Publié : dim. 07 mai 2006, 21:23
par Kanji
A l'épisode prochain qu'il disait...ça m'a pris du temps, mais la saison 2 commence. Avec du lourd : 16 pages sur word. Bonne lecture.
Sur le départ
Lorsque Kanjiro arriva devant la demeure de l’Hokage, le lendemain matin, il faisait toujours aussi froid, mais rien qu’une épaisse cape d’hiver et une paire de gants ne pouvait arranger. Le reste de sa team l’attendait, en vêtements d’hiver eux aussi. Il regarda sa montre. 9h et des poussières. Et pourtant il était le dernier. Ce qui n’était pas étonnant. Takeo-sensei parla d’une voix sans dureté.
-J’avais pourtant fait passer le message à Keitaro. La mission d’aujourd’hui est cruciale.
-…’ésolé, répondit Kanjiro avec un bâillement. Honshû sourit.
-Allons-y, fit Takeo.
-Et le briefing ?, demanda Yukito, sans avoir l’air de s’y intéresser.
-Plus tard, lâcha Takeo.
Quelque chose dans le ton de sa voix laissait entendre, avec suffisamment de clarté, qu’ils devaient le suivre, sans discuter. Tout prenait un tour assez sérieux…
Alors qu’ils fendaient l’air, surplombant les toits de leur trajectoire fulgurante, Takeo leur parla, sans se retourner.
-La mission que nous allons débuter va nous prendre près d’une semaine, et elle va nous emmener hors du Pays du Feu. Et elle est d’une importance cruciale pour l’évolution du conflit. Pour l’heure nous allons sortir du village et nous approvisionner en équipement chez moi. Je vous donnerai les instruction complètes par la suite.
Là encore, le ton de sa voix évoquait quelque chose. Takeo-sensei parlait presque toujours d’une voix tranquille, voire enjouée. Mais sa voix semblait receler quelque chose. Comme une impression de puissance maîtrisée, tenue en laisse. Un léger avertissement.
Le voyage fut silencieux. Ni rapide ni lent, et aucun membre de la team n’eut le temps de s’ennuyer. Enfin s’ils se permettaient de s’ennuyer. Après tout, le métier de shinobi est à plein temps et à plein individu : théoriquement, il ne laisse pas vraiment de place à quelque chose d’aussi égoïste et individualiste que l’ennui.
Au bout de quinze minutes, ils arrivèrent à leur première étape. Ce ne fut pas une surprise : non seulement elle était visible comme le nez au milieu de la figure, et ce depuis qu’ils s’étaient élevés au dessus des frondaisons, mais en plus, les paroles de Takeo-sensei avaient indiqué à Honshû et à Kanjiro où la team se rendait : chez lui.
Les quatre ninjas quittèrent gracieusement le chemin de bois pour poser le pied sur une terre domptée par l’homme. Il était facile de voir que la colline a été aménagée. Bien qu’elle fût discrète, comme beaucoup de collines sylvestres, l’absence d’arbres la démarquait. Le sol était en friche, aucune culture n’était visible.
Mais le signe de civilisation le plus évident, c’était bien évidemment le fortin, demeure non-ancestrale des Gîru. Il était à leur image : simple, massif, presque brut. La palissade n’était pas élaborée, le portail n’était pas travaillé, l’architecture n’était pas ciselée, aux rares endroits où il semblait y avoir une architecture. Il était si rêche et brutalement simple dans son apparence qu’il semblait être né de la colline, comme si, au lieu d’avoir été élevé par l’homme, il faisait partie intégrante de la forêt.
Lorsqu’ils s’approchèrent des remparts, Kanjiro sentit que son corps avait des difficultés à bouger, comme si ses membres étaient alourdis par quelque chose. Comme lorsqu’ils avaient affronté Takeo-sensei, mais dans une moindre mesure. C’était une sensation moins pesante, plus diffuse. Leur maître sourit tandis qu’il marchait tranquillement vers le portail. Il était chez lui.
Au moment où il allait franchir le seuil de la porte qui était grande ouverte, une petite voix guillerette retentit, accompagnée d’un sifflement, un peu comme celui d’une pierre qui tombe.
-Takeo-nii-san !!
