Ca m'étonne pour les où/ou...
'fin bon.
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II Orbite externe
Les choses se déroulèrent parfaitement bien pendant presque une journée et demie. Puis, parce que c’était probablement trop beau pour être vrai et ne pouvait donc pas durer, elles se compliquèrent soudainement au milieu de deuxième jour, quand elle trouva Sakatse.
Elle avait voyagé sans s’interrompre –ou, si l’on voulait être tout à fait exact, ne s’interrompant que pour faire aux deux Chasseur de Déserteurs ayant fait l’erreur de la rattraper l’honneur de Sans Nom.
Entrer dans le rôle d’un ninja déserteur –ce qu’elle était à présent- ne s’avéra pas excessivement difficile. Après tout, au lieu de mercenaires d’un autre Pays, c’était simplement des ninjas de son village qui voulaient la tuer. Ce détail mis à part, les choses n’avaient rien de très différent d’une quelconque mission, les tactiques étaient les mêmes, ainsi que le danger constant, le souffle de l’air sur sa peau, l’adrénaline dans son sang. C’était juste la durée de l’exercice qui avait augmenté, rien de plus : à présent c’était une chasse à vie.
Elle n’avait pas suivi de trajectoire rectiligne mais avait raisonnablement erré et feinté, brouillant la piste avec professionnalisme mais sans grande conviction parce que les Chasseurs la rattraperaient de toute manière tôt ou tard, et que valait mieux tôt que tard. Comme cela elle avait eu un peu de distraction pour la garder éveillée et alerte au cap des trente-six heures sans sommeil –toujours difficile- et elle était débarrassée de ses suiveurs pour un bout de temps.
Une journée avait passé, puis une nuit encore, et la brume montant des rizières annonçait une aube nouvelle, grise et fraîche.
Elle s’arrêta sur un remblais le temps de passer une veste par-dessus son yukata, puis repris sa route en marchant sur les étroites berges de terre qui séparaient les rizières. La rosée mouillait ses jambes et ses cuisses nues avec le frôlement des plantes qui croissaient sur les frontières du territoire du riz. Malgré l’absence de sommeil elle se sentait vive et alerte, gaie presque, prête à affronter ce que la journée lui apporterait sabre au clair et sourire aux lèvres.
Ses pas la menaient le long des talus poisseux de boue, légère, et lorsque le sol sous ses pieds se fit plus rocailleux elle abandonna le terrain découvert des rizières au profit de l’escalade des flans escarpés du coteau.
Elle se dirigeait vers le nord, à demi parce qu’elle savait trouver au pays du Riz un abri temporaire, à demi parce que telle était son envie, et que quitte à n’aller nul part, autant le faire avec détermination.
Le Riz n’avait pas de village caché pour assurer sa protection militaire, mais si nul ne l’empêcherait d’y aller à sa guise, il en serait de même pour ses poursuivants –si toutefois ils la suivait jusque là, ce qui n’était pas certain. Les effectifs de la brume devaient avoir été sérieusement touchée, songea-t-elle avec un sourire intérieur tout en agrippant un arbuste pour se hisser –la boue n’offrait pas une bonne prise d’appel. Viendraient-ils après elle ? Risqueraient-ils de nouveaux Chasseurs de Déserteurs ?
Si c’était le cas, ils seraient plus nombreux cette fois, cinq, six peut-être. Et puisqu’elle était seule ils la repèreraient, suivraient sa trace et attendraient qu’elle soit distraite, en position de faiblesse. Qu’elle dorme, qu’elle s’arrête pour uriner ou se débarbouiller dans une flaque…
Elle leur souhaitait bien du plaisir.
Elle mangea sans s’arrêter, grignotant les onigris confectionné par sa mère adoptive et qu’elle avait emballés dans son sac avant de partir l’avant-veille. Il lui faudrait bientôt se ravitailler.
Elle le trouva au détour d’un pan de rocher dans ce qui de loin lui avait semblé marquer un col permettant de passer sur l’autre flan du coteau –c’était d’ailleurs le cas, mais là n’était pas le propos.
Il était effondré sur le dos, à cheval sur trois rocs différents qui devaient tous lui perforer les muscles de manière aussi désagréable les uns que les autres. En le voyant un rire involontaire, nerveux, lui échappa.
