Jack Kerouac et la beat generation

Un peu de repos dans ce monde à 200 km/h. Y a-t-il plus grand plaisir que de lire et relire son livre de chevet ? Parle-nous donc ici de tes coups de coeur littéraires, ainsi que de tes BD & Comics favoris.

Modérateur : Ero-modos

Aizen
Sannin
Messages : 4107
Inscription : lun. 25 juil. 2005, 13:57
Localisation : Mieux vaut mobiliser son intelligence sur des conneries que sa connerie sur des choses intelligentes

Jack Kerouac et la beat generation

Message par Aizen »

C'est un article trouvé sur lemonde.fr qui a servi de détonateur pour la création de ce topic. Quelqu'un a déniché un nouveau roman de Jack Kerouac, intégralement rédigé en français. Bien sûr, d'autres posts suivront pour mieux parler de ce grand auteur américain et de ses compagnons de route, William Burroughs et Allen Ginsberg.
Sur le chemin n'est pas une nouvelle traduction d'On the Road (Sur la route) de Jack Kerouac, mais un roman inédit de l'auteur phare de la Beat Generation, écrit en français en 1952, alors que l'écrivain se trouvait à Mexico. Le journaliste canadien Gabriel Anctil en a fait la découverte récemment, en écumant les archives des bibliothèques new-yorkaises, et Le Devoir de Montréal en a publié quelques premiers extraits.

Les premières lignes de "Sur le chemin"

"Dans l'mois d'octobre 1935, y'arriva une machine du West, de Denver, sur le chemin pour New York. Dans la machine était Dean Pomeray, un soûlon ; Dean Pomeray Jr. son ti fils de 9 ans et Rolfe Glendiver, son step son, 24. C'était un vieille Model T Ford, toutes les trois avaient leux yeux attachez sur le chemin dans la nuit à travers la windshield."

Comment avez-vous découvert Sur le chemin ?

Gabriel Anctil : Tous les manuscrits de Jack Kerouac à New York sont accessibles, sur demande, depuis un an et demi. Le problème avec Kerouac, c'est la quantité de mythes et de légendes autour de ses écrits. On avait quelques indices sur le fait qu'il avait écrit en français, mais aucune preuve tangible. J'ai donc épluché ses manuscrits à New York. Il y a un an, j'ai mis au jour un premier roman en français : La nuit est ma femme. C'est un texte dont l'existence était connue, mais qui n'avait jamais été lu, car non seulement, il était écrit en français, mais en joual, le langage populaire québécois. Seul un Québécois pouvait donc le lire. Quand j'ai découvert La nuit est ma femme, j'ai réalisé que Kerouac maniait mieux le français qu'on ne le soupçonnait. Quant à Sur le chemin, c'est un texte dont l'existence était vraiment insoupçonnée. Je l'ai trouvé en fouillant dans un cahier de notes.

Comment expliquer que des romans inédits de Kerouac aient pu passer inaperçus pendant plus de cinquante ans ?

Il faut, pour cela, retourner aux racines québécoises de Kerouac. Ses deux parents sont nés au Québec, mais ils ont émigré très jeunes, comme près d'un million de Québécois. Entre 1850 et 1930, la moitié du Québec est partie aux Etats-Unis, en raison d'une natalité explosive. Kerouac est né à Lowell (Massachusetts), une petite ville dont le quart de la population était originaire du Québec et parlait français. C'étaient des ouvriers, des travailleurs agricoles, peu éduqués. Le français qu'ils parlaient n'était pas conforme aux normes du français international. Un énorme complexe s'est alors développé par rapport à ce langage. Ce même complexe existait au Québec, mais les Québécois ont su s'en affranchir dans le courant des années 1960.

Quand Kerouac écrit ces textes en français populaire, il n'imagine même pas de pouvoir les publier, ni aux Etats-Unis, ni même au Québec, où la possibilité de publier un texte en joual était alors nulle – le premier roman en joual n'a été publié qu'en 1964. Dans une lettre, Jack Kerouac se dit convaincu qu'il doit traduire ces textes en anglais. Ce qu'il a d'ailleurs fait, puisque Sur le chemin est devenu en anglais Old Bull in the Bowery, un texte également inédit à ce jour.

Malgré ce complexe par rapport à la langue française, qu'est-ce qui a motivé Jack Kerouac à écrire ces deux romans d'abord en français, avant de les traduire en anglais ?