Kanjiro sentit brusquement sa nuque se hérisser sous l’effet d’une tension qui emplissait soudainement l’atmosphère, et un bruit tonitruant résonna, comme deux lourdes masses de métal se heurtant brutalement. L’espace d’un instant, Kanjiro crut voir une silhouette minuscule suspendue dans l’air, pesant d’un poids inimaginable sur un Takeo-sensei qui ployait sous l’effort. Puis il y eut un autre choc. Lorsque le nuage de poussière se dissipa, les genin de la team 10 eurent une vision singulière.
C’était la première fois qu’ils voyaient Takeo-sensei à terre. L’évènement était d’importance. Sur son dos, recouvrant de son petit corps l’Akakumo no Tora, était une enfant minuscule, encore plus petite qu’Anko. Un assemblage hirsute de mèches noires couvrait un visage rieur et espiègle ; Kanjiro fut étonné lorsqu’il le détailla : elle était très semblable à Anko, et en même temps très différente. Son visage portait encore les rondeurs caractéristiques des enfants, mais ses traits prenaient déjà des accents plus rudes, plus prononcés. Mais plus encore, ses yeux étaient le premier indice de son origine : ils étaient aussi rieurs que son visage, mais Kanjiro pouvait déceler en eux une lueur innée de férocité, presque cruelle. Le contraste avec l’innocence de son visage d’enfant était à la limite de l’effrayant.
Elle était pour l’instant occupée à sautiller joyeusement sur le dos de Takeo, faisant entendre ainsi un bruit métallique, un peu comme celui que le choc avait produit, mais en dix fois moins puissant. Et pour cause : elle était revêtue d’un manteau similaire à celui de Takeo, adapté à sa petite taille, et lesté de lourdes plaques de métal. Le long bras du jônin l’attrapa par le col et la souleva, permettant ainsi à Takeo de se lever, car la gamine avait l’air de peser son poids. Même en étant un bon mètre au-dessus du sol, elle continuait de rire et de gesticuler avec entrain.
-Junko-chan…je te l’ai déjà dit cent fois, si tu fais ça sans prévenir, tu vas vraiment finir par me broyer une cervicale ou deux , fit Takeo en prenant une grosse voix.
Elle se contenta de rire un peu plus doucement, en hochant la tête. Le jônin la leva au niveau de son visage, en souriant largement comme à son habitude.
-Dis donc, ils t’en ont rajouté combien ? 15 kilos ?
-Voui ! dit-elle avec fierté.
-Eh ben…à ce train-là tu m’auras bientôt rattrapé !
-Je pourrais jamais te dépasser, nii-san ! protesta-t-elle sans cesser de manifester son énergie.
Takeo sourit puis la déposa au sol. Puis il la poussa doucement de la jambe, en disant :
-Allez, continue ta ronde !
L’enfant acquiesça puis commença à marcher avec ce sérieux ridicule si typique des enfants imitant les adultes. Kanjiro sourit devant ce spectacle familier. Honshû avait l’air plus consterné qu’amusé.
-Sensei, c’est votre petite sœur ?
-Oui. Gentille, pas vrai ?
-Oui, elle me rappelle quelqu’un…enfin, et elle porte combien sur le dos ?
-50 kilos.
Le jeune Nara regarda la gamine d’un air encore plus incrédule qu’à l’accoutumée.
-Mais ça doit faire près de 2 fois son poids…
-Et alors ?
Silence. Honshû poursuivit.
-Le vôtre de manteau fait combien ?
-Un peu plus de 200 kilos.
-Mais alors…comment est-ce que vous faites pour bouger ?
Takeo regarda Honshû comme un simple d’esprit qui aurait dit une énormité.
-Il serait peut-être temps que vous nous parliez de vos pouvoirs, intervint Yukito.
Takeo se contenta d’un sourire et d’un signe de tête les invitant à le suivre dans le fortin. Un peu comme les places fortes féodales, il se composait d’un mur d’enceinte, au fond duquel se dressait un château, un donjon ou un grand bâtiment quelconque, le vide entre le bâtiment et le mur formant une grande cour. Le fortin même rappelait par sa structure les châteaux des temps anciens ; mais il était en réalité très différent : il était fait de bois, et malgré cela semblait terriblement solide, intraitable. Logiquement, un Katon d’une ampleur suffisante aurait suffit pour le démolir, mais on sentait, en voyant ses poutres lourdes et puissantes, qu’il avait bien l’intention de se tenir là, ferme et vigilant, contre vents et marées, comme si un pouvoir caché le soutenait.