Quelle stupidité ! Elle avait fait ses adieux, s’était résolue à tout laisser, et voilà qu’après à peine une journée de désertion elle tombait sur Sakatse en pleine crise de narcolepsie en travers du chemin, sans doute tombé alors qu’il se rendait lui aussi au pays du Riz… C’était trop drôle. Incommensurablement ironique. Elle avait peut-être bien offensé un dieu ou un autre sans s’en rendre compte.
Elle s’approcha prudemment, une main prête à se refermer sur la poignée de Sans Nom et à dégainer en une fraction de seconde. Il ne bougea pas.
Comme de juste il était couvert des pieds à la tête de sang que l’humidité de la rosée et la traversé des rizières avaient à peine commencé à diluer, et il tenait encore Bakemono en main, sa lame nue trop maculée pour refléter ne serait-ce qu’un fragment de ciel. Son crâne chauve de colosse reposait contre la pierre, et la tête renversée vers l’arrière, la gorge offerte à tous, il ronflait comme un bienheureux, sa large poitrine s’élevant et s’abaissant en rythme.
Agile comme un chat, elle escalada l’un des rocs qui surplombait le passage, et saisissant une pierre visa soigneusement.
Le caillou toucha le crâne chauve juste au-dessus de l’arcade sourcilière, et pendant presque trente secondes Sakatse ne frémit même pas. Puis un spasme le parcouru, il se redressa à demi, et dans un arc parfait Bakemono vint décapiter un épais rocher ayant eu le malheur de se trouver sur sa trajectoire.
Après quoi il retomba en arrière et se remit à ronfler comme une scierie industrielle.
Avec un soupire Kô se rassit plus confortablement sur son rocher, les jambes pendant dans le vide. C’était une sacrée crise de narcolepsie… Elles n’étaient pas extrêmement fréquentes, et d’habitude on parvenait à le réveiller un peu en lui lançant des trucs dessus puisqu’un instinct de survie résiduel le poussait à pourfendre tous ceux assez fous pour s’approcher de trop près… Il devait avoir sérieusement outrepassé ses réserves de chakra la nuit précédente.
À vrai dire elle se demandait même comment il avait fait pour aller aussi loin du pays de l’Eau avant de s’effondrer. Comme elle il avait dû fonctionner sur ses réserves d’adrénaline et de la pure obstination, la seule différence entre eux (à part le fait qu’il faisait quatre-vingt-cinq kilos et elle à peine quarante) étant qu’il avait une fâcheuse tendance à souffrir de narcolepsie chronique durant les heures suivant un combat lorsqu’il avait trop utilisé sa capacité héréditaire et ouvert trop de porte –et accessoirement tué trop de gens.
Et bien évidemment il avait fallu qu’il vienne faire sa crise en plein milieu de son chemin à elle.
La question à présent était : que faire de lui ?
Elle envisagea un instant d’attirer les Chasseurs de Déserteurs et de prendre le large, ou plus simplement de le laisser là, ce qui reviendrait au même : que leur traces se rejoignent doublait la probabilité de voir des poursuivants débarquer… Et il constituerait certainement un puissant élément…
perturbateur pour les pisteurs lancés à ses trousses à elle (si toutefois il ne se faisait pas égorger dans son sommeil comme cela semblait bien parti pour être le cas). Si elle s’y prenait bien, c’était sa chance de semer définitivement les Chasseurs.
Mais d’autre part, ils étaient des Sabreurs… et si elle le laissait là, il risquait d’éviscérer par réflexe un malheureux passant…
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Quand Sakatse revint à lui six bonnes heures plus tard, elle lui lança une pierre pour tester son niveau de réactivité. Bakemono trancha le rocher en deux en plein vol, et les moitiés ainsi créées atterrirent respectivement sur son ventre et son front avant de rouler par terre. Ce n’était pas encore tout à fait ça, mais il y avait indubitablement du mieux.
« Je descend, » annonça-t-elle. « Évite d’essayer de me décapiter tu veux ? »
Elle atterrit avec légèreté à ses côtés (une main sur la poignée de Sans Nom tout de même, pour le cas pas si improbable où l’ouie de Sakatse n’aurait pas encore été tout à fait aussi réactive que sa lame), et lui fila un coup de pied dans la cuisse.
« Debout Sa, j’ai autre chose à faire que te surveiller pendant que tu fais la belle au bois dormant. »
Comme elle était aussi légère et peu musclée que lui était massif, le coup de pied n’eut pas d’autre effet notable que de le pousser à soulever une paupière, ce qui était son but, et de lui arracher un grognement largement inintelligible qui ressemblait à «Heinquoikô ?»
