Les Amants du Spoutnik ~ H. Murakami (Versus littéraire)

Un peu de repos dans ce monde à 200 km/h. Y a-t-il plus grand plaisir que de lire et relire son livre de chevet ? Parle-nous donc ici de tes coups de coeur littéraires, ainsi que de tes BD & Comics favoris.

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Aizen
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Les Amants du Spoutnik ~ H. Murakami (Versus littéraire)

Message par Aizen »

Les Amants du Spoutnik de Haruki Murakami

La couverture :

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Présente à Sion :

L'Histoire... Bah oui, il faut bien commencer par quelque chose et généralement, dans un roman c’est ce point qui interpelle en premier. Alors bon, ici, soyons honnêtes, pas de trolls, pas de magiciens, pas de sorts, pas d’elfes, pas de vaisseaux intergalactiques, pas de sabres lasers, pas de types aux pouvoirs démesurées, au charisme fou, qui couche avec une fille 30 secondes après l’avoir rencontré. Non, non, rien de tout ça là dedans et je sens le lecteur de ce message, légèrement désappointé qui commence tout doucement à baisser du museau…
Si, si, je te vois, pas la peine de faire semblant.

Non, en fait tout ici est très simple… en apparence.
Nous avons un professeur qui est également le narrateur. Il nous sert de guide durant le récit, durant ce voyage. Qui est K. ? Bonne question. Le narrateur, je viens de vous le dire… Vous ne suivez pas ? Ah non, ce n’est pas ça le sens de votre question ? Bon ok désolé…

K. est instituteur et il est amoureux de Sumire. Pas de chance pour lui, Sumire ne l’aime pas… enfin, elle l’aime mais pas comme il l’entendrait. Elle l’appelle à 3 heures du mat pour lui faire part de ses découvertes, pour lui demander la différence entre un signe et un symbole, pour parler de tout et de rien.
Ils se sont connus à la fac et se sont liés d’amitié (voir plus pour K. vous l’aurez compris). K. a bien quelques conquêtes, actuellement il couche avec la mère d’un de ses élèves. Il sait que si cela devait se savoir, il aurait quelques soucis. Mais cela ne le touche pas particulièrement, il vit cette situation avec détachement. Pendant qu’il couche avec elle, il s’imagine avec Sumire. Ce n’est pas très honnête mais qu’importe…
J’ai un peu parlé de K. mais en réalité, ce n’est pas le héros de l’histoire…
« Un héros et pas d’héroïne ? », me diriez-vous, comme Bourvil dans « le Corniaud ». Vous avez raison, K. est un narrateur mais il n’est pas le point central de l’histoire. Il est le cristal par lequel transite l’histoire avant de nous parvenir.

De quelle histoire parlons-nous ? Car il y en a plusieurs dans « Les Amants du Spoutnik ». Il y a celle de K., que nous devinons, qu’il relate de manière indifférente. Il y a celle de Sumire, qui porte le récit et le fait avancer et puis celle de Miu, par qui tout arrive, le déclencheur de l’histoire de Sumire.

Donc attardons nous sur Sumire, la ligne de coke de l’histoire… enfin l’héroïne, vous m’aurez compris. Sumire a arrêté les études universitaires très tôt. Dès sa deuxième année. Elle vit pour écrire et chaque jour écrit des pages et des pages. Pourtant sa pensée se dilue, s’échappe, s’évapore et ne parvient jamais à s’unifier permettant ainsi la réalisation de son œuvre.
Sumire n’a jamais aimé et n’en a jamais éprouvé le désir, la volonté, l’envie (rayez la mention inutile). Le lien qui la relie avec K. est son seul contact tangible avec le monde (elle a bien son père mais celui-ci est trop beau et puis elle échange peu avec lui, il lui permet simplement de vivre, c’est déjà ça, c’est déjà pas mal).
Tout bascule pour elle lorsqu’elle rencontre Miu. Miu est négociante en vin. Elles se rencontrèrent durant le mariage d’une cousine de Sumire. Pour Miu, ce fut un coup de foudre dévastateur. Comme dirait Sumire :

« Voilà, je suis amoureuse de cette femme. Pas d’erreur possible. (La glace est froide, les roses sont rouges). Et cet amour va m’emporter loin, loin ; je ne sais où. Le courant est trop fort, je ne pourrai pas y résister. Je n’ai plus le choix. Je serai peut-être entraînée dans un monde particulier, tout à fait inconnu. Un monde dangereux, qui sait ? où d’inquiétantes créatures me blesseront profondément, mortellement. Je vais peut-être y laisser tout ce que je possède. Mais il m’est impossible de revenir en arrière. Je n’ai plus qu’à m’abandonner au courant qui m’emporte. Même si je dois me perdre pour toujours, me consumer complètement. »

Alors Sumire se transforme, se métamorphose pour plaire. Elle en vient à travailler pour Miu, lorsque celle-ci lui demande. Elle s’habille désormais avec goût (lorsqu’auparavant, elle allait jusqu’à mettre des chaussettes distinctes), se maquille soigneusement, apprend l’italien. Et puis un beau jour, elle disparaît.

Miu est coréenne, dans sa jeunesse elle apprit le piano et un beau jour ses cheveux sont devenus blancs. En une nuit. Comme ça, suite à un évènement. Aujourd’hui elle est mariée et va régulièrement en Europe, en France notamment pour ses achats en vin.

