Pour de délicats moments...

Un peu de repos dans ce monde à 200 km/h. Y a-t-il plus grand plaisir que de lire et relire son livre de chevet ? Parle-nous donc ici de tes coups de coeur littéraires, ainsi que de tes BD & Comics favoris.

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Jade Von Memeth
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Message par Jade Von Memeth »

Poème III extrait du recueil "The Black Rider"


In the desert
I saw a creature, naked, bestial,
who, squatting upon the ground,
Held his heart in his hands,
And ate of it.
I said, "Is it good, friend?"
"It is bitter -- bitter," he answered;
"But I like it
Because it is bitter,
And because it is my heart."



Stephen Crane
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Aizen
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Message par Aizen »

Pour fêter une enfance

I

Palmes... !
Alors on te baignait dans l’eau-de-feuilles-vertes ; et l’eau encore était du soleil vert ; et les servantes de ta mère, grandes filles luisantes, remuaient leurs jambes chaudes près de toi qui tremblais...
(Je parle d’une haute condition, alors, entre les robes, au règne de tournantes clartés.)

Palmes ! et la douceur
d’une vieillesse des racines... ! La terre
alors souhaita d’être plus sourde, et le ciel plus profond où des arbres trop grands, las d’un obscur dessein, nouaient un pacte inextricable...
(J’ai fait ce songe, dans l’estime : un sûr séjour entre les toiles enthousiastes.)

Et les hautes
racines courbes célébraient
l’en allée des voies prodigieuses, l’invention des voûtes et des nefs
et la lumière alors, en de plus purs exploits féconde, inaugurait le blanc royaume où j’ai mené peut-être un corps sans ombre...
(Je parle d’une haute condition, jadis, entre des hommes et leurs filles, et qui mâchaient de telle feuille.)

Alors les hommes avaient
une bouche plus grave, les femmes avaient des bras plus lents ;
alors, de se nourrir comme nous de racines, de grandes bêtes taciturnes s’ennoblissaient ;
et plus longues sur plus d’ombre se levaient les paupières...
(J’ai fait ce songe, il nous a consumés sans reliques.)


II

Et les servantes de ma mère, grandes filles luisantes... Et nos paupières fabuleuses... Ô
clartés ! ô faveurs !
Appelant toute chose, je récitai qu’elle était grande, appelant toute bête, qu’elle était belle et bonne.
Ô mes plus grandes
fleurs voraces, parmi la feuille rouge, à dévorer tous mes plus beaux
insectes verts ! Les bouquets au jardin sentaient le cimetière de famille. Et une très petite sœur était morte : j’avais eu, qui sent bon, son cercueil d’acajou entre les glaces de trois chambres. Et il ne fallait pas tuer l’oiseau-mouche d’un caillou... Mais la terre se courbait dans nos jeux comme fait la servante,
celle qui a droit à une chaise si l’on se tient dans la maison.

... Végétales ferveurs, ô clartés ô faveurs !...
Et puis ces mouches, cette sorte de mouches, vers le dernier étage du jardin, qui étaient comme si la lumière eût chanté !

...Je me souviens du sel, je me souviens du sel que la nourrice jaune dut essuyer à l’angle de mes yeux.
Le sorcier noir sentenciait à l’office : « Le monde est comme une pirogue, qui, tournant et tournant, ne sait plus si le vent voulait rire ou pleurer... »
Et aussitôt mes yeux tâchaient à peindre
un monde balancé entre des eaux brillantes, connaissaient le mât lisse des fûts, la hune sous les feuilles, et les guis et les vergues, les haubans de liane,
où trop longues, les fleurs
s’achevaient en des cris de perruches.


III

... Puis ces mouches, cette sorte de mouches, et le dernier étage du jardin... On appelle. J’irai... Je parle dans l’estime.
— Sinon l’enfance, qu’y avait-il alors qu’il n’y a plus ?
Plaintes ! Pentes ! Il y
avait plus d’ordre ! Et tout n’était que règnes et confins de lueurs. Et l’ombre et la lumière alors étaient plus près d’être une même chose... Je parle d’une estime... Aux lisières le fruit
pouvait choir
sans que la joie pourrît au rebord de nos lèvres.
Et les hommes remuaient plus d’ombre avec une bouche plus grave, les femmes plus de songe avec des bras plus lents.

