Re: Un enfant sur le champ de bataille
Publié : sam. 31 mai 2008, 23:10
Deux jours plus tard…
Il y avait du bruit autour de lui, il l’entendait nettement. Un brouhaha de voix dont il percevait vaguement les nuances. Et des odeurs qu’il connaissait… Il les connaissait même très bien. Son nez se plissa de dégoût. Sans avoir complètement repris conscience, il sut où il se trouvait et l’amertume, le dégoût qu’il éprouvait pour cet endroit achevèrent de le réveiller. Son dos reposait sur quelque chose de très dur – pas un lit en tous cas (curieux pour un hôpital) – mais une couverture de laine recouvrait son corps et il avait la nette sensation d’un tissu sur le bas de son visage et sur son œil gauche.
Il ne put ouvrir immédiatement l’œil droit. Ses paupières étaient lourdes, tout comme son corps et sa bouche pâteuse. Son cerveau ne fonctionnait pas bien non plus ; les souvenirs, les images, tout était flou, flottait dans l’air sans lien, sans ordre, comme des lambeaux de rêve, effets secondaires désagréables et reconnaissables entre tous de l’anesthésie et des somnifères. L’idée d’avoir été maintenu endormi ne lui plaisait pas particulièrement. Il voulait bouger, voir. Toute cette agitation autour de lui, ces bruits de pas précipités… Il se passait quelque chose.
Il remua doucement les pieds, souleva légèrement les jambes, bougea les doigts. Tout répondait, même s’il ressentit une vive douleur – certes, tolérable – dans la cuisse gauche et au niveau des côtes. Son bras droit était engourdi. Paradoxalement, cela le mit mal à l’aise. Il avait la nette sensation que ce n’était pas normal – il n’aurait pas dû pouvoir bouger ainsi – mais il ne parvenait pas à se rappeler pourquoi. C’était une pensée assez angoissante et il sentit son cœur se mettre à battre plus vite.
Enfin, ses paupières se soulevèrent. Immédiatement, une lumière blanche et criarde l’éblouit, il dut refermer les yeux et battre des paupières plusieurs fois avant que sa vue ne se stabilise. A sa grande surprise, il ne fut pas accueilli par l’éternel plafond de carreaux blancs des chambres d’hôpital mais par une vaste surface grège, écaillée par endroits. Il fronça les sourcils. Il était pourtant bien à l’hôpital, impossible de confondre les odeurs, encore moins l’immonde chemise de nuit verte qu’on lui avait mise… Il tourna la tête sur le côté. Il était allongé à même le sol ; une épaisse couverture faisant office de matelas avait été installée à côté du sien et une femme au visage étroitement bandé y était allongée, une deuxième couverture, plus maigre, remontant avec peine jusqu’à sa poitrine. Qu’est-ce que c’est que ce bordel… Il ne voyait pas bien. Lentement, en prenant soin de s’appuyer sur son bras gauche, il se redressa en grimaçant et regarda autour de lui.
Quelque chose explosa dans sa poitrine. Il se trouvait dans le hall de l’hôpital de Konoha, un endroit qu’il avait probablement traversé davantage de fois que le seuil de sa propre maison, mais le sol de la vaste salle était à présent recouvert de matelas de fortune comme le sien. Des gens s’agitaient en tous sens, des infirmières, des médecins, les bras pleins de bandages, de perfusions, de bouteilles d’alcool, de boîtes de pilules, ciseaux, sparadrap etc. L’air était empli, suffoquait de gémissements, de râles, d’appels, de pleurs ; des pas précipités, quelqu’un qui sanglotait, du chakra. L’odeur de la morphine, du sang. Des ninjas, des civils allaient d’un lit à un autre, scrutant avec angoisse les blessés qui s’y trouvaient, puis s’éloignaient, cherchaient encore.
Un hurlement de douleur lui fit tourner la tête vers la droite. A quelques mètres de là, une femme de peut-être quarante ans criait en tendant les bras vers un lit, retenue avec peine par ce qui devait être sa fille et un infirmier.
« Mon fils ! C’EST MON FILS !! »
Kakashi sentit sa gorge s’assécher et détourna les yeux. Oui, oui maintenant il se souvenait. Kyuubi. Le combat, les massacres. Sachi. Son corps brisé. Arashi et Okara près de lui. Et puis plus rien. Que s’était-il passé ? Comment cela avait-il fini ? Il se redressa et arrêta presque au vol un infirmier qui passait en courant.
« Eh ! »
L’homme s’arrêta presque en catastrophe et manqua de perdre l’équilibre, faisant dangereusement vaciller les bouteilles sur le plateau qu’il tenait dans ses mains. D’un geste expert qui prouvait que ce n’était certainement pas la première fois que ce genre de choses lui arrivait, il reprit son équilibre avant d’adresser à Kakashi un regard de reproche que le garçon ignora.
« Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-il en faisant un geste large vers les autres blessés. Le combat… Hokage-sama… Il… il a gagné ? »
Un malaise évident ainsi qu’une certaine tristesse se peignit sur le visage de l’infirmier. Il regarda autour de lui et se dandina d’un pied sur l’autre, cherchant probablement ses mots. Kakashi sentit des milliers de picotements parcourir son corps. Son cœur s’emballa ; sans s’en rendre compte, il agrippa la couverture sur ses genoux. L’homme lui jeta un nouveau un coup d’œil nerveux et posa sa main sur son épaule.
« Euh… rallongez-vous, jeune homme. Je reviens tout de suite, un patient m’appelle. Votre cas était sérieux, vous ne devez p…
D’un geste sec, Kakashi saisit le poignet de l’infirmier et le tordit brutalement d’une clé de bras. L’homme poussa un hurlement de douleur et tomba à genoux. Le plateau chargé de flacons et d’instruments chirurgicaux tomba au sol dans un bruit métallique et l’une des petites bouteilles se brisa, laissant échapper un liquide mauve qui se répandit sur le sol. Des cris et des protestations retentirent derrière Kakashi mais il n’y prêta aucune attention. La colère déferlait à toute allure dans ses veines et il n’avait pas la moindre intention d’y faire obstacle.
« Au cas où tu ne serais pas au courant, gronda-t-il calmement mais d’un ton très froid, il est extrêmement déconseillé d’éluder les questions de ninjas et tu comprendras, je pense, qu’étant donné le contexte, mes nerfs soient quelque peu à vif. Qu’est-ce qui est arrivé à Hokage-sama ? Réponds ou je te casse le bras ! ajouta-t-il en forçant un peu plus sur l’articulation.
L’infirmier poussa un petit cri de douleur mais paradoxalement, il ne répondit pas tout de suite et ce qui troubla encore plus Kakashi, ce fut de constater que ce n’était pas par peur. Il y avait de la gêne dans son regard, de la réticence, comme s’il était d’avance désolé de ce qu’il allait dire. L’homme s’humecta les lèvres et malgré la souffrance que devait lui occasionner un tel mouvement, il leva lentement les yeux vers Kakashi.
« Ho… Hokage-sama est mort », murmura-t-il.
La foudre s’abattant sur lui ne lui aurait sans doute pas fait plus d’effet. Le jeune ANBU cligna des yeux, hébété, tandis qu’une sueur glacée dégoulinait le long de son dos. Il lui sembla tout à coup que les murs se mettaient à tourner. Pour conserver son équilibre, il serra le poignet de l’infirmier plus fort.
« Quoi ? » bredouilla-t-il.
Ce n’était pas possible. Il avait mal entendu. Il avait forcément mal entendu. Il ne pouvait qu’avoir mal entendu. L’infirmier laissa échapper un nouveau gémissement de douleur et se baissa pour diminuer la pression sur son articulation.
« Hokage-sama… est mort, articula-t-il péniblement. Le combat contre Kyuubi… ça l’a tué, il…
Alors Kakashi lui brisa le poignet. Le pauvre homme poussa un hurlement mais le garçon ne lâcha pas prise. Au contraire, il serra encore plus fort, totalement indifférent à la souffrance qu’il causait. Il entendit des cris, sentit vaguement que l’on essayait de lui faire lâcher prise mais désormais, ils ne pouvaient plus l’atteindre. Personne ne pouvait plus l’atteindre.
Hokage-sama est mort. Hokage-sama est mort. Hokage-sama est mort.
Les murs tournèrent plus vite. Il crut qu’il allait vomir. De plus en plus de gens étaient autour de lui, il le sentait. Mais il ne les voyait pas. Il ne les entendait pas. Hokage-sama est mort. Comment était-ce possible ? Hokage-sama est mort. Il était bien trop puissant, bien trop rapide, bien trop… Hokage-sama est mort. Il ne pouvait pas être mort, décida-t-il. Ce n’était pas vrai, ça ne pouvait être qu’un mensonge. Hokage-sama est mort. Un mensonge.
Mais il réalisa presque aussitôt que ce ne pouvait être cela : personne n’avait démenti. Personne ne l’avait contredit ou avancé une version différente. Il se prit la tête entre les mains et appuya son front contre ses genoux. Non. Non, non, non, NON !!!! Bordel non !! Pas lui, pas maintenant, pas après ça. Il sentit ses mains se mettre à trembler et serra les poings. Hokage-sama est mort. Hokage-sama est mort. Hokage-sama est mort. Bon sang ! Cette voix… qu’elle se taise, au nom de Dieu, qu’elle se taise !! C’était comme avec Sachi. Son cœur lui faisait si mal qu’il avait l’impression qu’il essayait de s’échapper de sa poitrine. Il saignait de l’intérieur. Il pissait le sang et personne ne le voyait.
Quelle fut la chose qui le reconnecta soudain et sans prévenir à la réalité, il l’ignorait mais sa main fusa à toute vitesse et immobilisa une seringue à quelques centimètres de son cou. Il resta un instant immobile, sans rien faire d’autre, puis, comme si la vue des gouttes perlant au bout de l’aiguille lui avait fait prendre conscience de la situation, il perdit brusquement tout contrôle. Sa frustration, sa détresse, son désespoir, sa douleur explosèrent.
Avec un cri de rage, il tordit le poignet du médecin qui lâcha la seringue avant de l’envoyer valser contre un mur. D’un geste vif, il ramassa la seringue et la planta sauvagement dans la jambe d’un autre homme qui s’avançait vers lui. Mais lorsqu’il poussa sur ses jambes pour bondir, une douleur aigue lui cisailla le torse et la jambe. Le temps qu’il change de stratégie et tâtonne en direction de sa pochette à kunaï qui n’était pas là, une nouvelle aiguille s’enfonçait dans son cou.
L’été qui suivit la mort du Yondaime fut l’un des plus torrides de Konoha. Il faisait si chaud que la sueur perlait au bout des mèches de cheveux qui tombaient devant son visage, son souffle sous le masque était désagréablement lourd et chaud. Le vent ne soufflait plus, n’apportait plus sa brise rafraîchissante et chaque pas soulevait des nuages de poussière blanche et brûlante que même l’ombre n’apaisait plus. Les tavernes qui auraient dû être pleines ne l’étaient pas. Seuls les inconditionnels et quelques Jounins pouvaient y être aperçus, de temps en temps. Peu de gens traînaient dehors en général, les commerçants sortaient leurs étalages le matin, tôt, mais passé midi, les rues devenaient désertes. Tout se passait en fait comme si le village lui-même était tombé dans une sorte d’apathie, abasourdi par tout ce qui était arrivé. Un corps dont le cœur se serait arrêté de battre. Un corps en décomposition.
Car vraiment, l’odeur était pestilentielle, réalisa Kakashi tandis qu’il arpentait l’avenue principale déserte si l’on exceptait le chat blanc qui ronronnait au soleil sur un muret le long de la rue. Apparemment, son petit éclat avait fait forte impression à l’hôpital. Pour la première fois – et sans doute la dernière – on l’avait fait sortir avant même qu’il n’en ait fait la demande. En d’autres temps, il s’en serait réjoui mais il n’en éprouva au final qu’une satisfaction extrêmement limitée. Les médecins étaient débordés, ils n’avaient pas de temps à accorder à un ANBU un peu instable et qui, à l’évidence, avait assez d’énergie pour pouvoir céder son lit à un autre.
Qui eut cru que le combat avait fait tant de victimes ? Jamais le garçon n’avait vu autant de blessés, de cadavres d’un seul coup. Les demandes d’identification étaient innombrables, le bureau spécialement créé pour l’occasion complètement débordé. Quant à la morgue, elle avait été si submergée en l’espace d’une nuit que tous les corps n’avaient pu être stockés. Alors on les avait laissés dehors avec tous les inconvénients visuelles et olfactifs que cela entraînait. Dieu merci, on avait eu le bon sens de regrouper les corps vers les zones moins habitées et fréquentées mais ça n’en rendait pas le spectacle moins horrible. L’air était lourd de chagrin. Tous les volets étaient fermés, la majorité des magasins fermés en signe de deuil.
Kakashi n’avait jamais pu faire comme les autres, en particulier en matière de mort. Loin de s’enfermer à la caserne avec d’autres, d’essayer de dormir pour être sans cesse réveillé par des hurlements que personne hormis lui n’entendait, il s’était ainsi mis à marcher. Cela faisait plusieurs heures maintenant. Il boitait de plus en plus et le soleil lui brûlait la peau mais ça lui était égal. Il n’aurait pas supporté de rester immobile. Ses pensées l’auraient rendu fou, à supposé bien sûr qu’elles ne l’aient pas déjà fait.
Il se trouvait maintenant dans le quartier des bains publics. Il s’engagea sur le pont et s’arrêta au milieu pour contempler l’eau. Elle était trouble, verte et écumeuse et ne sentait pas très bon elle non plus. Kakashi s’appuya sur la rambarde et posa son menton sur ses mains. Tout était parfaitement irréel. Les images du combat continuaient de défiler devant ses yeux encore et encore et il commençait à croire que jamais elles ne cesseraient de le hanter. Il revoyait les immenses queues onduler, les hommes voltiger comme les gouttes d’une gerbe d’eau transpercée par une lame d’acier. Insignifiants. Immédiatement oubliés, rejetés dans l’ombre comme s’ils n’avaient jamais existé. Il n’y avait pas eu la moindre différence, il avait pu le constater en longeant la morgue. Jounins, enfants, Kyuubi n’avait pas fait de jaloux, il avait massacré tout le monde. Quant aux survivants, eh bien… Il eut un bref sourire. Il ne restait plus des survivants que des fantômes à la recherche d’une âme qu’ils ne retrouveraient jamais.