« Ho, Sakatse ! »
Elle tenta sa chance et s’accroupit à côté de lui –après un épisode de narcolepsie, il était rarement d’humeur meurtrière.
« Debout, ou je t’abandonne aux Chasseurs de Déserteurs. »
Avec un ahanement étouffé, il arracha son dos aux pierres aigues sur lesquelles il était étendu et passa en position assise. Son regard glissa sur Kô, s’attarda sur sa lame bien aimée puis explora rapidement le paysage les entourant (qui d’où ils se trouvaient était principalement constitué de rochers et de buissons bouchant toute perspective).
« Ha, » marmonna-t-il, « ‘lut Kô. Qu’estu fais là ? »
« La question serait plutôt : pourquoi par tous les Dieux as-tu choisi mon chemin pour faire ta putain de crise de narcolepsie, hein ? »
Son ton était inhabituellement acide et agressif, et le géant chauve lui lança un regard qu’elle ignora en se remettant debout.
« Hé, du calme petite Kô. Je n’avais aucune idée que tu viendrais vers le Riz… T’aurais pas de l’eau ? »
Sans répondre elle lui lança sa gourde qu’il attrapa au vol et vida en trois longues gorgées.
Tandis qu’il buvait elle regagna les hauteurs de son rocher et se réinstalla les jambes pendant dans le vide. La journée était à présent bien avancée et le soleil donnait pleinement sur son perchoir. Elle se faisait l’effet d’être un lézard géant à se gorger ainsi de chaleur, mais n’en avait pas grand-chose à faire. Sa bonne humeur de l’aube était envolée, et elle se sentait presque d’insulter Sakatse jusqu'à ce que la (mince) couche de vernis civilisé disparaisse au profit du psychopathe en dessous. Ainsi elle aurait un beau combat et rien à regretter quand elle serait de nouveau seule.
Sakatse passa sa langue sur ses lèvres et lui relança distraitement sa gourde. D’un geste sec elle s’en saisit et la posa à côté d’elle tandis que le ninja aux vêtement souillés de sang reportait son attention sur sa lame bien-aimée.
«Ah, beauté, ne pleure pas, je vais te nettoyer, un peu de sang ce n’est pas grand chose, pas suffisamment pour que tu rouilles hein ? On s’est bien amusé hier pas vrai ? » Il sourit. « On leur a appris ce qu’était la vraie peur, hein ma toute belle, et on leur a ouvert le ventre. Ils ne t’oublieront pas de sitôt, tous… Tu n’as plus soif à présent, hum ? C’était du sang riche, nous nous sommes bien abreuvés… »
À présent que Sakatse était retourné à son état normal –à savoir névropathe avec un fétiche pour le sang et pour son épée de deux mètres de long- elle pouvait reprendre la route. Inutile de perdre plus de temps qu’elle n’en avait déjà gâché.
En contrebas le Sabreur chauve avait entrepris de nettoyer sa lame avec une minutie frôlant l’obsession, récurant le moindre creux de la poignée jusqu’à ce que toute trace de sang séché ait finalement disparu. (Il était par contre toujours aussi couvert de sang, mais contrairement à Bakemono elle savait qu’il n’en avait rien à faire. Peut-être ne s’en était-il même pas rendu compte.)
Il appuya délicatement la poignée de Bakemono contre le rocher de Kô, fit quelques pas, et entreprit de se soulager contre l’arbre le plus proche. Le kunai lancé par Kô lui frôla l’aile du nez et s’enfonça jusqu’à la garde dans le bois.
« Va pisser ailleurs. Je n’ai qu’une envie modérée d’avoir une vue plongeante sur tes parties génitales. »
Il désengagea le kunai du bois dur avec une petite moue d’effort –elle avait mis du chakra dedans- et le lui renvoya par dessus son épaule.
« T’es pas obligé de regarder, petite Kô, et si je vais plus loin je risque de marcher sur un piège que t’as posé. » fit-il remarquer sur le ton de l’évidence.