... Croissent mes membres, et pèsent, nourris d’âge ! Je ne connaîtrai plus qu’aucun lieu de moulins et de cannes, pour le songe des enfants, fût en eaux vives et chantantes ainsi distribué... À droite
on rentrait le café, à gauche le manioc
(ô toiles que l’on plie, ô choses élogieuses !)
Et par ici étaient les chevaux bien marqués, les mulets au poil ras, et par là-bas les bœufs ;
ici les fouets, et là le cri de l’oiseau Annaô — et là encore la blessure des cannes au moulin.
Et un nuage
violet et jaune, couleur d’icaque, s’il s’arrêtait soudain à couronner le volcan d’or,
appelait-par-leur-nom, du fond des cases,
les servantes !

Sinon l’enfance, qu’y avait-il alors qu’il n’y a plus ?...


IV

Et tout n’était que règnes et confins de lueurs. Et les troupeaux montaient, les vaches sentaient le sirop-de-batterie... Croissent mes membres
et pèsent, nourris d’âge ! Je me souviens des pleurs
d’un jour trop beau dans trop d’effroi, dans trop d’effroi !... du ciel blanc, ô silence ! qui flamba comme un regard de fièvre... Je pleure comme je
pleure, au creux de vieilles douces mains...
Oh ! c’est un pur sanglot, qui ne veut être secouru, oh ! ce n’est pas cela, et qui déjà berce mon front comme une grosse étoile du matin.

... Que ta mère était belle, était pâle
lorsque si grande et lasse, à se pencher,
elle assurait ton lourd chapeau de paille ou de soleil, coiffé d’une double feuille de siguine,
et que, perçant un rêve aux ombres dévoué, l’éclat des mousselines
inondait ton sommeil !

... Ma bonne était métisse et sentait le ricin ; toujours j’ai vu qu’il y avait les perles d’une sueur brillante sur son front, à l’entour de ses yeux — et si tiède, sa bouche avait le goût des pommes-rose, dans la rivière, avant midi.
... Mais de l’aïeule jaunissante
et qui si bien savait soigner la piqûre des moustiques,
je dirai qu’on est belle, quand on a des bas blancs, et que s’en vient, par la persienne, la sage fleur de feu vers vos longues paupières
d’ivoire.

... Et je n’ai pas connu toutes Leurs voix, et je n’ai pas connu toutes les femmes, tous les hommes qui servaient dans la haute demeure
de bois ; mais pour longtemps encore j’ai mémoire
des faces insonores, couleur de papaye et d’ennui, qui s’arrêtaient derrière nos chaises comme des astres morts.


V

... Ô ! j’ai lieu de louer !
Mon front sous des mains jaunes,
mon front, te souvient-il des nocturnes sueurs ?
du minuit vain de fièvre et d’un goût de citerne ?
et des fleurs d’aube bleue à danser sur les criques du matin
et de l’heure midi plus sonore qu’un moustique, et des flèches lancées par la mer de couleurs... ?
Ô j’ai lieu ! ô j’ai lieu de louer !
Il y avait à quai de haut navires à musique. Il y avait des promontoires de campêche ; des fruits de bois qui éclataient... Mais qu’a-t-on fait des hauts navires à musique qu’il y avait à quai ?

Palmes... ! Alors
une mer plus crédule et hantée d’invisibles départs,
étagée comme un ciel au-dessus des vergers,
se gorgeait de fruits d’or, de poissons violets et d’oiseaux.
Alors, des parfums plus affables, frayant aux cimes les plus fastes,
ébruitaient ce souffle d’un autre âge,
et par le seul artifice du cannelier au jardin de mon père — ô feintes !
glorieux d’écailles et d’armures un monde trouble délirait.
(... Ô j’ai lieu de louer ! Ô fable généreuse, ô table d’abondance !)


VI

Palmes !
et sur la craquante demeure tant de lances de flamme !