Kerouac n'a appris l'anglais qu'à l'âge de 6 ans, quand il est entré à l'école. Avec ses parents, il a toujours parlé français. En revanche, quand il a quitté Lowell pour faire ses études à New York, il s'est retrouvé dans un milieu complètement anglophone. Dans une lettre écrite en 1950 à une critique littéraire franco-américaine, Kerouac explique que les idées lui viennent d'abord en français et qu'il les traduit ensuite en anglais par écrit. Ainsi, beaucoup de ses phrases en anglais sont construites comme des phrases françaises. Sur le chemin a été rédigé quelque temps après la première version d'On the Road, écrite en 1951 en trois semaines. Par la suite, il a retravaillé en 1953 le manuscrit d'On the Road. Le fait de passer par le français l'a donc aidé à écrire en anglais.

Sur le chemin et On the Road sont deux œuvres distinctes, mais écrites en parallèle. En quoi se rejoignent-elles ?

Sur le chemin fait partie du processus créatif qui a abouti à la rédaction d'On the Road. Ce sont deux histoires différentes, dont les personnages se retrouvent cependant d'un texte à l'autre, à des âges différents. Dans Sur le chemin, Ti-Jean, qui n'est autre que Kerouac, a 13 ans. Il rencontre un enfant de Denver, Dean Pomeray, qui représente Neal Cassady, l'ami de Kerouac qui lui a inspiré le personnage de Dean Moriarty dans On the Road. Les thématiques se croisent, notamment la notion de voyage, très présente dans les deux œuvres.

Et quid de la similitude des titres ?

Sur ce point, Kerouac vient contredire les traducteurs français. Ce manuscrit nous indique que Kerouac, dans son français, n'aurait pas traduit On the Road par Sur la route, mais par Sur le chemin.

Quel usage Jack Kerouac fait-il de la langue française ?


On retrouve en français le même processus d'écriture qu'en anglais, c'est-à-dire la volonté de reproduire la réalité et donc, le langage oral. En anglais, Kerouac recollait des mots ensemble, en inventait d'autres ou en changeait l'orthographe, afin de mieux reproduire la langue de la rue. En français, il faisait la même chose : il utilisait des tournures de phrases se rapprochant de la langue anglaise, y mélangeait du joual, mais aussi des mots qui n'étaient utilisés qu'en Nouvelle-Angleterre et n'existaient pas au Québec. Là-dessus, il faut ajouter le génie de Kerouac. Sa langue est vraiment unique dans la littérature québécoise. Elle ne ressemble à rien de ce qui a été fait jusqu'à présent.

Propos recueillis par Mathilde Gérard
Rilakkuma
La nièce de tonton
Messages : 859
Inscription : mar. 23 août 2005, 19:15

Re: Jack Kerouac et la beat generation

Message par Rilakkuma »

Qu'il maîtrise bien la langue française n'est pas, pour ma part, une chose étonnante car parmi ses petits boulots de jeunesse, on compte le poste de répétiteur de français et assistant (ou secrétaire) d'un professeur de français. Il a notamment aidé celui-ci à rédiger des manuels d'apprentissage de la langue et traduit quelques textes. Depuis qu'il s'est blessé lors d'un match de foot, il a pu se consacrer à diverses activités dans le domaine de l'écriture (chroniques littéraires, musicales dont jazz principalement, sportives.) Sans doute que le joual ajoute une touche subtile au texte, une dimension différente de la version anglaise, un charme particulier. Je ne te cacherai pas que j'aurai du mal, au vu des premières lignes. :lol:
Sinon je préfère Burroughs à Kerouac, plus sombre, plus tourmenté. Si Kerouac a recherché la vérité dans la simplicité, du genre "la vie comme elle est" ; Burroughs a gardé un pied dans les ténèbres, dans la "spirale".
Image
Aizen
Sannin
Messages : 4107
Inscription : lun. 25 juil. 2005, 13:57
Localisation : Mieux vaut mobiliser son intelligence sur des conneries que sa connerie sur des choses intelligentes

Re: Jack Kerouac et la beat generation

Message par Aizen »

Surtout que Burroughs possède une écriture qui, en elle-même est plus sombre, plus "obscure" que celle de Kerouac. Je pense notamment à sa fameuse technique de jump-cut, alors que le style de Kerouac, pour reprendre une expression deleuzienne ( :langue: ) : c'est une ligne, la ligne d'une estampe. Kerouac m'apparaît plus comme un funambule, aussi bien dans l'écriture que dans la vie, au contraire de Burroughs qui me semble appartenir aux expérimentateurs, ceux qui testent et qui vont au bout de leurs expériences afin d'en comprendre les mécanismes (pour cela, je m'appuie notamment sur sa préface du Festin nu (titre soufflé par Kerouac, le sens des mots et de la poésie appartient à Kerouac :langue: ) où il explique les mécanismes de la drogue et comment on peut en sortir, avec quels traitements et pourquoi ces traitements sont peu médiatisés).

J'ai un faible pour Kerouac personnellement, plus de vie, plus de sève ^^.
Répondre