« Tu es un ninja, » rétorqua la jeune fille de son habituelle voix neutre, «C’est ton boulot de ne pas marcher sur les pièges...» A vrai dire elle n’en avait d’ailleurs pas posé tant que cela parce que ses ressources en matériel risquaient de se faire rares dans les temps à venir, et qu’il aurait été stupide de gâcher du fil ou des explosifs sans un but spécifique. Mais il n’y avait bien entendu aucune raison pour qu’elle mette Sakatse au courant.
Il haussa les épaules sans répondre et elle poussa sur ses bras pour se remettre debout.
« Bien, puisque te voilà revenu dans le monde des vivants, je te laisse en tête à tête avec Bakemono. Évite de te redormir sur mon chemin la prochaine fois, tu veux ? En fait évite mon chemin tout court… » Elle sauta jusqu’à un second rocher et s’immobilisa un instant. « Ha, et pas la peine de chercher ta bouffe, considère ça comme mon paiement pour les six heures que tu m’as fait perdre. »
Et sans attendre sa réaction elle prit le large de toute sa vitesse, passant d’arbres en rocs dans une course souple, laissant le grand ninja face à son arbre, le sexe à moitié sorti de son pantalon.
« Je t’égorge la prochaine fois que je te vois, sale gamine ! »
Le vent porta la réponse.
« T’avais qu’à être éveillé pour m’empêcher de la prendre ! »
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Son irritation irrationnelle la porta loin, et lorsque son pas s’allégea enfin et qu’elle regarda de manière plus consciente autour d’elle, le relief montagneux autour d’elle avait fait place à une plaine peu vallonnée et humide, couverte d’une végétation luxuriante qui poussait entre les rizières, et le déclin du soleil était bien entamé. Sans même s’en rendre compte elle avait adapté son allure au terrain et depuis presque deux heures elle avait progressé sous le couvert des zones non cultivées, silencieuse et invisible pour les rares silhouettes courbées sur les plants de riz.
Perchée en équilibre instable sur un talus éboulé dominant une fondrière, elle se força à reprendre le contrôle de sa respiration, repoussant dans un souffle les derniers résidus de sa colère tout au fond de son esprit. Ce fut facile, sa colère était fragile et vaine, comme une coquille désertée, et elle s’effondra sans résistance quand elle la chassa, ne laissant derrière elle qu’un vide dont Kô savait pouvoir s’accommoder.
Si elle choisissait de donner toute sa vitesse et qu’elle avançait sans détour, elle pourrait être hors du Riz en deux jours et aurait mis un pays entre elle et la Brume –c’était certainement ce qu’on s’attendait à la voir faire et ce que Sakaste (connard) avait prévu en se dirigeant par là.
Ce n’était pas une solution qui lui plaisait.
En se basant sur la position du soleil et les sommets couronnés de lumière derrière elle, elle établit un azimut et prit plein est, à angle droit de sa trajectoire actuelle, au travers du lit des rizières inondées et abandonnées par les paysans.
Elle repartit à un rythme plus raisonnable, alternant la marche normale –la boue avalait toutes traces- et le déplacement sur l’eau quand elle était fatiguée de patauger et qu’elle était certaine que personne ne pourrait la voir. Elle ne s’arrêta ce soir-là ni le lendemain que pour grignoter les rations qu’elle avait volées à Sakatse et reprendre des pilules du soldat, profitant du vide de son esprit pour pousser son corps au maximum.
Lorsque le quatrième jour elle émergea finalement de la zone inondée, le soleil était bas et embrasait l’horizon et les rizières de pourpres. Cela faisait à présent près de quatre-vingt seize heures depuis les combat et son départ, et même marcher sur l’eau commençait à lui demander plus d’énergie que lutter contre la vase vorace. Sa blessure au bras avait enfin commencé à cicatriser, mais la douleur dans ses côtes fêlées était à présent constante, sourde. Il fallait qu’elle accorde à son corps le repos dont il avait besoin pour se remettre.
Elle dormit cette nuit-là roulée en boule dans les branches mi-hautes d’un arbre, et malgré les alentours totalement piégés et la fatigue qui l’écrasait, son sommeil fut léger et difficile. Il n’y avait personne pour veiller tandis qu’elle prenait son tour de repos, et tous les pièges du monde n’égalaient pas le garde d’un frère d’arme. Cette nuit-là et les suivantes la moindre interruption dans les croassements nocturnes des crapauds-buffles l’arrachèrent au sommeil, et lorsque juste avant l’aube un petit cervidé entra dans l’eau cinq cents mètres plus loin elle fut en alerte avant même que le bruit de la gerbe soit totalement retombé, sans espoir de se rendormir.