Il repensa à Sachi. Comme à chaque fois qu’il le faisait, il eut l’impression que sa température corporelle chutait de dix degrés et il fut lui-même surpris de l’intensité de ses sentiments. L’ombre avait dévoré une partie de son âme lorsqu’elle lui avait lâché le bras parce qu’il ne pouvait s’empêcher de penser que sans lui, elle aurait peut-être survécu. Cela faisait partie des questions dont il savait très bien qu’il ne devait pas se les poser et qui le hanteraient jusqu’à la fin de ses jours. Un fantôme de plus sur sa route déserte. Il ignorait si son corps avait été ramené, il ne l’avait pas vu – et il ne savait toujours pas s’il en était heureux ou non. En fait, il n’avait retrouvé aucun de ses équipiers. Il n’avait pas vraiment cherché. Au fond de son cœur, il savait que ce n’était pas la peine.
D’un bond, il sauta sur la rambarde et resta ainsi, accroupi malgré la douleur que lui procurait cette position. Il ne sentait plus la chaleur. La peine et le désespoir l’avaient quitté et laissaient derrière eux un gouffre qu’il ne pouvait combler : il n’avait plus de courage, plus d’honneur, même plus de colère ou de haine pour ce qu’Arashi avait fait, juste la terrifiante sensation d’être dans une immense pièce vide où le moindre battement de cœur provoquait un écho sans fin. Il se sentait seul, démuni et ce qui était encore pire, jeune.
Un corbeau passa en croassant au dessus de sa tête et il leva les yeux vers le ciel nu. Il aurait presque pu les voir, Obito, Isane, Kaito, Sachi, Shobei, Arashi… et lui, tout seul sur son pont à vaguement envisager le suicide par noyade avant d’écarter l’idée d’un pur point de vue pratique (pas assez d’eau et chanceux comme il était, quelqu’un allait forcément le voir et se ruer à son secours). Il rebaissa la tête et appuya son poing serré contre sa bouche. Il se sentait seul à en crever. Il ne lui restait plus rien que des souvenirs qui bientôt se terniraient parce qu’ils n’étaient que des souvenirs dans un temple friable.
Alors, tout doucement et bien qu’il sût que cela n’avait aucun intérêt, encore moins de sens, le garçon repassa dans son esprit tous les moments qu’il avait passés avec eux. Peut-être que s’il se concentrait assez, s’il y croyait assez, il parviendrait à créer un monde où le temps n’existerait pas et où il pourrait contempler leurs visages pour l’éternité. Où il n’aurait pas à leur dire adieu.
Les heures passèrent. Le soleil descendait lentement à présent mais il ne pouvait pas partir. Ne le voulait pas. Il ne pouvait pas les abandonner. Pas encore.
Il était si absorbé dans ses pensées qu’il ne se rendit compte de la présence de l’autre que lorsque ce dernier se décida à parler.
« Comment tu fais pour rester dehors sans bouger avec un soleil pareil ? Tu veux griller ou quoi ? »
Kakashi ne prit pas la peine de se tourner, ni même de répondre.
« Je déconne pas, Kakashi… Tu vas ressembler à une chips si tu restes l…
- Qu’est-ce que tu veux ? » l’interrompit Kakashi, ennuyé.
Plus tôt il aurait répondu aux attentes de l’autre et plus vite il partirait. En uniforme de Jounin comme lui, bandeau à l’envers et senbon à la bouche, Genma soupira et s’appuya à son tour sur la rambarde. Il arborait plusieurs entailles au niveau de la mâchoire et portait son bras droit en écharpe. Pendant un moment, il resta silencieux.
« Jouer au poker est toujours risqué. Même pour les pros, finit-il par dire. »
Kakashi fronça les sourcils en se demandant si Genma était vraiment venu ici dans le seul but de lui parler poker puis il comprit ce qu’il voulait dire et eut un sourire amer.
« Tu ne pourras pas faire mieux que moi. Brelan, ajouta-t-il en voyant Genma hausser légèrement les sourcils. Et toi ?
- Je m’en sors mieux en effet : juste une paire. »
Dieu merci, Genma était suffisamment cynique lui-même, malgré son âge et son parcours relativement « normal » – pour ce que Kakashi en savait du moins – pour ne pas être choqué par ce genre de dialogue.
« Tant mieux pour toi. »
Genma haussa de nouveau les épaules, n’ayant visiblement pas d’avis sur la question. Plusieurs minutes s’écoulèrent avant que le garçon au senbon ne reprenne la parole.
« En fait, je me disais que ça t’intéresserait peut-être d’avoir des nouvelles du commandant… »
Kakashi ouvrit la bouche pour lui demander sèchement en quoi l’état du commandant pouvait bien l’intéresser puis il prit véritablement conscience de ce que l’autre venait de lui dire et son cœur fit un bond. Tout à sa détresse autodestructrice, il avait complètement oublié Okara. Il se tourna vers Genma, désormais parfaitement attentif, un mélange soigneusement dosé d’ennui et d’interrogation sur le visage. L’autre ANBU eut un sourire amusé.
« Il est tiré d’affaire, dit-il en mâchonnant son aiguille. On l’a sorti des soins intensifs il y a une heure.
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Il a fait une diversion pour que Hokage-sama puisse attaquer Kyuubi. Mais voilà la diversion… A mon avis, c’était une technique interdite. Il a eu du pot de pas en crever. Il aurait voulu mourir, il s’y serait pas pris autrement. C’était efficace, tu me diras… J’avais jamais vu des dragons d’air aussi puissants… »
Un frisson descendit le long du dos de Kakashi mais Genma affichait toujours son air blasé, parlant du combat comme il l’aurait fait de sa dernière expérience sexuelle au bordel. Il n’avait aucune idée de l’espoir et de la panique que ces mots venaient de réveiller chez Kakashi. Celui-ci réfréna un rictus ironique. On pouvait bien lui reprocher d’être inexpressif ; de son point de vue, la nonchalance était bien plus effrayante.
« Où il est maintenant ? demanda-t-il alors que Genma poursuivait son récit.
Le ninja au sembon se tourna vers lui et pour la première fois depuis qu’ils discutaient, son visage exprima un début de perplexité. Pendant un instant, il le dévisagea sans rien dire. Visiblement, il était en train d’examiner les arguments pour et contre d’une hypothèse sans parvenir à trancher.
« Dans une chambre de l’aile sécurisée de l’hôpital, finit-il par dire.
- Les officiers d’abord », marmonna Kakashi que cette information rendait un peu amer au souvenir de l’endroit où il s’était lui-même réveillé.
Genma se détendit.
« Toujours. »
Kakashi ne répondit pas et se remit à contempler l’eau. Etrange mais elle lui semblait plus claire que tout à l’heure et les rayons du soleil déclinant lui donnaient une belle teinte jaune orangée. Il leva les yeux de nouveau vers le ciel. Ils étaient toujours là et Kakashi savait qu’il les avait à jamais perdus mais il venait aussi de se réaliser qu’une de leurs places était encore vacante et cela suffisait à rendre le reste supportable.
« Je viens changer les pansements du patient. »
Les trois ANBU qui gardaient la porte de la chambre dévisagèrent longuement la jeune infirmière brune aux grands yeux bleus qui se tenait devant eux, un plateau dans les mains et un sourire amical mais tendu sur le visage. Le shinobi posté à droite de la porte la scanna de la tête aux pieds – s’attardant en particulier dans le décolleté de la jeune fille -, testa son chakra puis finit par lui indiquer qu’elle pouvait passer d’un signe de tête.
« Si tu veux, tu pourras changer les miens aussi après », l’interpella un autre ANBU sur un ton évident de suggestion en lui tapant sur les fesses lorsqu’elle passa devant lui.
Ses collègues éclatèrent d’un rire gras, rire qui s’éteignit cependant brusquement lorsque l’infirmière fit volte face. Son regard était si glacial que l’espace d’un instant, on eût dit quelqu’un d’autre. Les ANBU reculèrent, interloqués, et l’un d’entre porta la main à sa pochette d’arme mais presque aussitôt, l’aura de violence qui avait pulsé hors du corps frêle de la jeune fille disparut comme si elle n’avait jamais existé. Le temps que les ANBU se remettent, elle s’était glissée dans l’entrebâillement et avait claqué la porte derrière elle.
Dos au battant et les joues encore rouges de colère, Kakashi bloqua la porte et reprit son apparence normale dans un « pouf ! » à peine audible. Sur son honneur, jamais plus il ne ferait une chose pareille. Non seulement se balader dans des couloirs d’hôpital en jupe et talons hauts le mettait fort mal à l’aise – et nuisait ainsi à sa crédibilité – mais il n’était pas certain d’apprécier le sens de l’humour de certains shinobis. Par le ciel, perdait-on tout sens des convenances lorsque l’on était ANBU ? Il faudrait également qu’il touche deux mots au directeur de l’hôpital en matière de sécurité. Il était parvenu à entrer dans la chambre de l’officier le plus gradé après le Sandaime un peu trop facilement à son goût.
Secouant mentalement la tête, il écarta de son esprit toutes ces pensées et s’approcha du lit où Okara était allongé, immobile et les yeux fermés. Son cœur se serra à la vue de l’homme brisé étendu sur le lit. Une perfusion était enfoncée dans son bras droit et l’autre replié contre son torse, plâtré. Deux tuyaux sortaient de ses narines et des électrodes collées sur son torse bandé le reliaient à un moniteur sur le côté du lit. Le signal lumineux et sonore était régulier, de même que le soulèvement de sa poitrine, signe qu’il était toujours sous l’effet de l’anesthésie. Son visage nu, détendu et maigre, était visible mais apparaissait aux yeux de Kakashi inhabituellement vulnérable. C’était comme s’il avait eu accès à quelque chose d’intime, de secret.
Le garçon prit une chaise, s’assit à côté du lit et releva son masque peint. Il ne savait pas très bien pourquoi il était venu : Okara n’était plus son capitaine, encore moins son « sensei ». Mais il n’avait plus que lui. La nouvelle de sa survie l’avait littéralement extirpé de la nuit. Arashi était mort. Isane, Kaito, Sachi, Shobeï étaient morts, Rin était sortie de sa vie. Il n’y avait plus qu’Okara. La dernière personne à ancrer sa vie dans le réel. Il ne voulait pas qu’il meure. Il avait besoin de lui. Maintenant plus que jamais. Vivre était devenu une torture et ce n’était pas comme s’il avait eu des amis sur qui compter. Okara n’était pas un ami mais lui et Kakashi se ressemblaient. Quelque chose les liait, quelque chose de profond, une sorte de compréhension mutuelle tacite. Et au-delà de cela, Kakashi le réalisait, il y avait l’amour. Il ne servait plus à rien de le nier. L’idée de son commandant mort le plongeait dans un abyme de détresse, accompagnée d’une terrifiante sensation de vide. Il aimait Okara, malgré lui, malgré tout. Il l’aimait.
Un changement de rythme dans la respiration du jeune homme lui fit relever la tête. Il scruta le visage pâle avec angoisse. Une ride s’était formée entre les sourcils froncés et les paupières frémissaient. Kakashi se tendit, le cœur battant, les mains jointes en une prière muette. Ouvre les yeux. Ouvre les yeux, je t’en supplie. Il les voyait bouger sous les paupières closes, son souffle devenir plus saccadé ; il n’était pas loin, il allait revenir. Et soudain, deux gemmes d’un noir profond mais terne, comme érodées par le temps, apparurent, vacillantes, embrumées par la somnolence et la douleur. Kakashi baissa la tête, remerciant silencieusement le ciel d’avoir exaucé sa prière. Dieu existait peut-être en fin de compte. Il ne lui avait pas tout pris.
« Commandant… » murmura-t-il, la voix enrouée par l’émotion.
Un tressaillement parcourut les traits tirés d’Okara au son de sa voix. L’homme ne réagit pas tout de suite, son cerveau analysant probablement avec peine les informations que lui renvoyaient ses sens meurtris. Très lentement, les pupilles se tournèrent vers lui, le fixèrent quelques secondes sans réaction. Et flamboyèrent soudain d’une émotion si brute que Kakashi eut un mouvement de recul. La surprise, la rage puis le désespoir traversèrent le regard d’Okara par vagues successives violentes, faisant brusquement voler en éclat l’habituel masque d’impassibilité et de contrôle. Un son étranglé, sans doute à cause des tubes, jaillit des lèvres pâles et Kakashi vit son corps être secoué d’un spasme sous les draps. Pris de cours, la respiration soudain un peu difficile, il ne sut quoi dire. Ce n’était pas ce à quoi il s’était attendu.
Okara referma les yeux, les muscles de la mâchoire saillants, comme si l’ANBU en lui luttait de toutes ses forces pour garder le contrôle de ses émotions. Au comble de la stupéfaction, Kakashi vit une larme rouler sur la joue gauche de son supérieur. Cela le jeta dans une confusion sans borne et le mit extrêmement mal à l’aise. Il souhaita n’être jamais entré dans cette chambre. En venant ici, il avait voulu trouver un support, un roc sur lequel s’appuyer, pas une branche sur le point de casser. Ce n’était pas à lui de soigner les blessures des autres. Il ignorait comment faire.
« Arashi est mort ? »
Le garçon sursauta. Okara ne le regardait pas mais il avait à présent les yeux bien ouverts et l’acuité d’acier qui leur était propre était revenue. Sa voix était rauque. La gorge sèche, Kakashi dut forcer ses cordes vocales à fonctionner.
« Oui »
Ce simple mot lui écorcha les lèvres et le cœur. Un vertige s’empara de lui et il lui sembla que l’on venait seulement de lui apprendre la mort de son sensei. Il serra les poings et agrippa les plis de son pantalon et se mordit la lèvre inférieure. Okara ne réagit pas. Il se contenta de déglutir, certes péniblement. Kakashi ressentit alors l’urgent besoin de saisir la main ou le bras d’Okara, sentir sa chaleur, sa vie, sa présence. Sentir qu’il était là, près de lui, qu’il n’était pas seul. Se savoir en sécurité.