... Les vois étaient un bruit lumineux sous-le-vent... La barque de mon père, studieuse, amenait de grandes figures blanches : peut-être bien, en somme, des Anges dépeignés ; ou bien des hommes sains, vêtus de belle toile et casqués de sureau (comme mon père, qui fut noble et décent).
... Car au matin, sur les champs pâles de l’Eau nue, au long de l’Ouest, j’ai vu marcher des Princes et leurs Gendres, des hommes d’un haut rang, tous bien vêtus et se taisant, parce que la mer avant midi est un Dimanche où le sommeil a pris le corps d’un Dieu, pliant ses jambes.

Et des torches, à midi, se haussèrent pour mes fuites.
Et je crois que des Arches, des Salles d’ébène et de fer-blanc s’allumèrent chaque soir au songe des volcans,
à l’heure où l’on joignait nos mains devant l’idole à robe de gala.

Palmes ! et la douceur
d’une vieillesse des racines... ! Les souffles alizés, les ramiers et la chatte marronne
trouaient l’amer feuillage où, dans la crudité d’un soir au parfum de Déluge,
les lunes roses et vertes pendaient comme des mangues.

*

... Or les Oncles parlaient bas à ma mère. Ils avaient attaché leur cheval à la porte. Et la Maison durait, sous les arbres à plumes.

Saint John Perse (1907)
Hyourinmaru
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Message par Hyourinmaru »

Je ne sais pas si je devrais poster ça ici ...
C'est pas vraiment de la poésie.
Bon, disons un poème en prose alors (ouf)
Ca s'appelle « Les pères oublient », ça a été écrit par W. Livingstone Larned.

« Ecoute-moi, mon fils. Tandis que je te parle, tu dors la joue dans ta menotte et tes boucles blondes collées sur ton front moite. Je me suis glissé seul dans ta chambre. Tout à l’heure, tandis que je lisais mon journal dans le bureau, j’ai été envahi par une vague de remords. Et, me sentant coupable, je suis venu à ton chevet.

Et voilà à quoi je pensais, mon fils : je me suis fâché contre toi aujourd’hui. Ce matin, tandis que tu te préparais pour l’école, je t’ai grondé parce que tu te contentais de passer la serviette humide sur le bout de ton nez ; je t’ai réprimandé parce que tes chaussures n’étaient pas cirées ; j’ai crié quand tu as jeté tes jouets par terre.

Pendant le petit déjeuner, je t’ai encore rappelé à l’ordre : tu renversais le lait ; tu avalais les bouchées sans mastiquer ; tu mettais les coudes sur la table ; tu étalais trop de beurre sur ton pain. Et quand, au moment de partir, tu t’es retourné en agitant la main et m’as dit : « Au revoir, papa ! », je t’ai répondu en fronçant les sourcils : « Tiens-toi droit ! ».

Le soir, même chanson. En revenant de mon travail, je t’ai guetté sur la route. Tu jouais aux billes, à genoux dans la poussière ; tu avais déchiré ton pantalon. Je t’ai humilié en face de tes camarades, en te faisant marcher devant moi jusqu’à la maison… « Les pantalons coûtent cher ; si tu devais les payer, tu serais sans doute plus soigneux ! » Tu te rends compte, fils ? De la part d’un père !

Te souviens-tu ensuite ? Tu t’es glissé timidement, l’air malheureux, dans mon bureau, pendant que je travaillais. J’ai levé les yeux et je t’ai demandé avec impatience : « Qu’est-ce que tu veux ? » Tu n’as rien répondu, mais dans un élan irrésistible, tu as couru vers moi et tu t’es jeté à mon cou, en me serrant avec une tendresse touchante que Dieu a fait fleurir en ton cœur et que ma froideur même ne pourrait flétrir… Et puis, tu t’es enfui, et j’ai entendu tes petits pieds courant dans l’escalier.

Et bien ! mon fils, c’est alors que le livre m’a glissé des mains et qu’une terrible crainte m’a saisi. Voilà ce qu’avait fait de moi la manie des critiques et des reproches : un père grondeur ! Je te punissais de n’être qu’un enfant. Ce n’est pas que je manquais de tendresse, mais j’attendais trop de ta jeunesse. Je te mesurais à l’aune de mes propres années.