Après vous avoir présenté les protagonistes, il est temps de revenir à notre histoire. Cette histoire démarre réellement à la disparition de Sumire sur une île grecque. Miu et elle-même avait été convié par un écrivain anglais en villégiature en France à occuper cette maison durant une semaine puisqu’il ne pourrait s’y rendre cette année. C’est avec enthousiasme qu’elles acceptèrent et y coulèrent des premiers jours heureux. En dehors de tout. Même du temps. Coincées dans leur bulle. Paniquée par cette disparition soudaine (Sumire n’ayant emportée aucune affaire et personne ne l’a vue sur cette minuscule île), Miu décide d’appeler K. pour lui venir en aide. Elle ne le connaît que par les récits de Sumire, elle connaît leur relation.

L'âne à Lise :

Et je serai vraiment pas sympa de vous révéler ce qu’il va s’en suivre :mrgreen: . Car ce roman repose sur la dualité. Dualité des hommes, dualité des mondes et les liens que peuvent tisser entre eux ces personnes. Comme l’écrirait Sumire :

« Derrière les choses que nous croyons connaître se cache toujours une proportion identique d’inconnu.
La compréhension n’est jamais que la somme des malentendus.
[…]
Dans le monde où nous vivons, ce que nous savons coexiste étroitement avec ce que nous ignorons, lié comme des frères siamois, en un état de parfaite confusion. Confusion, confusion.
Ainsi qui peut faire la différence entre la mer et son reflet scintillant ? Qui peut faire la différence entre la pluie qui tombe et la solitude ? »


Alors voilà, tout est dit. Les Amants est un roman sur le connu et l’inconnu, sur ces deux parts du monde se reliant et se complétant sans pour autant s’interpénétrer. Il s’agit ici de se plonger, par le biais de K. dans le monde de Sumire, de partir à sa recherche physique et psychique. Présence et absence ? Présence malgré l’absence ? Car n’est ce pas ce que ressent K. lorsque Sumire disparaît ? La conviction qu’elle est toujours là, que ses actes sont toujours régis en fonction de Sumire.
Comme l’illustre le récit de Miu, (celui ayant provoqué ses cheveux blancs) une partie d’elle est morte, il y a 14 ans. Son corps s’est scindé en deux et Sumire part à la recherche du corps de Miu dans un autre monde. Cet autre corps, cet autre Miu qui elle pourrait l’aimer comme elle, aime Miu. Alors elle disparaît parce « lorsque l’on tire sur quelqu’un, le sang coule ! ». C’est cela la réalité. Sumire vivait dans un rêve et souhaite se confronter à la réalité. Pour elle le sang n’a jamais coulé, excepté lorsque ce soir-là, elle se blottit près de Miu…
Oui, leur corps se sont touchés mais comme l’explique Miu à K. :

« C’est à ce moment-là que j’ai compris. Compris que nous étions de merveilleuses compagnes de voyage l’une pour l’autre, mais en fait à la façon de blocs de métal solitaires, qui suivent chacun leur trajectoire. Vu de loin, ça paraît aussi beau qu’une étoile filante ; seulement, dans la réalité, nous ne sommes que des prisonniers, enfermés dans nos habitacles de métal respectifs, incapables d’aller où que ce soit. De temps en temps, les orbites de nos satellites se croisent, nous parvenons enfin à nous rencontrer. Nos cœurs réussissent peut-être même à se toucher. Mais juste un très bref instant. Sitôt après, nous connaissons de nouveau une solitude absolue. Jusqu’à ce que nous nous consumions et soyons réduits à néant. »


La Conque Lusion :

Illusion / réalité.
Deux faces d’un même monde.
Roman épurée capable de retranscrire la fragilité des sentiments humains, des liens entre les hommes. Une fin ouverte et belle. La précision du style de Murakami n’est plus à vanter (cf le topic qui lui est dédié dans le forum à cette adresse : http://forum.narutotrad.com/viewtopic.php?t=2782 ).
Un grand bravo pour l’émotion qu’il procure et la réflexion qu’il suscite.
Rilakkuma
La nièce de tonton
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Message par Rilakkuma »

Excellente présentation!!

Ce livre est le premier que j'ai lu de Murakami, j'avais la gorge serrée quand je l'ai terminé. L'extrait de Miu est judicieusement choisi et c'est, pour moi, la phrase clef qui permet de comprendre, en partie, la plupart de ses romans. Des personnages, souvent des femmes, gravitent autour du narrateur, ils se heurtent à lui pour faire un petit bout de chemin ensemble. Certaines rencontres liées à leur passé les ont blessés et, quelquefois, on ne saura jamais ce qui leur est véritablement arrivé (je pense à Shimamoto-san dans "Au sud de la frontière...") parce qu'il est des secrets, en les dévoilant, qui deviendraient dangereux pour eux. Et puis un jour, ils s'éloignent afin de poursuivre leur "trajectoire" quitte à ne plus recroiser le narrateur, même si sa "présence" leur a été bénéfique, ils s'en vont en clopinant, en trainant leur fêlure et leurs blessures.

Je vais bientôt commencer "Kafka sur le rivage". Je suis prête. :grin:
The Laughing Man
Chunnin
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Re: Les Amants du Spoutnik ~ H. Murakami (Versus littéraire)

Message par The Laughing Man »

Bonne presentation meme si on en dit un peu trop.....(les cheveux blancs par exemples....) ;-)
Au debut je me suis ennuyé... pas de super grenouille, pas de mouton sauvage, pas de sangsue....., ni de chat causant, on parle de chien (et encore), et puis apres de chat sur un arbre........ .

Au debut je me suis ennuyé et puis au final on est dans un sous-marin l'immersion commence.... .

Ce livre ca me fait penser au un triangle ou les extremité ne se rejoignent jamais..... .

Mais au final ca reste un triangle hein? :?:
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Membre de la FFNPA
istari
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Re: Les Amants du Spoutnik ~ H. Murakami (Versus littéraire)

Message par istari »

J'ai beaucoup aimé...

Je lirais d'autres livres de lui...
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