Il fixa son commandant, laissant pour une fois tous ses préjugés, toute sa rancœur, sa colère de côté ; il n’y avait plus de place pour cela. Ils n’étaient plus que tous les deux, il fallait… Ils avaient besoin l’un de l’autre, n’est-ce pas ? N’étaient-ils pas semblables ? Ne ressentaient-ils pas les mêmes choses ? Leurs vies… enfin, ils se comprenaient, non ? Kakashi ignorait tout de son commandant, absolument tout mais… il y avait… ce sentiment de proximité, cet écho, cette sensation de miroir un peu fêlé qu’il ressentait près de gens comme Shobeï. Et Okara était même plus que cela. L’homme était un modèle, une image rassurante, solide, il l’avait été dès le premier jour. Ce n’était pas comme avec Arashi : Okara appartenait à l’ombre, à la nuit, à ce qui était sale, noir et dont on ne parlait pas. Comme lui.
« Kakashi »
Il leva de nouveau les yeux vers Okara. Le commandant s’était tourné vers lui. Et à cet instant, en contemplant ce regard épuisé, émoussé par la vie, il sut ce que l’homme allait lui dire. Parce qu’ils se ressemblaient. Parce qu’ils se comprenaient. Parce que même si Okara ne lui avait jamais rien dit, il savait qu’ils partageaient les mêmes blessures, les mêmes craintes et qu’avec Arashi, ils avaient perdu la même chose. Pour toutes les raisons qui l’avaient conduit à aimer Okara, il ne pouvait que comprendre et peut-être était-ce le pire.
Le tremblement de ses mains échappa à son contrôle, il dut faire un terrible effort pour conserver un visage calme. Okara le regardait toujours, directement. Sans colère, sans artifice, sans hauteur ni froideur et Kakashi fut transpercé. Son cœur se serra à l’étouffer, il crut un instant qu’il allait s’écrouler. Il crut qu’il allait se lever, frapper Okara et lui dire d’aller au diable. Il crut qu’il allait lui hurler qu’il n’était qu’un égoïste, un faible, un lâche ; que lui ne l’aurait jamais fait, ne l’aurait jamais abandonné, qu’il l’aurait suivi jusqu’en Enfer s’il l’avait fallu et que bordel de merde ! ils étaient pareils !! Ils avaient besoin l’un de l’autre ! Un chef n’abandonnait pas ses hommes ! Il crut sincèrement qu’il allait l’implorer, le supplier de ne pas le laisser, quitte à envoyer sa fierté au diable.
Mais il ne le fit pas. Il ne fit rien de tout cela. A la place, il hocha la tête, se leva et avec douceur mais sans le regarder, il retira la perfusion, les électrodes et les tubes. Je vous aimais. Puis, d’un geste lent, il dégaina son katana (à croire qu’il avait su qu’il aurait à s’en servir lorsqu’il l’avait accroché dans son dos une heure auparavant). Sur la surface d’acier, l’ampoule de la chambre se refléta un instant comme un lac d’une parfaite immobilité l’aurait fait du soleil sanglant, lisse, sans fêlure, sans défaut. Il déglutit et assura sa prise sur le manche. Eleva la lame mais au tout dernier moment, il s’arrêta et mû par une soudaine intuition, il retira son masque et le tendit à Okara. Ne me laissez pas. Il n’aurait su expliquer pourquoi mais il savait que c’était le geste à faire, le geste que son supérieur avait attendu. Sans un mot, Okara le prit et son visage disparut derrière. Kakashi recula d’un pas. J’ai besoin de vous !!
Son cœur battait de plus en plus vite. Il adressa un ultime salut à son supérieur et éleva la lame. Dans sa poitrine, quelque chose hurla de rage et il l’entendit lui crier qu’il n’était pas trop tard, qu’il pouvait encore l’arrêter. Mais il l’ignora. Il ne pouvait pas le forcer à vivre alors qu’il n’en avait plus envie. Lui-même ne se souvenait que trop du désespoir insoutenable qu’il avait éprouvé lorsqu’il s’était éveillé dans un lit d’hôpital, preuve flagrante de son échec à mourir. Mais à l’intérieur de lui, la voix lui martelait que s’il laissait Okara partir maintenant, il allait se tuer lui-même parce qu’il n’allait jamais s’en remettre, encore moins se le pardonner. Pouvait-il prendre le risque ? Pouvait-il prendre le risque de tout perdre encore une fois sous prétexte qu’il avait fait son devoir ?
Okara perçut-il son hésitation, c’est probable. Toujours fut-il que Kakashi vit sa main droite se crisper sur le drap et immédiatement, le garçon prit sa décision. Il inspira profondément, visa…
« Merci Kakashi »
Frappa.
Curieusement, il n’éprouva rien lorsque le sang jaillit de la gorge tranchée et l’éclaboussa. Il ne ressentit rien non plus en voyant le corps tressauter quelques secondes avant de s’immobiliser, le bras droit pendant dans le vide. Le masque commença de glisser sur le côté mais Kakashi fit un pas en avant et le maintint en place. Pour rien au monde, il n’aurait voulu voir le visage, le regard de son supérieur. Ses yeux se baissèrent sur son arme. Lentement, il passa son index sur la lame pleine de sang, traçant un long chemin gris, perlé de rouge, le fixa quelques secondes et le fourra dans sa bouche. Il suça son doigt avec avidité, savourant le goût métallique sur sa langue et jusqu’au font de sa gorge, jusqu’à ce qu’il devienne ridé. Et puis tout se passa très vite. Quelque chose monta en lui, une vague amère destructrice si grande qu’elle aurait pu l’avaler de l’intérieur et il se sentit tomber, tomber dans le vide et il était le seul, l’unique responsable. Ses doigts bougèrent d’eux-mêmes. Le crissement des étincelles brisa le silence ambiant. Affolé, Kakashi saisit le katana, celui de son père, celui avec lequel il venait de tuer son dernier espoir de salut et d’une pression des doigts, il brisa la lame en morceaux. Ensuite seulement, il hurla.
On l’arrêta bien sûr. Il n’opposa aucune résistance lorsque les ANBU débarquèrent et le maîtrisèrent – peut-être un peu plus brutalement que ne l’auraient dicté la procédure et sa passivité – et le conduisirent aux prisons. Il ne frémit pas en passant devant les portes des cellules de prisonniers, celles où autrefois Okara lui avait appris à arracher des ongles – pour ne parler que des châtiments les plus doux – sans sourciller. Tout ceci appartenait désormais au passé. Okara n’était pas là, à lui crier dessus et à l’humilier, il n’était pas là. Ne le serait jamais plus. Et comme si c’était par lui que les prisons avaient pris cette dimension à la fois terrifiante et fascinante, Kakashi s’aperçut que lui mort, il n’éprouvait plus le moindre intérêt pour cet endroit. Rien n’avait changé pourtant mais il ne voyait plus à travers les mêmes yeux. En fait, il ne voyait plus rien. Tout lui était égal. Dans une certaine mesure, il était presque satisfait d’être là. C’était le seul, le meilleur endroit pour quelqu’un comme lui.
On le jeta dans une des innombrables cellules, humide, sombre et infestée de rats, les mains liées dans le dos. Une odeur écoeurante de sang, d’urine et de pourriture régnait. La seule source de lumière était les torches qui passaient de temps à autre devant sa porte et jetaient sur les murs et le sol de pierre des ombres dansantes dans lesquelles Kakashi croyait parfois reconnaître les queues de Kyuubi lui-même. Ces moments le jetaient dans un mélange de terreur absolue et de fascination morbide. Parfois, il était aussi saisi d’hilarité, une hilarité pleine d’autodérision qu’il ne cherchait plus à retenir et il se mettait à rire en se balançant d’avant en arrière sans reconnaître sa propre voix, à contempler ce qu’il était devenu. Un ninja, le fils de Crocs Blancs, l’élève du Yondaime, l’ANBU au Sharingan, en prison comme un vulgaire criminel ! Mais oui, il était un criminel. Ne venait-il pas de tuer une équipière et d’assassiner son commandant ? Oui, oui, oui. Lui, le gamin prodigue dont on avait tant fait l’éloge. Un assassin ! Un assassin que Konoha avait formé, admiré, tari d’éloges. C’était à mourir de rire !!
Mais la plupart du temps, il restait allongé sur le côté, la joue contre la pierre humide, à écouter les rats courir, les sentir le frôler, parfois le mordre. Et ça lui était égal. Il ne se demanda pas pourquoi on le laissait là, pourquoi on ne lui posait aucune question. Ça ne l’intéressait pas. Il ne mangea pas ce qu’on lui apporta. Il n’avait pas faim et il avait un souvenir des cuisines des prisons encore assez précis pour ne, de toutes façons, pas avoir envie d’y toucher. Bercé par la fièvre, la peine et la fatigue, il flottait dans un entre-deux monde, gris, sans couleur ni son qui parfois tendait vers un noir profond puis à d’autres vers un blanc plus pur. Le temps n’existait plus, il ignorait depuis combien de temps il était là. Tout avait cessé d’exister à la seconde où il l’avait tué. Il l’avait su, il avait su que ça le détruirait mais il l’avait fait quand même. Pourtant, il ne le regrettait pas. Lentement, sûrement, sa vie s’effilochait et il attendait avec patience le jour où le fil serait suffisamment mince pour être rompu d’une simple pression de la main.
Et puis un jour, de la même façon qu’on l’avait fait entrer, on l’en fit sortir. Fiévreux et à moitié conscient, il se sentit soulevé par les épaules et traîné dans les couloirs. Il crut qu’on s’était enfin décidé à l’interroger, à le punir jusqu’au moment où il reconnut le grincement de la porte principale et que la lumière du jour l’éblouit. La chaleur, à laquelle il n’était plus habituée, lui tomba dessus comme une chape de plomb.
De nouveau, il dut endurer les médecins, les tests, les potions mais désormais, ça ne lui apportait plus cette exaspération mêlée de haine. Il obéissait mécaniquement, sans écouter, sans comprendre ce qu’on pouvait bien lui dire. Il ne réfléchissait plus, n’en avait plus envie. Il se sentait mort.
Le Sandaime vint le voir le jour de sa sortie. Kakashi était assis sur son lit en tailleur et fixait depuis près d’une heure le verre d’eau qu’une infirmière lui avait donné sans le porter à ses lèvres. Il ne leva pas la tête en entendant la porte s’ouvrir mais il sut instinctivement qui venait d’entrer et qu’il était accompagné d’un ANBU.
« Bonjour Kakashi »
Kakashi ne réagit pas. Il ignorait ce que le Sandaime voulait, il s’en moquait et n’avait pour sa part rien à lui dire.
« Tu devrais boire, tu sais… »
Va chier, connard…
Le vieil homme poussa un soupir, se retourna et fit signe à l’ANBU de sortir. Il s’avança ensuite vers lui et se tint debout. Ses épaules étaient plus voûtées que d’habitude.
« Kakashi, mon garçon… Pardonne-moi mais il faut que nous parlions de quelque chose d’important tous les deux »
Le garçon renifla, ironique. Plus rien n’était important pour lui, ne l’avait-il pas compris, lui et toute sa soit disant sagesse ?
« Arashi t’a demandé quelque chose n’est-ce pas ? »
Kakashi leva les yeux et le regarda sans comprendre.
« Son fils », ajouta le Sandaime.
Ah, oui, bien sûr. Le gamin. Il eut envie de rire.
« Est-ce que j’ai une tête à vouloir, et à pouvoir, m’occuper d’un gosse ? demanda-t-il sèchement.
Sa voix était éraillée, sèche à cause de son silence prolongé.
« La question n’est pas là, Kakashi. Arashi est mort…
- Vous croyez m’apprendre quelque chose ?
- … et il t’a demandé de veiller sur Naruto. Ne trouves-tu pas qu’il mérite que tu y réfléchisses ? »
Kakashi soupira. Tout cela l’ennuyait. Il n’avait pas envie d’y réfléchir. Il n’avait pas envie de s’occuper de Naruto, il n’avait plus envie de vivre. Il n’avait plus envie de rien. Pourquoi aurait-il eu envie de vivre ? Il n’avait plus rien, plus rien !! On lui avait tout pris ! Pourquoi ? Pourquoi le ciel ne le laissait-il pas en paix ? Pourquoi ne le laissait-il pas partir ?
« S’il était aussi soucieux que cela de l’avenir de son fils, il n’avait qu’à s’arranger pour s’en occuper lui-même, cracha-t-il, farouche. »
Une certaine tristesse se peignit sur le visage ridé.
« Tu ne connais pas les détails, Kakashi…
- Et j’en ai rien à foutre. »
Il fut lui-même surpris du calme avec lequel il prononça cette phrase mais en réalité, il n’avait plus la force de se mettre en colère. Ou plutôt, il n’avait plus la force d’exprimer sa colère. Le sentiment de frustration et d’amertume terrible était toujours bel et bien là.
« Tout ce que je veux, reprit-il d’un ton à la fois terriblement las et implorant, c’est qu’on me foute la paix. Qu’on me foute la paix, putain. C’est trop demandé ? »
Il était parfaitement conscient que s’adresser ainsi à l’Hokage, même sans élever le ton, était passible de sanction mais ça n’avait plus la moindre espèce d’importance et il savait qu’on ne le punirait pas. Il était furieux. Furieux de voir que les adultes continuaient de se reposer sur lui et de le mêler à leurs problèmes alors qu’il n’appartenait pas à leur monde. Furieux de devoir subir les conséquences de leur incompétence.
Le Sandaime le dévisagea longuement sans rien dire puis il soupira.
« Très bien. Nous allons exposer le corps d’Arashi pour que les gens puissent lui rendre hommage, ajouta-t-il après hésitation. Mais les proches pourront le voir avant, en privé. Je pense que ça te concerne »
Et il sortit. Kakashi le suivit des yeux et quand il fut sorti, il fracassa son verre contre le mur le plus proche.