Et pourtant, il y a tant d’amour et de générosité dans ton âme. Ton petit cœur est vaste comme l’aurore qui monte derrière les collines. Je n’en veux pour témoignage que ton élan spontané pour venir me souhaiter le bonsoir. Plus rien d’autre ne compte maintenant, mon fils. Je suis venu à ton chevet, dans l’obscurité, et je me suis agenouillé là, plein de honte.

C’est une piètre réparation : je sais que tu ne comprendrais pas toutes ces choses si tu pouvais les entendre. Mais demain, tu verras, je serai un vrai papa ; je deviendrai ton ami ; je rirai quand tu riras, je pleurerai quand tu pleureras. Et, si l’envie de te gronder me reprend, je me mordrai la langue, je ne cesserai de me répéter, comme une litanie :

Ce n’est qu’un garçon… un tout petit garçon ! J’ai eu tort. Je t’ai traité comme un homme. Maintenant que je te contemple dans ton petit lit, las et abandonné, je vois bien que tu n’es qu’un bébé. Hier encore, tu étais dans les bras de ta mère, la tête sur son épaule… J’ai trop exigé de toi… Beaucoup trop… »
Ridicule-Dandy a écrit :Car sache le sans Mozart il n’y aurait pas eu les Beatles
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Message par kakashi-style »

Il pleure dans mon coeur


Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?

Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un coeur qui s'ennuie,
Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s'écoeure.
Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.

C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon coeur a tant de peine !

Paul VERLAINE


MA-NI-FIK vraiment rien à dire
Nil Sanyas
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Message par Nil Sanyas »

kakashi-style, mon esprit de pur néophyte ne comprenant pas en quoi ce poème (que je trouve d'une simplicité enfantine) est magnifique, j'aimerais bien une explication de texte sur le pourquoi du comment :mrgreen:
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Aizen
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Message par Aizen »

Hmm puisqu'il n'y a pas eu de réponses, je vais tenter d'expliquer pourquoi ce poême est beau (vaste tâche). Tout d'abord, je considère qu'il faut prendre la poésie comme un art qui doit vous parler, vous toucher directement, éveiller en vous, des sentiments, souvenirs, enfouis que l'auteur a réussi à réveiller. C'est le plaisir pur de la lecture en quelque sorte.

Donc si le poème n'éveille rien chez toi mon cher Nil, alors même avec les meilleurs explications du monde, tu resteras toujours dubitatif quant à la qualité de celui-ci =).

Maintenant on peut s'attarder, sur sa construction régulière en hexasyllabes, avec au début et à la fin de chaque strophe, la même mot qui sert de symétrique à cette strophe. Le troisième vers (qui est une rime riche par rapport au 1er et dernier vers) sert de complément ces deux vers encadrant la strophe et donnant la sonorité générale du poème.

Il n'y a que le deuxième vers, qui contient une rime libre, par rapport au reste de la strophe.

La construction est d'une parfaite lisibilité, le style est fluide, simple.
Je tiens d'ailleurs à signaler que c'est son apparente "simplicité enfantine" qui en fait sa richesse, cela paraît simple mais cela ne l'est nullement, ce poême respecte des codes d'écritures bien précis. Gide disait de Mozart en 1910 ; "Mozart est le musicien dont l'époque nous a le plus éloignés ; il ne parle qu'à demi-mot et le public n'entend plus que les cris". La beauté n'est pas forcement dans l'apparente sophistication, Debussy écrivait "Il faut débarasser la musique de tout appareil scientifique. La musique doit chercher humblement à faire plaisir ; il y a peut-être une grande beauté possible dans ces limites. L'extrême complication est le contraire de l'art. Il faut que la beauté soit sensible, qu'elle nous procure une jouissance immédiate, qu'elle s'impose ou s'insinue en nous sans que nous ayons aucun effort à faire pour la saisir. Voyez Léonard de Vinci, voyez Mozart. Voilà de grand artistes !"

Cela reprend donc ce que je disais au début, si une poésie te laisse indifférent, malgré toutes les explications théoriques possibles, elle ne pourra pas te toucher. Cependant il ne faut pas oublier que les constructions des poésies sont des outils, des bases pour faciliter la lecture, pour permettre au lecteur de ce plonger dedans plus facilement, mais elles ne doivent pas être une finalité en soi. Elles ne doivent pas être respecté pour être respecté mais pour permettre d'exprimer un sentiment... ou autre =).