Mais si son esprit n’avait que peu de repos, les quelques heures grappillées chaque nuit suffisaient à son corps, et elle repartait le matin à la fraîche, sous le ciel gris qui se nimbait d’or.
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Au bout de dix jours de pérégrinations lentes, presque à la vitesse d’un escargot –ou d’un civil mais c’était la même chose-, elle était certaine que les Chasseurs avaient bel et bien perdu sa trace. Au huitième jour, elle avait rejoint une voie marchande peu fréquentée qui serpentait d’un minuscule village à l’autre et l’avait suivie de loin, évitant soigneusement les cabanes sur pilotis. Mais quand la voie atteignit le bourg bien plus important d’Aizawa, elle décida d’y entrer.
Si elle avait choisi de se débarrasser de Sans-Nom et de ses armes, elle aurait tout aussi bien pu devenir invisible. Ce n’était un secret pour personne qu’elle n’avait pas physiquement le profil ninja. Avec son yukata gris et ses cheveux coupés courts elle n’avait plus rien d’une guerrière, elle n’était qu’une gamine, une fille de ferme que personne ne voyait. Elle pourrait se ravitailler sans risque, peut-être trouver un apothicaire et encore mieux un lit pour la nuit.
Au contraire, armée…
Les ninjas mâles n’étaient pas si rares, et nul ne se risquait à les observer trop longtemps. Dans le meilleur des cas on murmurait “Ha oui, un ninja est passé par là hier..” et c’était tout. A l’opposé les kunoichi attiraient bien plus l’attention, surtout lorsque comme elle elles n’avaient pasl’air d’avoir les compétences physiques allant avec les armes… (cela dit, qu’elle soit armée ou en civil, les gens remarquaient toujours Katsuko…) Mais si elle ne dissimulait pas son équipement, les gens se souviendraient forcément d’elle.
Elle pénétra dans Aizawa par la porte principale, toute armée.
C’était Tsuishou qui avait mentionné la ville pour la première fois, près d’un an auparavant alors qu’ils repéraient les points de ralliement possibles pour une mission qui devait les mener au cœur du Riz. Ladite mission avait été un succès –et un bain de sang- mais elle s’était finalement achevée à Senshouka, la capitale des Milles Chants, à près d’une centaine de kilomètres à l’ouest, et Aizawa ne leur avait jamais servie.
Comme Tsuishou l’avait décrite, la ville était un carrefour important et fréquenté, suffisamment grande pour que le passage d’une troupe de ninjas ne constitue pas l’événement du jour –et si Aizawa n’avait pas changé depuis qu’il lui en avait parlé, cela ne serait certainement pas le cas…
Elle commença par chercher un apothicaire dans le centre de la bourgade, auquel elle acheta de l’huile de lin pour Sans-Nom et des onguents de cicatrisation pour elle-même. La boutique était claire et aérée, visiblement prospère, et le marchand ne vendait évidemment pas de pilules du soldat. Cela ne posait toutefois pas de problème, car elle avait dépouillé les corps de Chasseurs de déserteurs qu’elle avait tués une semaine auparavant et sa réserve n’était de toute façon pas en danger immédiat. Quand le besoin s’en ferait sentir elle en trouverait au noir facilement. C’était l’un des avantages de se trouver dans un pays qui n’avait pas de village ninja et abritait notoirement toute une faune de mercenaires et d’apatrides. Le marché parallèle prospérait, et si on savait où chercher on pouvait se procurer de tout.
Elle hésita un instant sur l’opportunité de chercher un armurier. Son wakisashi avait sonné bizarrement lorsqu’elle avait affronté l’un des anbus au village, et depuis elle avait eu l’impression qu’il rendait une note un peu fêlée lorsqu’elle avait affronté les Chasseurs. Un examen attentif lui avait révélé que la lame de son sabre court avait été abîmée par celle de l’anbu. À présent le risque était réel qu’il casse en combat, et se procurer une lame neuve pourrait s’avérer utile… Mais aller chez l’armurier représentait également une prise de risque importante. Autant se rendre chez l’apothicaire avait été tout à fait sûr, autant les armuriers étaient rares, et infiniment plus susceptibles d’être interrogés par les Chasseurs.