Fut-ce par sens du devoir, par amitié ou à cause de l’illusoire pensée que voir son corps et lui dire adieu en bonne et due forme allait apaiser son chagrin, toujours fut-il que Kakashi vint.
Le corps d’Arashi avait été déposé dans la grande salle du conseil, réaménagée pour l’occasion. Lorsqu’il se présenta, la porte était fermée mais un banc avait été installé tout près de l’entrée contre le mur. Une kunoichi y était assise. Un peu perplexe, Kakashi s’approcha et alla s’asseoir à côté d’elle mais il ne la regarda pas et ne lui adressa pas la parole. Elle fit de même de son côté. Il se demanda brièvement qui cela pouvait bien être – peut-être une parente d’Arashi, une représentante du clan Uzumaki – puis il décida qu’il s’en fichait et ferma les yeux. C’était absurde, il n’aurait jamais dû venir. Il ferait ce que la décence et le respect du aux morts ordonnaient et il partirait. Contempler un corps ne l’excitait pas vraiment, fût-il celui de son ancien sensei et Hokage.
Il commençait à s’impatienter quand enfin, la porte s’ouvrit et Koharu leur fit silencieusement signe d’entrer. Kakashi se leva, laissa passer la fille puis s’engagea à son tour mais en franchissant le seuil, il frissonna. La première fois qu’il était venu, il avait certes été impressionné mais à cause des participants. Aujourd’hui, c’était la pièce elle-même qui le faisait se sentir ridiculement petit. Elle n’était pas plus grande mais il y avait quelque chose dans l’atmosphère qui la rendait plus froide et plus pure. Tous les meubles avaient été enlevés mais un petit autel se trouvait à présent contre le mur en face de l’entrée. Un cadre contenant une large photo d’Arashi ainsi qu’un bol de riz y avaient été déposées. Des tentures noires ornaient les fenêtres traditionnellement nues et des fleurs avaient été accrochées aux murs. Il faisait frais malgré la saison. Et devant l’autel se trouvait un cercueil de bois clair dans lequel le corps d’Arashi reposait, recouvert d’un linceul blanc brodé d’or. Seul son visage blanc était visible, paisible dans la mort qui l’avait fauché à l’apogée de sa vie. Sur l’autel, des bâtons d’encens attendaient d’être brûlés. Kakashi jeta un bref coup d’œil autour de lui, de plus en plus mal à l’aise. Cet endroit… cet air, cette absence... C’était à peine supportable. Trop de choses se rassemblaient dans cette pièce, palpable ou non, des choses auxquelles il n’était pas préparé.
La jeune fille alla se placer à droite du cercueil, mains croisées devant elle. Son allure disait quelque chose à Kakashi mais ses cheveux longs tombaient devant son visage baissé et le dissimulaient aux personnes présentes. Le Sandaime, Jiraya, Orochimaru et Homura firent alors leur entrée. En voyant le Sannin brun, Kakashi éprouva une brusque bouffée de fureur. Que faisait cet homme ici ? Pourquoi était-il là, lui qui avait toujours fait preuve de mépris et de haine envers Arashi et qui aujourd’hui devait éprouver une jubilation intense ? Sa présence était une insulte ! Il croisa le regard de Jiraya et ce dernier dut voir sa colère car il haussa brièvement les épaules. Puis il alla s’installer à droite à côté de la jeune fille tandis qu’Orochimaru, Koharu et Homura allaient à gauche. Le Sannin aux longs cheveux blancs fit discrètement signe à Kakashi de venir se placer à côté de lui et le garçon obéit aussitôt sachant que de toutes façons, il ne pouvait rien à la présence du serpent.
Enfin, Danzou arriva et ferma la porte derrière lui avant d’aller se placer à côté d’Orochimaru. Kakashi réprima un nouveau frisson alors que son cœur se serrait. La présence de tous ces membres illustres du conseil ne rendait que plus flagrante l’absence de ceux pour qui il avait éprouvé de l’affection. Arashi avait droit à une cérémonie parce qu’il était Hokage et voir son corps était déjà très difficile à supporter. Mais Okara, lui, n’aurait droit à rien et cette pensée révulsait Kakashi jusqu’au plus profond de son être. Il n’avait rien à faire ici. Toutes ces personnes… Il les haïssait.
Le Sandaime s’avança, se plaça face au cercueil et entama une prière funèbre. Kakashi n’écouta pas ce qu’il disait mais chaque mot était comme un coup de poignard supplémentaire dans son cœur détruit. Une attaque de plus contre sa garde affaiblie et il sentait qu’il perdait le contrôle. Très bientôt, il ne supporterait plus de rester là. Les paroles pleines de douceur de l’Hokage le ramenaient malgré lui en arrière, à l’époque où ils étaient encore quatre, avec Obito et Rin qui souriait. Une époque où il n’avait été qu’un égoïste et un monstre mais avec une équipe entière. Il ne restait plus rien de cette équipe désormais. Plus rien. Les sourires, les rires, les moments de complicité, les confidences, cet incroyable sentiment d’appartenance, l’amitié étaient des choses qu’on lui avait volées une fois de plus, qui ne lui appartenaient plus et plus le temps passait, plus il mesurait l’importance de ce qu’il venait de perdre. C’était comme un trou ne cessant de s’agrandir à l’intérieur de sa poitrine.
Les mots cessèrent et un par un, les personnes présentes s’avancèrent vers le corps du Yondaime, s’inclinèrent et allumèrent un bâton d’encens qu’ils tinrent entre leurs mains dans une prière silencieuse. Le Sandaime, Homura, Koharu, Orochimaru et Jiraya s’exécutèrent premier, puis ce fut leur tout. La jeune fille passa d’abord. Elle s’inclina et resta penchée un long moment puis elle se détourna et alluma un bâton d’encens mais Kakashi vit ses mains trembler violemment tandis qu’elle priait et dès qu’elle eut fini, elle quitta la pièce presque en courant. Un peu troublé car ces manières lui rappelaient de plus en plus quelqu’un auquel il préférait ne pas penser, Kakashi choisit de ne pas faire attention et s’avança à son tour mais il comprit immédiatement le comportement de la jeune kunoichi. Car en contemplant vraiment de près le corps d’Arashi, malgré lui, malgré les résolutions qu’il avait prises, son cœur se serra plus que jamais et il sentit les larmes lui monter aux yeux.
L’instant, les quelques fractions de secondes au cours desquelles il prit véritablement conscience que son sensei était parti et que jamais il ne reviendrait furent parmi les plus douloureuses de sa vie. Il se pinça les lèvres et en même temps, à travers la peine, la souffrance, il ressentit autre chose. La conscience qu’il s’agissait d’un moment particulier. C’est maintenant, pensa-t-il. Maintenant, je dois prendre une décision. Parce qu’il n’y avait désormais plus de barrière entre lui et ce monde adulte qu’il haïssait et redoutait tant, parce que la seule personne qui lui avait vraiment témoigné de l’intérêt et de l’amour et servi d’écran avait disparu. Parce qu’à présent, il était seul et n’avait pas d’autre choix que d’accepter ce nouvel univers s’il voulait continuer à vivre.
Mais le voulait-il ? se demanda-t-il tandis qu’il joignait ses mains en signe de prière et se penchait sur le corps, les bâtons d’encens fumant entre ses doigts. Continuer à vivre pour quoi ? Pour qui ? Il ne voulait pas veiller sur le bébé, il n’en était pas capable et comment aurait-il pu vivre avec un souvenir vivant de son sensei près de lui ? Il n’avait rien promis, rien du tout. Il devait beaucoup à Arashi mais il ne pouvait pas faire ce qu’il lui avait demandé et quoi qu’on dise, Kakashi ne lui pardonnerait jamais ce qu’il avait fait. C’était quelque chose de bien trop intime, de douloureux en lui.
Il rouvrit les yeux et contempla une dernière fois ce beau visage si fin, si pâle, si serein, ces yeux bleus qu’il ne verrait jamais plus, cette voix qui ne s’élèverait plus, cette énergie, cette bienveillance, cette puissance et tout ce qui avait caractérisé le jeune Hokage. Il rappela à lui tous les souvenirs des moments passés avec lui pour ne pas en laisser un seul derrière, tout ce que son maître avait pu lui dire, les sermons, les disputes, tout. Il garda tout. Le garçon refoula ensuite avec peine les larmes qui lui piquaient de plus en plus les yeux et, tout bas, posant presque son front contre celui d’Arashi, il prononça les mots :
« Je suis désolé. »
Une fois dehors, il s’appuya contre la porte et respira à fond. Il se sentait à bout de forces, comme si le passage dans cette pièce lui avait ôté toute énergie, le laissant sans défense face au tourbillon de sentiments à l’intérieur de lui. De toutes ses forces il essaya de ne pas craquer, de refouler cette effroyable sensation de solitude et de perdition mais il n’en avait plus la force. Il ne pouvait plus. Son corps se mit à trembler et il plaqua son poing contre sa bouche pour étouffer le hurlement de détresse venu de ses entrailles, à deux doigts de la rupture. Jamais, jamais il ne s’était senti aussi mal. Et le monstre blessé à mort à l’intérieur de lui ruait furieusement pour s’exprimer, cognait encore et encore, si fort que Kakashi avait l’impression qu’un liquide brûlant allait s’échapper de chaque pore de sa peau si jamais il cédait. Il n’allait pas tenir, il ne tiendrait pas ! Il se recroquevilla sur lui-même, le souffle de plus en plus court, les bras pressés contre lui dans une tentative futile pour contenir cette tempête. Il allait tomber et personne n’était là pour l’aider à rester debout. Tout le monde était mort, il n’avait plus personne. Plus personne !
Ce fut à ce moment là qu’il entendit sa voix. Ce n’étaient pas des mots, plutôt des sanglots entrecoupés de tentatives désespérées pour s’exprimer mais il aurait reconnu le timbre de sa voix douce n’importe où. Il leva les yeux. La kunoichi était là, assis sur le banc, comme quelques minutes auparavant, mais elle avait relevé la tête. Elle le regardait droit dans les yeux et il la reconnut enfin. C’était Rin.
Kakashi la fixa, halluciné, osant à peine respirer. Rin… Elle était là, elle avait survécu. Si près de lui après tout ce temps, tous ces morts… Ses yeux si doux, ses mains croisées devant elle – comment avait-il pu ne pas remarquer ? -, ses cheveux qui avaient encore poussé. Et les larmes qu’elle ne retenait pas. Si jolie, réalisa-t-il avec un frisson bien qu’il ne put cette fois en expliquer l’origine. Sa vue provoqua un tonnerre d’émotions contradictoires et intenses qui lui ôtèrent jusqu’à la force de se tenir debout.
Mais alors qu’il sentait ses genoux céder sous son corps, comme si elle avait entendu son appel à l’aide désespéré, elle se leva et, le regard brillant de larmes mais flamboyant, elle courut le prendre dans ses bras. Ils s’effondrèrent ensemble. En l’entendant désormais pleurer à chaudes larmes contre sa joue humide, Kakashi sentit ses dernières forces l’abandonner. Il fourra son visage dans le cou de Rin et là, entouré de ses bras tendres et chauds, la douceur, la sécurité, la vie alors qu’il avait cru avoir tout perdu, confirmation qu’elle lui pardonnait, le jeune homme abandonna tout faux-semblant et s’autorisa enfin à pleurer.
Il ne resta que très peu de temps à la cérémonie d’hommage officielle. Il avait déjà pu lui dire adieu, ne voyait pas l’intérêt de le faire une deuxième fois et il n’avait aucune envie de se mêler à la foule.
Debout au sommet d’une maison toute proche du temple où la population s’amassait pour dire un dernier au revoir à son sauveur, Kakashi ferma les yeux et baissa la tête. C’était fait. Au fond de son cœur, il savait qu’il s’était engagé sur une voie. Laquelle, il n’en était pas encore sûr mais il savait ce qu’il devait faire pour acquérir la certitude et pouvoir dire adieu à toute une partie de sa vie.
Un très léger frottement sur les tuiles derrière lui l’informa que Rin venait de le rejoindre. Très doucement, elle posa sa main sur son épaule et murmura :
« On y va ? »
Il se retourna et hocha la tête.
« Oui. »
« Est-ce que tu veux que je m’en aille ? lui demanda-t-elle quelques minutes plus tard.
- Oui, répondit-il après un instant de réflexion en regardant la stèle de marbre bleu. Oui, s’il te plait.
- D’accord. Je ne serai pas loin. »
Et elle s’éloigna. Kakashi fut un instant tenté de la rappeler puis il se résolut. Non. Elle l’avait accompagné jusqu’ici, maintenant c’était à lui de jouer.
Très nerveux, les jambes flageolantes, il fourra ses mains dans ses poches pour en dissimuler le tremblement et fit un pas en avant. Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il étai censé faire : il n’avait pas eu pour coutume d’aller parler à son père après sa mort, ne l’avait pas fait non plus pour Isane. Bien trop risqué à son goût mais aujourd’hui, il n’avait plus le choix.
Respire. Tout va bien se passer, tu peux le faire. Seigneur, pourquoi était-ce si dur, même maintenant ? Pourquoi était-ce si douloureux ? Il agrippa sa chemise à l’emplacement du cœur. Il saignait encore tellement… Et il avait si honte… Sa présence était insultante, indigne. Il faillit faire demi-tour mais l’image de Rin le regardant de loin en souriant l’en empêcha. C’était aussi pour elle qu’il se devait de le faire. Ça faisait partie du deal. S’il continuait, il savait que ça ne pourrait se faire qu’avec elle, quelque fût la place qu’il lui accordait et pour cela, il devait être capable de le faire. De lui parler, de se faire pardonner…
Il prit une profonde inspiration.
« Salut Obito… murmura-t-il enfin.
Et puis peut-être parce que c’étaient les seuls, les bons mots à dire, il baissa la tête, se laissa tomber à genoux et ses lèvres bougèrent d’elles-mêmes.
« Pardonne-moi, balbutia-t-il. Je suis désolé, désolé, désolé… »
A une cinquantaine de mètres, Rin le vit se plier en deux et tomber et elle eut un sourire triste. A présent, elle en était sûre. Il vivrait.