Voilà je ne sais pas, si ma réponse est suffisante, ou te satisfait mais je voyais pas ce que j'aurai pu te répondre d'autres ^_^.


Et le poème suivant ne va pas du tout illustrer mon propos, et c'est justement pour cela que je le choisis =D . Il s'agit d'une poésie de Gherasim Luca, poète né en Roumanie en 1913, et qui a vécu en France, pour se suicider en 1994. Il était hanté par la montée de la violence et de la xénophobie, poussé par l’intransigeance de notre monde dans lequel « les poètes n’ont plus de place. » Il a donc choisi de se noyer.

Pour présenter rapidement, ce poète, c'est un poète de l'articulation, du jeu de mot, de la répétition, du bégaiement. Son oeuvre peut laisser complètement froid car elle ne fait pas appel aux affects les plus courants et communs (comme ceux du précédent poème), mais n'en demeure pas moins intéressante dans sa démarche (je recommande la lecture à voie haute =) ).

Héros-limite

"La mort, la mort folle, la morphologie de la méta, de la métamort, de la métamorphose ou la vie, la vie vit, la vie-vice, la vivisection de la vie" étonne, étonne et et et est un nom, un nombre de chaises, un nombre de 16 aubes et jets, de 16 objets contre, contre la, contre la mort ou, pour mieux dire, pour la mort de la mort ou pour contre, contre, contrôlez-là, oui c'est mon avis, contre la, out contre la vie sept, c'est à, c'est à dire pour, pour une vie dans vidant, vidant, dans le vidant vide et vidé, la vie dans, dans, pour une vie dans la vie."
Nil Sanyas
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Message par Nil Sanyas »

C'est pas que ça me laisse indifferent, quand je parlais de simplicité enfantine, je ne parlais pas forcément de la construction, mais aussi du thème, j'ai une lourde sensation de déjà-vu. Comme si j'entendais une énième chanson d'amour ou voyais un énième film à l'eau de rose, à la fin, tu satures quand t'en a déjà vu/lu/entendu trois tonnes.

Après, c'est sûr, c'est beau et bien fait.

Mais c'est barbant à la longue...
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Aizen
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Message par Aizen »

Je comprends parfaitement et partage ton point de vue quant au thème du poème, ce n'est guère nouveau, et n'a rien de révolutionnaire (contrairement à ce cher Ghérasim =P ).
Flore Risa
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Message par Flore Risa »

-A Cassandre-

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.

Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las ses beautés laissé choir !
Ô vraiment marâtre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.


Pierre de Ronsard, Odes, 1553



-La Lorelei-

Ich weiß nicht, was soll es bedeuten,
Daß ich so traurig bin,
Ein Märchen aus uralten Zeiten,
Das kommt mir nicht aus dem Sinn.
Die Luft ist kühl und es dunkelt,
Und ruhig fließt der Rhein;
Der Gipfel des Berges funkelt,
Im Abendsonnenschein.

Die schönste Jungfrau sitzet
Dort oben wunderbar,
Ihr gold'nes Geschmeide blitzet,
Sie kämmt ihr goldenes Haar,
Sie kämmt es mit goldenem Kamme,
Und singt ein Lied dabei;
Das hat eine wundersame,
Gewalt'ge Melodei.

Den Schiffer im kleinen Schiffe,
Ergreift es mit wildem Weh;
Er schaut nicht die Felsenriffe,
Er schaut nur hinauf in die Höh'.
Ich glaube, die Wellen verschlingen
Am Ende Schiffer und Kahn,
Und das hat mit ihrem Singen,
Die Loreley getan.


Version Française:


Mon Cœur, pourquoi ces noirs présages?
Je suis triste à mourir.
Une histoire des anciens âges
Hante mon Souvenir.

Déjà l'air fraîchit, le soir tombe,
Sur le Rhin, flot grondant;
Seul, un haut rocher qui surplombe
Brille aux feux du couchant.