Sans-Nom n’était pas comme Shine, Shamehada, Bakemono ou même le zambato de Zabuza dont la puissance, la spécificité étaient visibles même du plus inculte des civils. Mais elle n’en était pas pour autant banale, et un armurier, s’il était bon, le verrait au premier coup d’œil. Shine et les autres étaient de lames anciennes et puissantes dont le nom et la trace sanglante pouvait être suivit au cour des générations. Si elle en avait jamais possédé un, celui de Sans-Nom s’était depuis longtemps perdu, mais il n’en restait pas moins évident que c’était une arme ancienne, spéciale. Bien trop à même d’attirer l’attention d’un armurier s’il était un peu observateur. Et il était hors de question qu’elle l’abandonne ne serait-ce qu’une seule seconde. Plutôt crever.
Le wakizashi attendrait décida-t-elle.
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Elle localisa facilement l’auberge qu’elle cherchait. Tsui n’avait donné aucune indication, mais elle était sise dans un quartier excentré du cœur commerçant de la ville, un peu décati, là ou la peinture des maisons pelait par plaques lépreuses.
Elle n’aurait pu être que le repère des gagne-petit locaux, mais alors qu’elle avait descendu les deux marches et s’apprêtait à entrer, un gros homme émergeant de la taverne manqua de la bousculer. Sa capuche cachait ses traits, mais le sursaut instinctif qu’il eut pour s’écarter d’elle fit glisser les pans de sa veste, révélant un bref instant une tunique brodée des symboles traditionnels des marchants du Pays des Vagues.
Pas de doute, elle était au bon endroit.
La pièce était longue et sombre, à dessein mal éclairé par deux ampoules nues qui pendaient du plafond mais ne fournissaient pas assez de luminosité pour repousser entièrement l’ombre. Elle sentait le saké de mauvaise qualité, le cuir et la sueur. Quelques têtes se tournèrent vers elle quand elle entra, avant de s’en désintéresser tout aussi vite et le brouhaha repris, mélange de murmures assourdis, de rires et de bruits de mastication.
Tandis qu’elle se glissait sur un tabouret haut tout au bout du bar, dos au mur, l’étau d’un regret aigu l’envahit soudain, le regret d’un endroit similaire qui ne serait jamais plus, de rires qui ne l’accompagnaient pas, et la solitude la frappa comme une vague. Flux, reflux, avant qu’elle ne la bannisse avec férocité.
Preuve supplémentaire qu’elle avait trouvé le bon endroit, le patron ne s’inquiéta nullement de son âge, simplement de savoir si elle avait de quoi les payer lorsqu’elle commanda une coupe de mauvais saké pour accompagner ses nouilles sautées. Tout en sirotant parcimonieusement le liquide tiède elle examina ouvertement la salle au plafond bas, notant les silhouettes tendues, penchées sur les tables, les conversations à mi-voix et les éclats de rire occasionnels, l’angle le plus sombre où devaient se conclure les accords –et d’où venait certainement le marchand qu’elle avait vu en entrant. Elle nota en passant la très vielle femme courbée sur l’une des tables les plus proches. Dans le fond un homme lui rendit son regard, puis le laissa glisser le long de son corps, jusqu’à la poignée de son sabre court. Elle soutint un instant ses yeux, puis se détourna délibérément quand le patron vint lui apporter sa nourriture. D’une baguette prudente elle tâta la viande, et se demanda si c’était de la volaille comme l’avait annoncé l’homme, ou du chien.
Mais ce n’avait que peu d’importance. C’était son premier repas chaud depuis plus de dix jours, et chien ou poulet, c’était délicieux.
Quelques minutes plus tard, l’homme qui avait soutenu son regard s’accouda au bar non loin d’elle tandis que le patron remplissait de nouveau son verre et celui de ses compagnons. La cicatrice à demi dissimulée par sa manche droite et son maintien –sans compter le rouleau sanglé dans son dos- laissaient peu de doute quand à sa profession. L’absence de quoi que ce soit qui ressemble de près ou de loin à un bandeau frontal n’en était que plus criante.
Il avait franchi les quelques mètres entre sa table et le bar en cinq longues foulées assurées et légères, se penchant un instant pour murmurer quelque chose à la vieille femme. Il bougeait avec l’infime bravade de l’homme conscient de sa force.
Tandis qu’il attendait ses verres il la scruta posément, sans prendre plus la peine de se dissimuler qu’elle ne l’avait fait. Il fit connaître le résultat de son évaluation d’un ton neutre.