Il y avait du bruit autour de lui, il l’entendait nettement. Un brouhaha de voix dont il percevait vaguement les nuances. Et des odeurs qu’il connaissait… Il les connaissait même très bien. Son nez se plissa de dégoût. Sans avoir complètement repris conscience, il sut où il se trouvait et l’amertume, le dégoût qu’il éprouvait pour cet endroit achevèrent de le réveiller. Son dos reposait sur quelque chose de très dur – pas un lit en tous cas (curieux pour un hôpital) – mais une couverture de laine recouvrait son corps et il avait la nette sensation d’un tissu sur le bas de son visage et sur son œil gauche.
Il ne put ouvrir immédiatement l’œil droit. Ses paupières étaient lourdes, tout comme son corps et sa bouche pâteuse. Son cerveau ne fonctionnait pas bien non plus ; les souvenirs, les images, tout était flou, flottait dans l’air sans lien, sans ordre, comme des lambeaux de rêve, effets secondaires désagréables et reconnaissables entre tous de l’anesthésie et des somnifères. L’idée d’avoir été maintenu endormi ne lui plaisait pas particulièrement. Il voulait bouger, voir. Toute cette agitation autour de lui, ces bruits de pas précipités… Il se passait quelque chose.
Il remua doucement les pieds, souleva légèrement les jambes, bougea les doigts. Tout répondait, même s’il ressentit une vive douleur – certes, tolérable – dans la cuisse gauche et au niveau des côtes. Son bras droit était engourdi. Paradoxalement, cela le mit mal à l’aise. Il avait la nette sensation que ce n’était pas normal – il n’aurait pas dû pouvoir bouger ainsi – mais il ne parvenait pas à se rappeler pourquoi. C’était une pensée assez angoissante et il sentit son cœur se mettre à battre plus vite.
Enfin, ses paupières se soulevèrent. Immédiatement, une lumière blanche et criarde l’éblouit, il dut refermer les yeux et battre des paupières plusieurs fois avant que sa vue ne se stabilise. A sa grande surprise, il ne fut pas accueilli par l’éternel plafond de carreaux blancs des chambres d’hôpital mais par une vaste surface grège, écaillée par endroits. Il fronça les sourcils. Il était pourtant bien à l’hôpital, impossible de confondre les odeurs, encore moins l’immonde chemise de nuit verte qu’on lui avait mise… Il tourna la tête sur le côté. Il était allongé à même le sol ; une épaisse couverture faisant office de matelas avait été installée à côté du sien et une femme au visage étroitement bandé y était allongée, une deuxième couverture, plus maigre, remontant avec peine jusqu’à sa poitrine. Qu’est-ce que c’est que ce bordel… Il ne voyait pas bien. Lentement, en prenant soin de s’appuyer sur son bras gauche, il se redressa en grimaçant et regarda autour de lui.
Quelque chose explosa dans sa poitrine. Il se trouvait dans le hall de l’hôpital de Konoha, un endroit qu’il avait probablement traversé davantage de fois que le seuil de sa propre maison, mais le sol de la vaste salle était à présent recouvert de matelas de fortune comme le sien. Des gens s’agitaient en tous sens, des infirmières, des médecins, les bras pleins de bandages, de perfusions, de bouteilles d’alcool, de boîtes de pilules, ciseaux, sparadrap etc. L’air était empli, suffoquait de gémissements, de râles, d’appels, de pleurs ; des pas précipités, quelqu’un qui sanglotait, du chakra. L’odeur de la morphine, du sang. Des ninjas, des civils allaient d’un lit à un autre, scrutant avec angoisse les blessés qui s’y trouvaient, puis s’éloignaient, cherchaient encore.
Un hurlement de douleur lui fit tourner la tête vers la droite. A quelques mètres de là, une femme de peut-être quarante ans criait en tendant les bras vers un lit, retenue avec peine par ce qui devait être sa fille et un infirmier.
« Mon fils ! C’EST MON FILS !! »
Kakashi sentit sa gorge s’assécher et détourna les yeux. Oui, oui maintenant il se souvenait. Kyuubi. Le combat, les massacres. Sachi. Son corps brisé. Arashi et Okara près de lui. Et puis plus rien. Que s’était-il passé ? Comment cela avait-il fini ? Il se redressa et arrêta presque au vol un infirmier qui passait en courant.
« Eh ! »
L’homme s’arrêta presque en catastrophe et manqua de perdre l’équilibre, faisant dangereusement vaciller les bouteilles sur le plateau qu’il tenait dans ses mains. D’un geste expert qui prouvait que ce n’était certainement pas la première fois que ce genre de choses lui arrivait, il reprit son équilibre avant d’adresser à Kakashi un regard de reproche que le garçon ignora.
« Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-il en faisant un geste large vers les autres blessés. Le combat… Hokage-sama… Il… il a gagné ? »
Un malaise évident ainsi qu’une certaine tristesse se peignit sur le visage de l’infirmier. Il regarda autour de lui et se dandina d’un pied sur l’autre, cherchant probablement ses mots. Kakashi sentit des milliers de picotements parcourir son corps. Son cœur s’emballa ; sans s’en rendre compte, il agrippa la couverture sur ses genoux. L’homme lui jeta un nouveau un coup d’œil nerveux et posa sa main sur son épaule.
« Euh… rallongez-vous, jeune homme. Je reviens tout de suite, un patient m’appelle. Votre cas était sérieux, vous ne devez p…
D’un geste sec, Kakashi saisit le poignet de l’infirmier et le tordit brutalement d’une clé de bras. L’homme poussa un hurlement de douleur et tomba à genoux. Le plateau chargé de flacons et d’instruments chirurgicaux tomba au sol dans un bruit métallique et l’une des petites bouteilles se brisa, laissant échapper un liquide mauve qui se répandit sur le sol. Des cris et des protestations retentirent derrière Kakashi mais il n’y prêta aucune attention. La colère déferlait à toute allure dans ses veines et il n’avait pas la moindre intention d’y faire obstacle.
« Au cas où tu ne serais pas au courant, gronda-t-il calmement mais d’un ton très froid, il est extrêmement déconseillé d’éluder les questions de ninjas et tu comprendras, je pense, qu’étant donné le contexte, mes nerfs soient quelque peu à vif. Qu’est-ce qui est arrivé à Hokage-sama ? Réponds ou je te casse le bras ! ajouta-t-il en forçant un peu plus sur l’articulation.
L’infirmier poussa un petit cri de douleur mais paradoxalement, il ne répondit pas tout de suite et ce qui troubla encore plus Kakashi, ce fut de constater que ce n’était pas par peur. Il y avait de la gêne dans son regard, de la réticence, comme s’il était d’avance désolé de ce qu’il allait dire. L’homme s’humecta les lèvres et malgré la souffrance que devait lui occasionner un tel mouvement, il leva lentement les yeux vers Kakashi.
« Ho… Hokage-sama est mort », murmura-t-il.
La foudre s’abattant sur lui ne lui aurait sans doute pas fait plus d’effet. Le jeune ANBU cligna des yeux, hébété, tandis qu’une sueur glacée dégoulinait le long de son dos. Il lui sembla tout à coup que les murs se mettaient à tourner. Pour conserver son équilibre, il serra le poignet de l’infirmier plus fort.
« Quoi ? » bredouilla-t-il.
Ce n’était pas possible. Il avait mal entendu. Il avait forcément mal entendu. Il ne pouvait qu’avoir mal entendu. L’infirmier laissa échapper un nouveau gémissement de douleur et se baissa pour diminuer la pression sur son articulation.
« Hokage-sama… est mort, articula-t-il péniblement. Le combat contre Kyuubi… ça l’a tué, il…
Alors Kakashi lui brisa le poignet. Le pauvre homme poussa un hurlement mais le garçon ne lâcha pas prise. Au contraire, il serra encore plus fort, totalement indifférent à la souffrance qu’il causait. Il entendit des cris, sentit vaguement que l’on essayait de lui faire lâcher prise mais désormais, ils ne pouvaient plus l’atteindre. Personne ne pouvait plus l’atteindre.
Hokage-sama est mort. Hokage-sama est mort. Hokage-sama est mort.
Les murs tournèrent plus vite. Il crut qu’il allait vomir. De plus en plus de gens étaient autour de lui, il le sentait. Mais il ne les voyait pas. Il ne les entendait pas. Hokage-sama est mort. Comment était-ce possible ? Hokage-sama est mort. Il était bien trop puissant, bien trop rapide, bien trop… Hokage-sama est mort. Il ne pouvait pas être mort, décida-t-il. Ce n’était pas vrai, ça ne pouvait être qu’un mensonge. Hokage-sama est mort. Un mensonge.
Mais il réalisa presque aussitôt que ce ne pouvait être cela : personne n’avait démenti. Personne ne l’avait contredit ou avancé une version différente. Il se prit la tête entre les mains et appuya son front contre ses genoux. Non. Non, non, non, NON !!!! Bordel non !! Pas lui, pas maintenant, pas après ça. Il sentit ses mains se mettre à trembler et serra les poings. Hokage-sama est mort. Hokage-sama est mort. Hokage-sama est mort. Bon sang ! Cette voix… qu’elle se taise, au nom de Dieu, qu’elle se taise !! C’était comme avec Sachi. Son cœur lui faisait si mal qu’il avait l’impression qu’il essayait de s’échapper de sa poitrine. Il saignait de l’intérieur. Il pissait le sang et personne ne le voyait.
Quelle fut la chose qui le reconnecta soudain et sans prévenir à la réalité, il l’ignorait mais sa main fusa à toute vitesse et immobilisa une seringue à quelques centimètres de son cou. Il resta un instant immobile, sans rien faire d’autre, puis, comme si la vue des gouttes perlant au bout de l’aiguille lui avait fait prendre conscience de la situation, il perdit brusquement tout contrôle. Sa frustration, sa détresse, son désespoir, sa douleur explosèrent.
Avec un cri de rage, il tordit le poignet du médecin qui lâcha la seringue avant de l’envoyer valser contre un mur. D’un geste vif, il ramassa la seringue et la planta sauvagement dans la jambe d’un autre homme qui s’avançait vers lui. Mais lorsqu’il poussa sur ses jambes pour bondir, une douleur aigue lui cisailla le torse et la jambe. Le temps qu’il change de stratégie et tâtonne en direction de sa pochette à kunaï qui n’était pas là, une nouvelle aiguille s’enfonçait dans son cou.
L’été qui suivit la mort du Yondaime fut l’un des plus torrides de Konoha. Il faisait si chaud que la sueur perlait au bout des mèches de cheveux qui tombaient devant son visage, son souffle sous le masque était désagréablement lourd et chaud. Le vent ne soufflait plus, n’apportait plus sa brise rafraîchissante et chaque pas soulevait des nuages de poussière blanche et brûlante que même l’ombre n’apaisait plus. Les tavernes qui auraient dû être pleines ne l’étaient pas. Seuls les inconditionnels et quelques Jounins pouvaient y être aperçus, de temps en temps. Peu de gens traînaient dehors en général, les commerçants sortaient leurs étalages le matin, tôt, mais passé midi, les rues devenaient désertes. Tout se passait en fait comme si le village lui-même était tombé dans une sorte d’apathie, abasourdi par tout ce qui était arrivé. Un corps dont le cœur se serait arrêté de battre. Un corps en décomposition.
Car vraiment, l’odeur était pestilentielle, réalisa Kakashi tandis qu’il arpentait l’avenue principale déserte si l’on exceptait le chat blanc qui ronronnait au soleil sur un muret le long de la rue. Apparemment, son petit éclat avait fait forte impression à l’hôpital. Pour la première fois – et sans doute la dernière – on l’avait fait sortir avant même qu’il n’en ait fait la demande. En d’autres temps, il s’en serait réjoui mais il n’en éprouva au final qu’une satisfaction extrêmement limitée. Les médecins étaient débordés, ils n’avaient pas de temps à accorder à un ANBU un peu instable et qui, à l’évidence, avait assez d’énergie pour pouvoir céder son lit à un autre.
Qui eut cru que le combat avait fait tant de victimes ? Jamais le garçon n’avait vu autant de blessés, de cadavres d’un seul coup. Les demandes d’identification étaient innombrables, le bureau spécialement créé pour l’occasion complètement débordé. Quant à la morgue, elle avait été si submergée en l’espace d’une nuit que tous les corps n’avaient pu être stockés. Alors on les avait laissés dehors avec tous les inconvénients visuelles et olfactifs que cela entraînait. Dieu merci, on avait eu le bon sens de regrouper les corps vers les zones moins habitées et fréquentées mais ça n’en rendait pas le spectacle moins horrible. L’air était lourd de chagrin. Tous les volets étaient fermés, la majorité des magasins fermés en signe de deuil.
Kakashi n’avait jamais pu faire comme les autres, en particulier en matière de mort. Loin de s’enfermer à la caserne avec d’autres, d’essayer de dormir pour être sans cesse réveillé par des hurlements que personne hormis lui n’entendait, il s’était ainsi mis à marcher. Cela faisait plusieurs heures maintenant. Il boitait de plus en plus et le soleil lui brûlait la peau mais ça lui était égal. Il n’aurait pas supporté de rester immobile. Ses pensées l’auraient rendu fou, à supposé bien sûr qu’elles ne l’aient pas déjà fait.
Il se trouvait maintenant dans le quartier des bains publics. Il s’engagea sur le pont et s’arrêta au milieu pour contempler l’eau. Elle était trouble, verte et écumeuse et ne sentait pas très bon elle non plus. Kakashi s’appuya sur la rambarde et posa son menton sur ses mains. Tout était parfaitement irréel. Les images du combat continuaient de défiler devant ses yeux encore et encore et il commençait à croire que jamais elles ne cesseraient de le hanter. Il revoyait les immenses queues onduler, les hommes voltiger comme les gouttes d’une gerbe d’eau transpercée par une lame d’acier. Insignifiants. Immédiatement oubliés, rejetés dans l’ombre comme s’ils n’avaient jamais existé. Il n’y avait pas eu la moindre différence, il avait pu le constater en longeant la morgue. Jounins, enfants, Kyuubi n’avait pas fait de jaloux, il avait massacré tout le monde. Quant aux survivants, eh bien… Il eut un bref sourire. Il ne restait plus des survivants que des fantômes à la recherche d’une âme qu’ils ne retrouveraient jamais.