Là-haut, des nymphes la plus belle,
Assise, rêve encore;
Sa main, où la bague étincelle,
Peigne ses cheveux d'or.

Le peigne est magique. Elle chante,
Timbre étrange et vainqueur,
Tremblez fuyez! la voix touchante
Ensorcelle le cœur.

Dans sa barque, l'homme qui passe,
Pris d'un soudain transport,
Sans le voir, les yeux dans l´espace,
Vient sur l'écueil de mort.

L'écueil brise, le gouffre enserre,
La nacelle est noyée,
Et voila le mal que peut faire
Loreley sur son rocher


Heinrich Heine, 1838

Note: J'avais 7 ans lorsque j'ai appris ce poème dans mon école allemande, j'ai tout de suite accrocher et je trouve ce poème magnifique... Ah oui! En faite, ne vous fiez pas beaucoup à la traduction française qui est très mal faite je trouve, si vraiment vous voulez voir à quel point ce poème est magnifique, alors lisez le en allemand! ;-)
Aizen
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Message par Aizen »

Intimes

I

Tu glisses dans le lit
De lait glacé tes soeurs les fleurs
Et tes frères les fruits
Par le détour de leurs saisons
A l'aiguille irisée
Au flanc qui se répète
Tes mains tes yeux et tes cheveux
S'ouvrent aux croissances nouvelles
Perpétuelles

Espère espère espère
Que tu vas te sourire
Pour la première fois

Espère
Que tu vas te sourire
A jamais
Sans songer à mourir



V


Je n'ai envie que de t'aimer
Un orage emplit la vallée
Un poisson la rivière

Je t'ai faite à la taille de ma solitude.

Le monde entier pour se cacher
Des jours des nuits pour se comprendre
Pour ne plus rien voir dans tes yeux
Que ce que je pense de toi
Et d'un monde à ton image
Et des jours et des nuits réglés par tes paupières.


Paul Eluard (1895-1952)
Aizen
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Message par Aizen »

Et un nouveau poème d'Eluard (on va bientôt finir par croire qu'il n'y a que lui :langue: ... non non je vous en assure ce topic et bien loin d'avoir montré toutes ses possibilités :mrgreen: ... il peut même devenir une athologie de la poésie mondiale :happy: (soyons fous !) ), lui aussi écrit peu de temps après la mort de sa deuxième femme, Nusch, en 1947.

Ma morte vivante

Dans mon chagrin, rien n’est en mouvement
J’attends, personne ne viendra
Ni de jour, ni de nuit
Ni jamais plus de ce qui fut moi-même

Mes yeux se sont séparés de tes yeux
Ils perdent leur confiance, ils perdent leur lumière
Ma bouche s’est séparée de ta bouche
Ma bouche s’est séparée du plaisir
Et du sens de l’amour, et du sens de la vie
Mes mains se sont séparées de tes mains
Mes mains laissent tout échapper
Mes pieds se sont séparés de tes pieds
Ils n’avanceront plus, il n’y a plus de route
Ils ne connaîtront plus mon poids, ni le repos

Il m’est donné de voir ma vie finir
Avec la tienne
Ma vie en ton pouvoir
Que j’ai crue infinie

Et l’avenir mon seul espoir c’est mon tombeau
Pareil au tien, cerné d’un monde indifférent

J’étais si près de toi que j’ai froid près des autres.

Paul Eluard
Rilakkuma
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Message par Rilakkuma »

Premièrement

XXV

Je me suis séparé de toi
Mais l'amour me précédait encore
Et quand j'ai tendu les bras
La douleur est venue s'y faire plus amère
Tout le désert à boire


Pour me séparer de moi-même.


Paul Eluard (L'amour la poésie 1929)
Aizen
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Message par Aizen »

On va à nouveau poursuivre avec Ghérasim Luca. Et comme la poésie n'est pas qu'une forme écrite mais aussi orale (Homère toussa, les premiers aèdes).