« Ce n’est pas un endroit pour les enfants. »
Il avait une voix basse et un peu rauque, assez agréable. Elle haussa les épaules et pencha la tête d’un petit geste vif. Cela avait été prévisible, et elle ne s’en irrita pas.
« Mais c’en est un pour ceux qui ont des talents à vendre en toute discrétion. »
Il se tue un instant et elle su qu’il la réévaluait, puis il rit, doucement.
« Un genin n’a rien à vendre qui puisse lui apporter une vie satisfaisante ici, crois-moi. Tu as déserté n’est-ce pas ? Qu’est-ce que c’était, le premier assassinat de sang-froid, et au dernier moment tu n’as pas pu ? Tu as paniqué lors d’une mission et pris la fuite quand les choses ont commencé à mal tourner ? Tu ferais mieux d’envisager un changement de carrière gamine. Tu n’as rien à faire ici. »
Il venait d’énoncer les deux causes principales –les seules presque- de désertions chez les genins. Elle soupira intérieurement. Tant que les gens ne l’avaient pas vue à l’action, ils avaient toujours tendance à la sous-estimer dramatiquement pour tout un tas de mauvaises raisons comme le fait qu’elle était une kunoichi, qu’ils avaient généralement le double de son âge, et que (il fallait bien l’admettre) son potentiel d’intimidation laissait quelque peu à désirer... Étrangement, Kisame n’avait pas ce genre de problèmes, lui…
Ce n’était pas une mauvaise chose en soit que d’être sous-estimé –elle adorait leurs visages, l’étincelle de compréhension, d’incrédulité et de peur lorsqu’ils réalisaient leur erreur, trop tard… Mais dans le cas présent cela risquait de poser un sérieux problème pour trouver des contrats.
Elle mordilla pensivement sa lèvre inférieure. D’un côté elle n’avait pour l’instant pas intérêt à trop crier à la ronde qu’elle était un Sabreur, de l’autre il était évident qu’elle allait devoir mettre les choses au clair quant à ses prétentions et ses capacités sous peine de se retrouver au chômage technique.
Évidemment l’un pourrait mener à l’autre, les ninjas n’étaient pas stupides et cela faisait dix jours à présent. La nouvelle devait avoir commencé à circuler, les avis de recherches et la nouvelle édition du Bingo Book devaient déjà avoir été lancés. Ils finiraient bien par additionner un plus un, si elle restait suffisamment longtemps, mais…
S’arrachant à ses pensées elle réalisa que le regard gris du déserteur était posé sur elle, sans doute dans l’attente d’une réaction. Elle haussa de nouveau les épaules et sourit froidement, parfaitement consciente que l’infime durcissement de son maintien, et le changement subtil de l’aura qu’elle émettait ne passeraient pas inaperçus. Elle n’était peut-être pas très impressionnante physiquement, mais si le besoin s’en faisait sentir elle était parfaitement capable de faire reculer un ninja de deux fois sa taille d’un unique regard… Elle ne mit toutefois aucune menace dans sa posture, laissa juste filtrer un peu de dureté, un écho de danger et de détermination accompagnants l’impassibilité.
« Je ne suis pas une genin, et j’ai au contraire parfaitement ma place ici. D’où es-tu ? »
Il hésita un instant, prit de court par sa réponse flegmatique et le changement de sujet. « Nul part, » répondit-il finalement alors que son expression jusque là ouvertement décontractée se durcissait à son tour. « Jamais pour longtemps. »
Il ne lui posa pas de question en retour, et elle n’offrit pas l’information. Le patron déposa sur le bar un plateau chargé des verres de nouveau pleins, et il se leva avec un dernier regard songeur sur elle avant de se détourner et de se diriger vers sa table où une clameur enthousiaste accueillit le retour du sake.
TBC
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Explorer les arcanes du monde des déserteurs s'avère très interessant, et au fur et a mesure je me trouve poussée à explorer des aspects auxquels je n'avait pas songés tout en continuant à suivre les pas de Kô. Je pense nottament au statut du Riz tant que le pays n'a pas de village ninja -puisque Orochimaru n'est n'est pas encore à jouer les kage.
Nous reverrons des personnages connus, mais probablement pas avant une poignée de chapitres.
Les paysages du Riz sont inspirés du Cambodge.