Il repensa à Sachi. Comme à chaque fois qu’il le faisait, il eut l’impression que sa température corporelle chutait de dix degrés et il fut lui-même surpris de l’intensité de ses sentiments. L’ombre avait dévoré une partie de son âme lorsqu’elle lui avait lâché le bras parce qu’il ne pouvait s’empêcher de penser que sans lui, elle aurait peut-être survécu. Cela faisait partie des questions dont il savait très bien qu’il ne devait pas se les poser et qui le hanteraient jusqu’à la fin de ses jours. Un fantôme de plus sur sa route déserte. Il ignorait si son corps avait été ramené, il ne l’avait pas vu – et il ne savait toujours pas s’il en était heureux ou non. En fait, il n’avait retrouvé aucun de ses équipiers. Il n’avait pas vraiment cherché. Au fond de son cœur, il savait que ce n’était pas la peine.
D’un bond, il sauta sur la rambarde et resta ainsi, accroupi malgré la douleur que lui procurait cette position. Il ne sentait plus la chaleur. La peine et le désespoir l’avaient quitté et laissaient derrière eux un gouffre qu’il ne pouvait combler : il n’avait plus de courage, plus d’honneur, même plus de colère ou de haine pour ce qu’Arashi avait fait, juste la terrifiante sensation d’être dans une immense pièce vide où le moindre battement de cœur provoquait un écho sans fin. Il se sentait seul, démuni et ce qui était encore pire, jeune.
Un corbeau passa en croassant au dessus de sa tête et il leva les yeux vers le ciel nu. Il aurait presque pu les voir, Obito, Isane, Kaito, Sachi, Shobei, Arashi… et lui, tout seul sur son pont à vaguement envisager le suicide par noyade avant d’écarter l’idée d’un pur point de vue pratique (pas assez d’eau et chanceux comme il était, quelqu’un allait forcément le voir et se ruer à son secours). Il rebaissa la tête et appuya son poing serré contre sa bouche. Il se sentait seul à en crever. Il ne lui restait plus rien que des souvenirs qui bientôt se terniraient parce qu’ils n’étaient que des souvenirs dans un temple friable.
Alors, tout doucement et bien qu’il sût que cela n’avait aucun intérêt, encore moins de sens, le garçon repassa dans son esprit tous les moments qu’il avait passés avec eux. Peut-être que s’il se concentrait assez, s’il y croyait assez, il parviendrait à créer un monde où le temps n’existerait pas et où il pourrait contempler leurs visages pour l’éternité. Où il n’aurait pas à leur dire adieu.
Les heures passèrent. Le soleil descendait lentement à présent mais il ne pouvait pas partir. Ne le voulait pas. Il ne pouvait pas les abandonner. Pas encore.
Il était si absorbé dans ses pensées qu’il ne se rendit compte de la présence de l’autre que lorsque ce dernier se décida à parler.
« Comment tu fais pour rester dehors sans bouger avec un soleil pareil ? Tu veux griller ou quoi ? »
Kakashi ne prit pas la peine de se tourner, ni même de répondre.
« Je déconne pas, Kakashi… Tu vas ressembler à une chips si tu restes l…
- Qu’est-ce que tu veux ? » l’interrompit Kakashi, ennuyé.
Plus tôt il aurait répondu aux attentes de l’autre et plus vite il partirait. En uniforme de Jounin comme lui, bandeau à l’envers et senbon à la bouche, Genma soupira et s’appuya à son tour sur la rambarde. Il arborait plusieurs entailles au niveau de la mâchoire et portait son bras droit en écharpe. Pendant un moment, il resta silencieux.
« Jouer au poker est toujours risqué. Même pour les pros, finit-il par dire. »
Kakashi fronça les sourcils en se demandant si Genma était vraiment venu ici dans le seul but de lui parler poker puis il comprit ce qu’il voulait dire et eut un sourire amer.
« Tu ne pourras pas faire mieux que moi. Brelan, ajouta-t-il en voyant Genma hausser légèrement les sourcils. Et toi ?
- Je m’en sors mieux en effet : juste une paire. »
Dieu merci, Genma était suffisamment cynique lui-même, malgré son âge et son parcours relativement « normal » – pour ce que Kakashi en savait du moins – pour ne pas être choqué par ce genre de dialogue.
« Tant mieux pour toi. »
Genma haussa de nouveau les épaules, n’ayant visiblement pas d’avis sur la question. Plusieurs minutes s’écoulèrent avant que le garçon au senbon ne reprenne la parole.
« En fait, je me disais que ça t’intéresserait peut-être d’avoir des nouvelles du commandant… »
Kakashi ouvrit la bouche pour lui demander sèchement en quoi l’état du commandant pouvait bien l’intéresser puis il prit véritablement conscience de ce que l’autre venait de lui dire et son cœur fit un bond. Tout à sa détresse autodestructrice, il avait complètement oublié Okara. Il se tourna vers Genma, désormais parfaitement attentif, un mélange soigneusement dosé d’ennui et d’interrogation sur le visage. L’autre ANBU eut un sourire amusé.
« Il est tiré d’affaire, dit-il en mâchonnant son aiguille. On l’a sorti des soins intensifs il y a une heure.
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Il a fait une diversion pour que Hokage-sama puisse attaquer Kyuubi. Mais voilà la diversion… A mon avis, c’était une technique interdite. Il a eu du pot de pas en crever. Il aurait voulu mourir, il s’y serait pas pris autrement. C’était efficace, tu me diras… J’avais jamais vu des dragons d’air aussi puissants… »
Un frisson descendit le long du dos de Kakashi mais Genma affichait toujours son air blasé, parlant du combat comme il l’aurait fait de sa dernière expérience sexuelle au bordel. Il n’avait aucune idée de l’espoir et de la panique que ces mots venaient de réveiller chez Kakashi. Celui-ci réfréna un rictus ironique. On pouvait bien lui reprocher d’être inexpressif ; de son point de vue, la nonchalance était bien plus effrayante.
« Où il est maintenant ? demanda-t-il alors que Genma poursuivait son récit.
Le ninja au sembon se tourna vers lui et pour la première fois depuis qu’ils discutaient, son visage exprima un début de perplexité. Pendant un instant, il le dévisagea sans rien dire. Visiblement, il était en train d’examiner les arguments pour et contre d’une hypothèse sans parvenir à trancher.
« Dans une chambre de l’aile sécurisée de l’hôpital, finit-il par dire.
- Les officiers d’abord », marmonna Kakashi que cette information rendait un peu amer au souvenir de l’endroit où il s’était lui-même réveillé.
Genma se détendit.
« Toujours. »
Kakashi ne répondit pas et se remit à contempler l’eau. Etrange mais elle lui semblait plus claire que tout à l’heure et les rayons du soleil déclinant lui donnaient une belle teinte jaune orangée. Il leva les yeux de nouveau vers le ciel. Ils étaient toujours là et Kakashi savait qu’il les avait à jamais perdus mais il venait aussi de se réaliser qu’une de leurs places était encore vacante et cela suffisait à rendre le reste supportable.
« Je viens changer les pansements du patient. »
Les trois ANBU qui gardaient la porte de la chambre dévisagèrent longuement la jeune infirmière brune aux grands yeux bleus qui se tenait devant eux, un plateau dans les mains et un sourire amical mais tendu sur le visage. Le shinobi posté à droite de la porte la scanna de la tête aux pieds – s’attardant en particulier dans le décolleté de la jeune fille -, testa son chakra puis finit par lui indiquer qu’elle pouvait passer d’un signe de tête.
« Si tu veux, tu pourras changer les miens aussi après », l’interpella un autre ANBU sur un ton évident de suggestion en lui tapant sur les fesses lorsqu’elle passa devant lui.
Ses collègues éclatèrent d’un rire gras, rire qui s’éteignit cependant brusquement lorsque l’infirmière fit volte face. Son regard était si glacial que l’espace d’un instant, on eût dit quelqu’un d’autre. Les ANBU reculèrent, interloqués, et l’un d’entre porta la main à sa pochette d’arme mais presque aussitôt, l’aura de violence qui avait pulsé hors du corps frêle de la jeune fille disparut comme si elle n’avait jamais existé. Le temps que les ANBU se remettent, elle s’était glissée dans l’entrebâillement et avait claqué la porte derrière elle.
Dos au battant et les joues encore rouges de colère, Kakashi bloqua la porte et reprit son apparence normale dans un « pouf ! » à peine audible. Sur son honneur, jamais plus il ne ferait une chose pareille. Non seulement se balader dans des couloirs d’hôpital en jupe et talons hauts le mettait fort mal à l’aise – et nuisait ainsi à sa crédibilité – mais il n’était pas certain d’apprécier le sens de l’humour de certains shinobis. Par le ciel, perdait-on tout sens des convenances lorsque l’on était ANBU ? Il faudrait également qu’il touche deux mots au directeur de l’hôpital en matière de sécurité. Il était parvenu à entrer dans la chambre de l’officier le plus gradé après le Sandaime un peu trop facilement à son goût.
Secouant mentalement la tête, il écarta de son esprit toutes ces pensées et s’approcha du lit où Okara était allongé, immobile et les yeux fermés. Son cœur se serra à la vue de l’homme brisé étendu sur le lit. Une perfusion était enfoncée dans son bras droit et l’autre replié contre son torse, plâtré. Deux tuyaux sortaient de ses narines et des électrodes collées sur son torse bandé le reliaient à un moniteur sur le côté du lit. Le signal lumineux et sonore était régulier, de même que le soulèvement de sa poitrine, signe qu’il était toujours sous l’effet de l’anesthésie. Son visage nu, détendu et maigre, était visible mais apparaissait aux yeux de Kakashi inhabituellement vulnérable. C’était comme s’il avait eu accès à quelque chose d’intime, de secret.
Le garçon prit une chaise, s’assit à côté du lit et releva son masque peint. Il ne savait pas très bien pourquoi il était venu : Okara n’était plus son capitaine, encore moins son « sensei ». Mais il n’avait plus que lui. La nouvelle de sa survie l’avait littéralement extirpé de la nuit. Arashi était mort. Isane, Kaito, Sachi, Shobeï étaient morts, Rin était sortie de sa vie. Il n’y avait plus qu’Okara. La dernière personne à ancrer sa vie dans le réel. Il ne voulait pas qu’il meure. Il avait besoin de lui. Maintenant plus que jamais. Vivre était devenu une torture et ce n’était pas comme s’il avait eu des amis sur qui compter. Okara n’était pas un ami mais lui et Kakashi se ressemblaient. Quelque chose les liait, quelque chose de profond, une sorte de compréhension mutuelle tacite. Et au-delà de cela, Kakashi le réalisait, il y avait l’amour. Il ne servait plus à rien de le nier. L’idée de son commandant mort le plongeait dans un abyme de détresse, accompagnée d’une terrifiante sensation de vide. Il aimait Okara, malgré lui, malgré tout. Il l’aimait.
Un changement de rythme dans la respiration du jeune homme lui fit relever la tête. Il scruta le visage pâle avec angoisse. Une ride s’était formée entre les sourcils froncés et les paupières frémissaient. Kakashi se tendit, le cœur battant, les mains jointes en une prière muette. Ouvre les yeux. Ouvre les yeux, je t’en supplie. Il les voyait bouger sous les paupières closes, son souffle devenir plus saccadé ; il n’était pas loin, il allait revenir. Et soudain, deux gemmes d’un noir profond mais terne, comme érodées par le temps, apparurent, vacillantes, embrumées par la somnolence et la douleur. Kakashi baissa la tête, remerciant silencieusement le ciel d’avoir exaucé sa prière. Dieu existait peut-être en fin de compte. Il ne lui avait pas tout pris.
« Commandant… » murmura-t-il, la voix enrouée par l’émotion.
Un tressaillement parcourut les traits tirés d’Okara au son de sa voix. L’homme ne réagit pas tout de suite, son cerveau analysant probablement avec peine les informations que lui renvoyaient ses sens meurtris. Très lentement, les pupilles se tournèrent vers lui, le fixèrent quelques secondes sans réaction. Et flamboyèrent soudain d’une émotion si brute que Kakashi eut un mouvement de recul. La surprise, la rage puis le désespoir traversèrent le regard d’Okara par vagues successives violentes, faisant brusquement voler en éclat l’habituel masque d’impassibilité et de contrôle. Un son étranglé, sans doute à cause des tubes, jaillit des lèvres pâles et Kakashi vit son corps être secoué d’un spasme sous les draps. Pris de cours, la respiration soudain un peu difficile, il ne sut quoi dire. Ce n’était pas ce à quoi il s’était attendu.
Okara referma les yeux, les muscles de la mâchoire saillants, comme si l’ANBU en lui luttait de toutes ses forces pour garder le contrôle de ses émotions. Au comble de la stupéfaction, Kakashi vit une larme rouler sur la joue gauche de son supérieur. Cela le jeta dans une confusion sans borne et le mit extrêmement mal à l’aise. Il souhaita n’être jamais entré dans cette chambre. En venant ici, il avait voulu trouver un support, un roc sur lequel s’appuyer, pas une branche sur le point de casser. Ce n’était pas à lui de soigner les blessures des autres. Il ignorait comment faire.
« Arashi est mort ? »
Le garçon sursauta. Okara ne le regardait pas mais il avait à présent les yeux bien ouverts et l’acuité d’acier qui leur était propre était revenue. Sa voix était rauque. La gorge sèche, Kakashi dut forcer ses cordes vocales à fonctionner.
« Oui »
Ce simple mot lui écorcha les lèvres et le cœur. Un vertige s’empara de lui et il lui sembla que l’on venait seulement de lui apprendre la mort de son sensei. Il serra les poings et agrippa les plis de son pantalon et se mordit la lèvre inférieure. Okara ne réagit pas. Il se contenta de déglutir, certes péniblement. Kakashi ressentit alors l’urgent besoin de saisir la main ou le bras d’Okara, sentir sa chaleur, sa vie, sa présence. Sentir qu’il était là, près de lui, qu’il n’était pas seul. Se savoir en sécurité.