En voici l'illustration avec Gherasim Luca lisant ses propres textes :

http://ubu.wfmu.org/sound/luca_gherasim ... -Leger.mp3

http://ubu.wfmu.org/sound/luca_gherasim ... nement.mp3

http://ubu.wfmu.org/sound/luca_gherasim ... oeuvre.mp3
Ghérasim Luca (1913-1994)
Emission du 16 Janvier 2005

par : Lydia Ben Ytzhak
réalisation : Christine Berlamont

En 1994, un homme se jette dans la Seine. Après son ami Paul Celan. C’est Ghérasim Luca, le surréaliste né en Roumanie qui avait fait du français une langue étrange : la sienne. Une langue orale qu’il lisait lui-même, renversant d’un même verbe l’esprit et le corps. La rage qui le portait conjuguait une inquiétude métaphysique et un jeu, des mots qui glissent, un humour jamais très éloigné des larmes. Pour s’affranchir poétiquement de tous les automatismes sclérosés du sens, Ghérasim Luca a dû jouer avec les structures syntaxiques, faire bégayer la langue, inviter sa voix en incarnation rauque du corps tout entier.

Sa poésie, au départ d’inspiration alchimique et kabbalistique, offre par jeux de mots et balbutiements maîtrisés, l’image d’une humanité indomptable, « passant du dialogue au dé-monologue » et refusant de rester en équilibre « sur volupté et terreur » (Démonologue). Dès l’après-guerre, il rédigea un Manifeste non oedipien qui réclamait la disparition sociale de tous les comportements familiaux, ou de toutes leurs perversions. De Dialectique de la dialectique au Héros Limite , du Quart d’heure de culture métaphysique dans le Chant de la Carpe aux Paralipomènes et au Vampire passif , à La Mort morte, toujours sur le fil, il écrivait : « Comme le funambule à son ombrelle je m’accroche à mon propre déséquilibre. ».
Le temps de chargement peut être long, par contre ne vous étonnez si votre fenêtre reste blanche, c'est purement auditif :mrgreen: .
Guts Rendan
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Localisation : Lima
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Message par Guts Rendan »

Ô rage, ô vieillesse ennemie !
N'ai je vécu que pour cette infamie ?
Ne pourrais-je vraiment me détacher
sans jamais mon honneur entacher
de ce choix difficile et cruel
pour trouver la rime la plus belle ?

:lol: :lol: :lol: :lol:

Bon j'ai enfin réussi à me décider pour poster un poème dans ce topic qui me turlupine depuis belle lirette euh lurette :siffle: :siffle:

CLAIR DE LUNE SENTIMENTAL


A travers la folle risée
Que Saint-Marc renvoie au Lido,
Une gamme monte en fusée,
Comme au clair de lune un jet d'eau...

A l'air qui jase d'un ton bouffe
Et secoue au vent ses grelots,
Un regret, ramier qu'on étouffe,
Par instant mêle ses sanglots.

Au loin, dans la brume sonore,
Comme un rêve presque effacé,
J'ai revu, pâle et triste encore,
Mon vieil amour de l'an passé.

Mon âme en pleurs s'est souvenue
De l'avril, où, guettant au bois
La violette à sa venue,
Sous l'herbe nous mêlions nos doigts.

Cette note de chanterelle,
Vibrant comme l'harmonica,
C'est la voix enfantine et grêle,
Flèche d'argent qui me piqua.

Le son en est si faux, si tendre,
Si moqueur, si doux, si cruel,
Si froid, si brûlant, qu'à l'entendre
On ressent un plaisir mortel,

Et que mon cœur, comme la voûte
Dont l'eau pleure dans un bassin,
Laisse tomber goutte par goutte
Ses larmes rouges dans mon sein.

Jovial et mélancolique,
Ah ! vieux thème du carnaval,
Où le rire aux larmes réplique,
Que ton charme m'a fait de mal !

Merci T.Gautier
Aizen
Sannin
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Message par Aizen »

Merci Guts de ta participation =D, surtout que je ne connaissais pas Théophile Gautier en tant que poète donc c'est avec plaisir que j'ai pu découvrir cette facette de son oeuvre ^^.

Maintenant, voici un lien vers une interview de Louis Aragon de 1963 où il parle du surréalisme (Eluard, Breton, lui-même) et de la paternité de celui-ci (Apollinaire). Ainsi que ses sources d'inspiration (au surréalisme), interview très interessante =).

http://ubu.wfmu.org/sound/aragon_louis/ ... w_1963.mp3

Et voici donc un de ses poèmes ^^.

