Le chef du village était un homme sage. Aussi ne le tua-t-il pas tout de suite. Peut-être était-ce par pitié, peut-être était-ce parce qu’il avait trop peur de ce que ce démon pourrait faire si on s’en prenait à lui. Il devait l’envoyer ailleurs. Là où on saurait s’occuper de lui, d’une manière ou d’une autre, peu importe où, pourvu que ce soit loin. Avant qu’il ne tue, encore une fois.
Konoha. Après tout, Mayumi en était bien revenue meilleure. Ils savaient s’occuper des êtres de ce genre là-bas. Il se contenta de donner le choix à Akodo : soit il allait à Konoha, soit il mourrait ici. Sa vie ici n’avait aucun sens, pas plus que l’enfer. Il n’hésita pas.
C’était la dernière nuit qu’il passait ici. Ses affaires étaient prêtes. Sa vie ici était morte avec sa mère, avec ce qu’il était avant. Ne lui restait que le souvenir. Il espérait qu’il pourrait le rendre moins douloureux. Elle lui avait un peu parlé du village des ninjas, et en bien. Mais c’était il y a 20 ans. Il ne savait pas ce qu’il y trouverait, il espérait juste que ce serait différent d’ici : c’était son lieu de naissance, un petit village calme et hospitalier, là où il avait vécu toute sa vie, là où il avait appris à être heureux. Mais ce n’était maintenant que l’endroit qui lui avait appris la douleur, la haine et l’amertume. Il semblait que tout ce qui était son passé, tout le bonheur n’était qu’un souvenir perdu, dont le deuil engendrait toujours plus de souffrance.
Tout sauf peut-être une chose. Il porta la main à son cou, sous le ciel rempli d’étoiles, les étoiles éternelles et tellement belles, tout comme cette joie qui maintenant paraissait si loin. Il prit dans sa main la petite bourse de cuir qu’il portait en pendentif, et en sortit deux gemmes blanches. Ses yeux étaient morts avec sa mère, mais c’était là tout ce qui ne le faisait pas souffrir : c’était tout ce qui restait d’elle. Ils étaient si profonds, si purs, si morts qu’ils ne reflétaient plus rien, ni joie, ni souffrance.
Ce n’était que des pierres. Il espérait qu’elles pourraient redevenir des souvenirs avec le reste.