Il fixa son commandant, laissant pour une fois tous ses préjugés, toute sa rancœur, sa colère de côté ; il n’y avait plus de place pour cela. Ils n’étaient plus que tous les deux, il fallait… Ils avaient besoin l’un de l’autre, n’est-ce pas ? N’étaient-ils pas semblables ? Ne ressentaient-ils pas les mêmes choses ? Leurs vies… enfin, ils se comprenaient, non ? Kakashi ignorait tout de son commandant, absolument tout mais… il y avait… ce sentiment de proximité, cet écho, cette sensation de miroir un peu fêlé qu’il ressentait près de gens comme Shobeï. Et Okara était même plus que cela. L’homme était un modèle, une image rassurante, solide, il l’avait été dès le premier jour. Ce n’était pas comme avec Arashi : Okara appartenait à l’ombre, à la nuit, à ce qui était sale, noir et dont on ne parlait pas. Comme lui.
« Kakashi »
Il leva de nouveau les yeux vers Okara. Le commandant s’était tourné vers lui. Et à cet instant, en contemplant ce regard épuisé, émoussé par la vie, il sut ce que l’homme allait lui dire. Parce qu’ils se ressemblaient. Parce qu’ils se comprenaient. Parce que même si Okara ne lui avait jamais rien dit, il savait qu’ils partageaient les mêmes blessures, les mêmes craintes et qu’avec Arashi, ils avaient perdu la même chose. Pour toutes les raisons qui l’avaient conduit à aimer Okara, il ne pouvait que comprendre et peut-être était-ce le pire.
Le tremblement de ses mains échappa à son contrôle, il dut faire un terrible effort pour conserver un visage calme. Okara le regardait toujours, directement. Sans colère, sans artifice, sans hauteur ni froideur et Kakashi fut transpercé. Son cœur se serra à l’étouffer, il crut un instant qu’il allait s’écrouler. Il crut qu’il allait se lever, frapper Okara et lui dire d’aller au diable. Il crut qu’il allait lui hurler qu’il n’était qu’un égoïste, un faible, un lâche ; que lui ne l’aurait jamais fait, ne l’aurait jamais abandonné, qu’il l’aurait suivi jusqu’en Enfer s’il l’avait fallu et que bordel de merde ! ils étaient pareils !! Ils avaient besoin l’un de l’autre ! Un chef n’abandonnait pas ses hommes ! Il crut sincèrement qu’il allait l’implorer, le supplier de ne pas le laisser, quitte à envoyer sa fierté au diable.
Mais il ne le fit pas. Il ne fit rien de tout cela. A la place, il hocha la tête, se leva et avec douceur mais sans le regarder, il retira la perfusion, les électrodes et les tubes. Je vous aimais. Puis, d’un geste lent, il dégaina son katana (à croire qu’il avait su qu’il aurait à s’en servir lorsqu’il l’avait accroché dans son dos une heure auparavant). Sur la surface d’acier, l’ampoule de la chambre se refléta un instant comme un lac d’une parfaite immobilité l’aurait fait du soleil sanglant, lisse, sans fêlure, sans défaut. Il déglutit et assura sa prise sur le manche. Eleva la lame mais au tout dernier moment, il s’arrêta et mû par une soudaine intuition, il retira son masque et le tendit à Okara. Ne me laissez pas. Il n’aurait su expliquer pourquoi mais il savait que c’était le geste à faire, le geste que son supérieur avait attendu. Sans un mot, Okara le prit et son visage disparut derrière. Kakashi recula d’un pas. J’ai besoin de vous !!
Son cœur battait de plus en plus vite. Il adressa un ultime salut à son supérieur et éleva la lame. Dans sa poitrine, quelque chose hurla de rage et il l’entendit lui crier qu’il n’était pas trop tard, qu’il pouvait encore l’arrêter. Mais il l’ignora. Il ne pouvait pas le forcer à vivre alors qu’il n’en avait plus envie. Lui-même ne se souvenait que trop du désespoir insoutenable qu’il avait éprouvé lorsqu’il s’était éveillé dans un lit d’hôpital, preuve flagrante de son échec à mourir. Mais à l’intérieur de lui, la voix lui martelait que s’il laissait Okara partir maintenant, il allait se tuer lui-même parce qu’il n’allait jamais s’en remettre, encore moins se le pardonner. Pouvait-il prendre le risque ? Pouvait-il prendre le risque de tout perdre encore une fois sous prétexte qu’il avait fait son devoir ?
Okara perçut-il son hésitation, c’est probable. Toujours fut-il que Kakashi vit sa main droite se crisper sur le drap et immédiatement, le garçon prit sa décision. Il inspira profondément, visa…
« Merci Kakashi »
Frappa.
Curieusement, il n’éprouva rien lorsque le sang jaillit de la gorge tranchée et l’éclaboussa. Il ne ressentit rien non plus en voyant le corps tressauter quelques secondes avant de s’immobiliser, le bras droit pendant dans le vide. Le masque commença de glisser sur le côté mais Kakashi fit un pas en avant et le maintint en place. Pour rien au monde, il n’aurait voulu voir le visage, le regard de son supérieur. Ses yeux se baissèrent sur son arme. Lentement, il passa son index sur la lame pleine de sang, traçant un long chemin gris, perlé de rouge, le fixa quelques secondes et le fourra dans sa bouche. Il suça son doigt avec avidité, savourant le goût métallique sur sa langue et jusqu’au font de sa gorge, jusqu’à ce qu’il devienne ridé. Et puis tout se passa très vite. Quelque chose monta en lui, une vague amère destructrice si grande qu’elle aurait pu l’avaler de l’intérieur et il se sentit tomber, tomber dans le vide et il était le seul, l’unique responsable. Ses doigts bougèrent d’eux-mêmes. Le crissement des étincelles brisa le silence ambiant. Affolé, Kakashi saisit le katana, celui de son père, celui avec lequel il venait de tuer son dernier espoir de salut et d’une pression des doigts, il brisa la lame en morceaux. Ensuite seulement, il hurla.
On l’arrêta bien sûr. Il n’opposa aucune résistance lorsque les ANBU débarquèrent et le maîtrisèrent – peut-être un peu plus brutalement que ne l’auraient dicté la procédure et sa passivité – et le conduisirent aux prisons. Il ne frémit pas en passant devant les portes des cellules de prisonniers, celles où autrefois Okara lui avait appris à arracher des ongles – pour ne parler que des châtiments les plus doux – sans sourciller. Tout ceci appartenait désormais au passé. Okara n’était pas là, à lui crier dessus et à l’humilier, il n’était pas là. Ne le serait jamais plus. Et comme si c’était par lui que les prisons avaient pris cette dimension à la fois terrifiante et fascinante, Kakashi s’aperçut que lui mort, il n’éprouvait plus le moindre intérêt pour cet endroit. Rien n’avait changé pourtant mais il ne voyait plus à travers les mêmes yeux. En fait, il ne voyait plus rien. Tout lui était égal. Dans une certaine mesure, il était presque satisfait d’être là. C’était le seul, le meilleur endroit pour quelqu’un comme lui.
On le jeta dans une des innombrables cellules, humide, sombre et infestée de rats, les mains liées dans le dos. Une odeur écoeurante de sang, d’urine et de pourriture régnait. La seule source de lumière était les torches qui passaient de temps à autre devant sa porte et jetaient sur les murs et le sol de pierre des ombres dansantes dans lesquelles Kakashi croyait parfois reconnaître les queues de Kyuubi lui-même. Ces moments le jetaient dans un mélange de terreur absolue et de fascination morbide. Parfois, il était aussi saisi d’hilarité, une hilarité pleine d’autodérision qu’il ne cherchait plus à retenir et il se mettait à rire en se balançant d’avant en arrière sans reconnaître sa propre voix, à contempler ce qu’il était devenu. Un ninja, le fils de Crocs Blancs, l’élève du Yondaime, l’ANBU au Sharingan, en prison comme un vulgaire criminel ! Mais oui, il était un criminel. Ne venait-il pas de tuer une équipière et d’assassiner son commandant ? Oui, oui, oui. Lui, le gamin prodigue dont on avait tant fait l’éloge. Un assassin ! Un assassin que Konoha avait formé, admiré, tari d’éloges. C’était à mourir de rire !!
Mais la plupart du temps, il restait allongé sur le côté, la joue contre la pierre humide, à écouter les rats courir, les sentir le frôler, parfois le mordre. Et ça lui était égal. Il ne se demanda pas pourquoi on le laissait là, pourquoi on ne lui posait aucune question. Ça ne l’intéressait pas. Il ne mangea pas ce qu’on lui apporta. Il n’avait pas faim et il avait un souvenir des cuisines des prisons encore assez précis pour ne, de toutes façons, pas avoir envie d’y toucher. Bercé par la fièvre, la peine et la fatigue, il flottait dans un entre-deux monde, gris, sans couleur ni son qui parfois tendait vers un noir profond puis à d’autres vers un blanc plus pur. Le temps n’existait plus, il ignorait depuis combien de temps il était là. Tout avait cessé d’exister à la seconde où il l’avait tué. Il l’avait su, il avait su que ça le détruirait mais il l’avait fait quand même. Pourtant, il ne le regrettait pas. Lentement, sûrement, sa vie s’effilochait et il attendait avec patience le jour où le fil serait suffisamment mince pour être rompu d’une simple pression de la main.
Et puis un jour, de la même façon qu’on l’avait fait entrer, on l’en fit sortir. Fiévreux et à moitié conscient, il se sentit soulevé par les épaules et traîné dans les couloirs. Il crut qu’on s’était enfin décidé à l’interroger, à le punir jusqu’au moment où il reconnut le grincement de la porte principale et que la lumière du jour l’éblouit. La chaleur, à laquelle il n’était plus habituée, lui tomba dessus comme une chape de plomb.
De nouveau, il dut endurer les médecins, les tests, les potions mais désormais, ça ne lui apportait plus cette exaspération mêlée de haine. Il obéissait mécaniquement, sans écouter, sans comprendre ce qu’on pouvait bien lui dire. Il ne réfléchissait plus, n’en avait plus envie. Il se sentait mort.
Le Sandaime vint le voir le jour de sa sortie. Kakashi était assis sur son lit en tailleur et fixait depuis près d’une heure le verre d’eau qu’une infirmière lui avait donné sans le porter à ses lèvres. Il ne leva pas la tête en entendant la porte s’ouvrir mais il sut instinctivement qui venait d’entrer et qu’il était accompagné d’un ANBU.
« Bonjour Kakashi »
Kakashi ne réagit pas. Il ignorait ce que le Sandaime voulait, il s’en moquait et n’avait pour sa part rien à lui dire.
« Tu devrais boire, tu sais… »
Va chier, connard…
Le vieil homme poussa un soupir, se retourna et fit signe à l’ANBU de sortir. Il s’avança ensuite vers lui et se tint debout. Ses épaules étaient plus voûtées que d’habitude.
« Kakashi, mon garçon… Pardonne-moi mais il faut que nous parlions de quelque chose d’important tous les deux »
Le garçon renifla, ironique. Plus rien n’était important pour lui, ne l’avait-il pas compris, lui et toute sa soit disant sagesse ?
« Arashi t’a demandé quelque chose n’est-ce pas ? »
Kakashi leva les yeux et le regarda sans comprendre.
« Son fils », ajouta le Sandaime.
Ah, oui, bien sûr. Le gamin. Il eut envie de rire.
« Est-ce que j’ai une tête à vouloir, et à pouvoir, m’occuper d’un gosse ? demanda-t-il sèchement.
Sa voix était éraillée, sèche à cause de son silence prolongé.
« La question n’est pas là, Kakashi. Arashi est mort…
- Vous croyez m’apprendre quelque chose ?
- … et il t’a demandé de veiller sur Naruto. Ne trouves-tu pas qu’il mérite que tu y réfléchisses ? »
Kakashi soupira. Tout cela l’ennuyait. Il n’avait pas envie d’y réfléchir. Il n’avait pas envie de s’occuper de Naruto, il n’avait plus envie de vivre. Il n’avait plus envie de rien. Pourquoi aurait-il eu envie de vivre ? Il n’avait plus rien, plus rien !! On lui avait tout pris ! Pourquoi ? Pourquoi le ciel ne le laissait-il pas en paix ? Pourquoi ne le laissait-il pas partir ?
« S’il était aussi soucieux que cela de l’avenir de son fils, il n’avait qu’à s’arranger pour s’en occuper lui-même, cracha-t-il, farouche. »
Une certaine tristesse se peignit sur le visage ridé.
« Tu ne connais pas les détails, Kakashi…
- Et j’en ai rien à foutre. »
Il fut lui-même surpris du calme avec lequel il prononça cette phrase mais en réalité, il n’avait plus la force de se mettre en colère. Ou plutôt, il n’avait plus la force d’exprimer sa colère. Le sentiment de frustration et d’amertume terrible était toujours bel et bien là.
« Tout ce que je veux, reprit-il d’un ton à la fois terriblement las et implorant, c’est qu’on me foute la paix. Qu’on me foute la paix, putain. C’est trop demandé ? »
Il était parfaitement conscient que s’adresser ainsi à l’Hokage, même sans élever le ton, était passible de sanction mais ça n’avait plus la moindre espèce d’importance et il savait qu’on ne le punirait pas. Il était furieux. Furieux de voir que les adultes continuaient de se reposer sur lui et de le mêler à leurs problèmes alors qu’il n’appartenait pas à leur monde. Furieux de devoir subir les conséquences de leur incompétence.
Le Sandaime le dévisagea longuement sans rien dire puis il soupira.
« Très bien. Nous allons exposer le corps d’Arashi pour que les gens puissent lui rendre hommage, ajouta-t-il après hésitation. Mais les proches pourront le voir avant, en privé. Je pense que ça te concerne »
Et il sortit. Kakashi le suivit des yeux et quand il fut sorti, il fracassa son verre contre le mur le plus proche.