Plainte pour le quatrième centenaire d'un amour

L'amour survit aux revers de nos armes
Linceul d'amour à minuit se découd
Les diamants naissent au fond des larmes
L'avril encore éclaire l'époque où
S'étend sur nous cette ombre aux pieds d'argile
Jeunesse peut rêver la corde au cou
Elle oublia Charles-Quint pour Virgile
Les temps troublés se ressemblent beaucoup
Abandonnant le casque et la cantine
Ces jeunes gens qui n'ont jamais souri
L'esprit jaloux des paroles latines
Qu'ont-ils appris qu'ils n'auront désappris
Ces deux enfants dans les buissons de France
Ressemblent l'Ange et la Vierge Marie
Il sait par cœur Tite-Live et Térence
Quand elle chante on dirait qu'elle prie
Je l'imagine Elle a les yeux noisette
Je les aurai pour moi bleus préférés
Mais ses cheveux sont roux comme vous êtes
O mes cheveux adorés et dorés
Je vois la Saône et le Rhône s'éprendre
Elle de lui comme eux deux séparés
Il la regarde et le soleil descendre
Elle a seize ans et n'a jamais pleuré
Les bras puissants de ces eaux qui se mêlent
C'est cet amour qu'ils ne connaissent pas
Qu'ils rêvaient tous deux Olivier comme Elle
Lui qu'un faux amour à Cahors trompa
Vêtu de noir comme aux temps d'aventure
Les paladins fiancés aux trépas
Ceux qui portaient à la table d'Arthur
Le deuil d'aimer sans refermer leurs bras
Quel étrange nom la Belle Cordière
Sa bouche est rouge et son corps enfantin
Elle était blanche ainsi que le matin
Lyon Lyon n'écoute pas la Saône
Trop de noyés sont assis au festin
Ah que ces eaux sont boueuses et jaunes
Comment pourrais-je y lire mon destin
Je chanterai cet amour de Loyse
Qui fut soldat comme Jeanne à seize ans
Dans ce décor qu'un regard dépayse
Qui défera ses cheveux alezan
Elle avait peur que la nuit fût trop claire
Elle avait peur que le vin fût grisant
Elle avait peur surtout de lui déplaire
Sur la colline où fuyaient les faisans
N'aimes tu pas le velours des mensonges
Il est des fleurs que l'on appelle pensées
J'en ai cueilli qui poussaient dans mes songes
J'en ai pour toi des couronnes tressé
Ils sont entrés dans la chapelle peinte
Et sacrilège il allait l'embrasser
La foudre éclate et brûle aux yeux la sainte
Le toit se fend les murs sont renversés
Ce coup du ciel à jamais les sépare
Rien ne refleurira ces murs noircis
Et dans nos cœurs percés de part en part
Qui sarclera les fleurs de la merci
Ces fleurs couleurs de Saône au cœur de l'homme
Ce sont les fleurs qu'on appelle soucis
Olivier de Magny se rend à Rome
Et Loyse Labé demeure ici
Quatre cents ans les amants attendirent
Comme pêcheurs à prendre le poisson
Quatre cents ans et je reviens leur dire
Rien n'est changé ni nos cœurs ne le sont
C'est toujours l'ombre et toujours la mal'heure
Sur les chemins déserts où nous passons
France et l'Amour les mêmes larmes pleurent
Rien ne finit jamais par des chansons.

Louis Aragon

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Puisque l'on parle de surréalisme et d'André Breton, voici deux enregistrement de ce poète, pompeusement surnommée "le pape du surréalisme" (qui à mes yeux n'a pas le talent d'Aragon ou d'Eluard) mais qui mérite de figurer dans ce topic pour ce qu'il a apporté à l'art et à la poésie du XXe siècle =D :

http://ubu.wfmu.org/sound/breton_andre/ ... -Libre.mp3

Plus une interview rejoignant celle d'Aragon à propos du surréalisme =) :

http://ubu.wfmu.org/sound/breton_andre/ ... w_1950.mp3

André Breton
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