Fut-ce par sens du devoir, par amitié ou à cause de l’illusoire pensée que voir son corps et lui dire adieu en bonne et due forme allait apaiser son chagrin, toujours fut-il que Kakashi vint.
Le corps d’Arashi avait été déposé dans la grande salle du conseil, réaménagée pour l’occasion. Lorsqu’il se présenta, la porte était fermée mais un banc avait été installé tout près de l’entrée contre le mur. Une kunoichi y était assise. Un peu perplexe, Kakashi s’approcha et alla s’asseoir à côté d’elle mais il ne la regarda pas et ne lui adressa pas la parole. Elle fit de même de son côté. Il se demanda brièvement qui cela pouvait bien être – peut-être une parente d’Arashi, une représentante du clan Uzumaki – puis il décida qu’il s’en fichait et ferma les yeux. C’était absurde, il n’aurait jamais dû venir. Il ferait ce que la décence et le respect du aux morts ordonnaient et il partirait. Contempler un corps ne l’excitait pas vraiment, fût-il celui de son ancien sensei et Hokage.
Il commençait à s’impatienter quand enfin, la porte s’ouvrit et Koharu leur fit silencieusement signe d’entrer. Kakashi se leva, laissa passer la fille puis s’engagea à son tour mais en franchissant le seuil, il frissonna. La première fois qu’il était venu, il avait certes été impressionné mais à cause des participants. Aujourd’hui, c’était la pièce elle-même qui le faisait se sentir ridiculement petit. Elle n’était pas plus grande mais il y avait quelque chose dans l’atmosphère qui la rendait plus froide et plus pure. Tous les meubles avaient été enlevés mais un petit autel se trouvait à présent contre le mur en face de l’entrée. Un cadre contenant une large photo d’Arashi ainsi qu’un bol de riz y avaient été déposées. Des tentures noires ornaient les fenêtres traditionnellement nues et des fleurs avaient été accrochées aux murs. Il faisait frais malgré la saison. Et devant l’autel se trouvait un cercueil de bois clair dans lequel le corps d’Arashi reposait, recouvert d’un linceul blanc brodé d’or. Seul son visage blanc était visible, paisible dans la mort qui l’avait fauché à l’apogée de sa vie. Sur l’autel, des bâtons d’encens attendaient d’être brûlés. Kakashi jeta un bref coup d’œil autour de lui, de plus en plus mal à l’aise. Cet endroit… cet air, cette absence... C’était à peine supportable. Trop de choses se rassemblaient dans cette pièce, palpable ou non, des choses auxquelles il n’était pas préparé.
La jeune fille alla se placer à droite du cercueil, mains croisées devant elle. Son allure disait quelque chose à Kakashi mais ses cheveux longs tombaient devant son visage baissé et le dissimulaient aux personnes présentes. Le Sandaime, Jiraya, Orochimaru et Homura firent alors leur entrée. En voyant le Sannin brun, Kakashi éprouva une brusque bouffée de fureur. Que faisait cet homme ici ? Pourquoi était-il là, lui qui avait toujours fait preuve de mépris et de haine envers Arashi et qui aujourd’hui devait éprouver une jubilation intense ? Sa présence était une insulte ! Il croisa le regard de Jiraya et ce dernier dut voir sa colère car il haussa brièvement les épaules. Puis il alla s’installer à droite à côté de la jeune fille tandis qu’Orochimaru, Koharu et Homura allaient à gauche. Le Sannin aux longs cheveux blancs fit discrètement signe à Kakashi de venir se placer à côté de lui et le garçon obéit aussitôt sachant que de toutes façons, il ne pouvait rien à la présence du serpent.
Enfin, Danzou arriva et ferma la porte derrière lui avant d’aller se placer à côté d’Orochimaru. Kakashi réprima un nouveau frisson alors que son cœur se serrait. La présence de tous ces membres illustres du conseil ne rendait que plus flagrante l’absence de ceux pour qui il avait éprouvé de l’affection. Arashi avait droit à une cérémonie parce qu’il était Hokage et voir son corps était déjà très difficile à supporter. Mais Okara, lui, n’aurait droit à rien et cette pensée révulsait Kakashi jusqu’au plus profond de son être. Il n’avait rien à faire ici. Toutes ces personnes… Il les haïssait.
Le Sandaime s’avança, se plaça face au cercueil et entama une prière funèbre. Kakashi n’écouta pas ce qu’il disait mais chaque mot était comme un coup de poignard supplémentaire dans son cœur détruit. Une attaque de plus contre sa garde affaiblie et il sentait qu’il perdait le contrôle. Très bientôt, il ne supporterait plus de rester là. Les paroles pleines de douceur de l’Hokage le ramenaient malgré lui en arrière, à l’époque où ils étaient encore quatre, avec Obito et Rin qui souriait. Une époque où il n’avait été qu’un égoïste et un monstre mais avec une équipe entière. Il ne restait plus rien de cette équipe désormais. Plus rien. Les sourires, les rires, les moments de complicité, les confidences, cet incroyable sentiment d’appartenance, l’amitié étaient des choses qu’on lui avait volées une fois de plus, qui ne lui appartenaient plus et plus le temps passait, plus il mesurait l’importance de ce qu’il venait de perdre. C’était comme un trou ne cessant de s’agrandir à l’intérieur de sa poitrine.
Les mots cessèrent et un par un, les personnes présentes s’avancèrent vers le corps du Yondaime, s’inclinèrent et allumèrent un bâton d’encens qu’ils tinrent entre leurs mains dans une prière silencieuse. Le Sandaime, Homura, Koharu, Orochimaru et Jiraya s’exécutèrent premier, puis ce fut leur tout. La jeune fille passa d’abord. Elle s’inclina et resta penchée un long moment puis elle se détourna et alluma un bâton d’encens mais Kakashi vit ses mains trembler violemment tandis qu’elle priait et dès qu’elle eut fini, elle quitta la pièce presque en courant. Un peu troublé car ces manières lui rappelaient de plus en plus quelqu’un auquel il préférait ne pas penser, Kakashi choisit de ne pas faire attention et s’avança à son tour mais il comprit immédiatement le comportement de la jeune kunoichi. Car en contemplant vraiment de près le corps d’Arashi, malgré lui, malgré les résolutions qu’il avait prises, son cœur se serra plus que jamais et il sentit les larmes lui monter aux yeux.
L’instant, les quelques fractions de secondes au cours desquelles il prit véritablement conscience que son sensei était parti et que jamais il ne reviendrait furent parmi les plus douloureuses de sa vie. Il se pinça les lèvres et en même temps, à travers la peine, la souffrance, il ressentit autre chose. La conscience qu’il s’agissait d’un moment particulier. C’est maintenant, pensa-t-il. Maintenant, je dois prendre une décision. Parce qu’il n’y avait désormais plus de barrière entre lui et ce monde adulte qu’il haïssait et redoutait tant, parce que la seule personne qui lui avait vraiment témoigné de l’intérêt et de l’amour et servi d’écran avait disparu. Parce qu’à présent, il était seul et n’avait pas d’autre choix que d’accepter ce nouvel univers s’il voulait continuer à vivre.
Mais le voulait-il ? se demanda-t-il tandis qu’il joignait ses mains en signe de prière et se penchait sur le corps, les bâtons d’encens fumant entre ses doigts. Continuer à vivre pour quoi ? Pour qui ? Il ne voulait pas veiller sur le bébé, il n’en était pas capable et comment aurait-il pu vivre avec un souvenir vivant de son sensei près de lui ? Il n’avait rien promis, rien du tout. Il devait beaucoup à Arashi mais il ne pouvait pas faire ce qu’il lui avait demandé et quoi qu’on dise, Kakashi ne lui pardonnerait jamais ce qu’il avait fait. C’était quelque chose de bien trop intime, de douloureux en lui.
Il rouvrit les yeux et contempla une dernière fois ce beau visage si fin, si pâle, si serein, ces yeux bleus qu’il ne verrait jamais plus, cette voix qui ne s’élèverait plus, cette énergie, cette bienveillance, cette puissance et tout ce qui avait caractérisé le jeune Hokage. Il rappela à lui tous les souvenirs des moments passés avec lui pour ne pas en laisser un seul derrière, tout ce que son maître avait pu lui dire, les sermons, les disputes, tout. Il garda tout. Le garçon refoula ensuite avec peine les larmes qui lui piquaient de plus en plus les yeux et, tout bas, posant presque son front contre celui d’Arashi, il prononça les mots :
« Je suis désolé. »
Une fois dehors, il s’appuya contre la porte et respira à fond. Il se sentait à bout de forces, comme si le passage dans cette pièce lui avait ôté toute énergie, le laissant sans défense face au tourbillon de sentiments à l’intérieur de lui. De toutes ses forces il essaya de ne pas craquer, de refouler cette effroyable sensation de solitude et de perdition mais il n’en avait plus la force. Il ne pouvait plus. Son corps se mit à trembler et il plaqua son poing contre sa bouche pour étouffer le hurlement de détresse venu de ses entrailles, à deux doigts de la rupture. Jamais, jamais il ne s’était senti aussi mal. Et le monstre blessé à mort à l’intérieur de lui ruait furieusement pour s’exprimer, cognait encore et encore, si fort que Kakashi avait l’impression qu’un liquide brûlant allait s’échapper de chaque pore de sa peau si jamais il cédait. Il n’allait pas tenir, il ne tiendrait pas ! Il se recroquevilla sur lui-même, le souffle de plus en plus court, les bras pressés contre lui dans une tentative futile pour contenir cette tempête. Il allait tomber et personne n’était là pour l’aider à rester debout. Tout le monde était mort, il n’avait plus personne. Plus personne !
Ce fut à ce moment là qu’il entendit sa voix. Ce n’étaient pas des mots, plutôt des sanglots entrecoupés de tentatives désespérées pour s’exprimer mais il aurait reconnu le timbre de sa voix douce n’importe où. Il leva les yeux. La kunoichi était là, assis sur le banc, comme quelques minutes auparavant, mais elle avait relevé la tête. Elle le regardait droit dans les yeux et il la reconnut enfin. C’était Rin.
Kakashi la fixa, halluciné, osant à peine respirer. Rin… Elle était là, elle avait survécu. Si près de lui après tout ce temps, tous ces morts… Ses yeux si doux, ses mains croisées devant elle – comment avait-il pu ne pas remarquer ? -, ses cheveux qui avaient encore poussé. Et les larmes qu’elle ne retenait pas. Si jolie, réalisa-t-il avec un frisson bien qu’il ne put cette fois en expliquer l’origine. Sa vue provoqua un tonnerre d’émotions contradictoires et intenses qui lui ôtèrent jusqu’à la force de se tenir debout.
Mais alors qu’il sentait ses genoux céder sous son corps, comme si elle avait entendu son appel à l’aide désespéré, elle se leva et, le regard brillant de larmes mais flamboyant, elle courut le prendre dans ses bras. Ils s’effondrèrent ensemble. En l’entendant désormais pleurer à chaudes larmes contre sa joue humide, Kakashi sentit ses dernières forces l’abandonner. Il fourra son visage dans le cou de Rin et là, entouré de ses bras tendres et chauds, la douceur, la sécurité, la vie alors qu’il avait cru avoir tout perdu, confirmation qu’elle lui pardonnait, le jeune homme abandonna tout faux-semblant et s’autorisa enfin à pleurer.
Il ne resta que très peu de temps à la cérémonie d’hommage officielle. Il avait déjà pu lui dire adieu, ne voyait pas l’intérêt de le faire une deuxième fois et il n’avait aucune envie de se mêler à la foule.
Debout au sommet d’une maison toute proche du temple où la population s’amassait pour dire un dernier au revoir à son sauveur, Kakashi ferma les yeux et baissa la tête. C’était fait. Au fond de son cœur, il savait qu’il s’était engagé sur une voie. Laquelle, il n’en était pas encore sûr mais il savait ce qu’il devait faire pour acquérir la certitude et pouvoir dire adieu à toute une partie de sa vie.
Un très léger frottement sur les tuiles derrière lui l’informa que Rin venait de le rejoindre. Très doucement, elle posa sa main sur son épaule et murmura :
« On y va ? »
Il se retourna et hocha la tête.
« Oui. »
« Est-ce que tu veux que je m’en aille ? lui demanda-t-elle quelques minutes plus tard.
- Oui, répondit-il après un instant de réflexion en regardant la stèle de marbre bleu. Oui, s’il te plait.
- D’accord. Je ne serai pas loin. »
Et elle s’éloigna. Kakashi fut un instant tenté de la rappeler puis il se résolut. Non. Elle l’avait accompagné jusqu’ici, maintenant c’était à lui de jouer.
Très nerveux, les jambes flageolantes, il fourra ses mains dans ses poches pour en dissimuler le tremblement et fit un pas en avant. Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il étai censé faire : il n’avait pas eu pour coutume d’aller parler à son père après sa mort, ne l’avait pas fait non plus pour Isane. Bien trop risqué à son goût mais aujourd’hui, il n’avait plus le choix.
Respire. Tout va bien se passer, tu peux le faire. Seigneur, pourquoi était-ce si dur, même maintenant ? Pourquoi était-ce si douloureux ? Il agrippa sa chemise à l’emplacement du cœur. Il saignait encore tellement… Et il avait si honte… Sa présence était insultante, indigne. Il faillit faire demi-tour mais l’image de Rin le regardant de loin en souriant l’en empêcha. C’était aussi pour elle qu’il se devait de le faire. Ça faisait partie du deal. S’il continuait, il savait que ça ne pourrait se faire qu’avec elle, quelque fût la place qu’il lui accordait et pour cela, il devait être capable de le faire. De lui parler, de se faire pardonner…
Il prit une profonde inspiration.
« Salut Obito… murmura-t-il enfin.
Et puis peut-être parce que c’étaient les seuls, les bons mots à dire, il baissa la tête, se laissa tomber à genoux et ses lèvres bougèrent d’elles-mêmes.
« Pardonne-moi, balbutia-t-il. Je suis désolé, désolé, désolé… »
A une cinquantaine de mètres, Rin le vit se plier en deux et tomber et elle eut un sourire triste. A présent, elle en était sûre. Il vivrait.