La cour n’en était pas vraiment une, et évoquait plus une ville miniature, car elle abritait une quantité astronomique d’ateliers artisanaux, forges, menuiseries, charpenteries et autres, où s’activaient les membres du clan. On pouvait voir toutes sortes d’équipements militaires et agricoles sur les étals, et des foules de clients qui examinaient la marchandise avec admiration.
La team suivit une des grandes rues qui convergeaient vers le bâtiment central, marchant tranquillement au milieu des membres du clan, pour la plupart vêtus comme des gens du commun, pour l’hiver. Tous semblaient amicaux, pas autant que Takeo-sensei (qu’ils saluaient tous d’ailleurs), mais quelque chose dans leur attitude, dans leur façon de se mouvoir ou dans leurs yeux mettait Kanjiro légèrement mal à l’aise. Mais le pire arriva lorsqu’il tourna la tête vers ses camarades.
Honshû était aussi tranquille que d’habitude, mais Yukito était comme Kanjiro ne l’avait jamais vu. Il avait peur. Et il ne parvenait pas à le cacher entièrement. Ses yeux passaient rapidement d’un Gîru à l’autre, et la nervosité se lisait sur son visage.
-Yukito ? demanda calmement Kanjiro.
Le genin de Kiri tourna brusquement la tête vers lui, et lui dit d’une voix qui tremblait presque imperceptiblement.
-Regarde…
Comprenant rapidement, Kanjiro activa son Byakugan d’une pensée.
-Oh putain…
Chaque être qu’il croisait dans cette rue semblait être une balise d’agressivité et de férocité contenue. Il se rappela la légère difficulté qu’il avait à bouger, et s’aperçut bien vite que l’air était empli de chakra diffus, un chakra qui rappelait terriblement celui de Takeo-sensei, ce chakra brutal et bestial. Ici, hors des lois de la société de Konoha, chaque Gîru laissait entrevoir sa vraie nature, se relâchait. Et Kanjiro avait l’impression que n’importe lequel de ces gens, jusqu’au plus petit enfant jouant dans les rues, aurait pu à tout moment lui sauter dessus pour l’égorger. La nature spirituelle de ce chakra était si intense, si volontaire, qu’il suffisait d’un peu de sensibilité pour se sentir mal à l’aise. Pour Kanjiro et Yukito, qui pouvaient en appréhender la vraie nature, c’était un vrai panier de crabes. Seules quelques rares personnes semblaient ordinaires dans cet océan de fauves.
Remarquant leur nervosité, Honshû leur demanda :
-Qu’est-ce que vous avez ?
-Tu sens pas ça ? répliqua Kanjiro, incrédule.
-Ben…il fait froid.
C’était comme si Honshû était trop solide, trop épais pour que cette sensation l’atteigne.
-C’est dingue…
-Mais quoi ?
-Tu peux pas savoir…c’est comme nager dans un bassin rempli de requins…
Honshû regarda un instant son ami, avec un air consterné.
-Y a des fois, je suis content de pas avoir tes yeux, Kanji…
-…Bonne idée, répondit Kanjiro en désactivant son Byakugan.
Il garda néanmoins conscience de toute cette férocité et se sentit plus que mal à l’aise, comme observé par des dizaines d’yeux avides.
Tentant de se changer les idées, il promena son regard sur les ateliers. Fourches, houes, socs de charrue, jougs ; shuriken, kunai, ninja-to, fils d’acier ; katana, wakizashi, pièces d’armure, naginata, poignards…Les Gîru semblaient pouvoir fournir tout un pays en matière d’outils, d’équipement et d’armes de la meilleure qualité. Et Kanjiro, après avoir vu ce que contenait le manteau de Takeo, savait qu’ils pouvaient en faire usage, sans doute mieux que quiconque.
En passant devant une forge, ils virent un jeune homme portant l’uniforme des ninja de Konoha, et arborant une couronne hirsute de cheveux blonds comme les blés. Il examinait sur l’étal un étrange kunai, dont la lame se divisait en trois branches, et dont le manche était couvert d’inscriptions cabalistiques. Impressionné, le jeune Hyûga effleura l’épaule de Honshû.
-Eh ce serait pas…
-Ouais, c’est lui, fit Honshû tout aussi admiratif.
-La vache, qu’est-ce que j’aurais aimé l’avoir comme sensei…
Takeo toussota assez violemment. Kanjiro fit comme si de rien n’était et reporta son attention sur les autres ateliers.
Quelques minutes plus tard, Takeo les avait guidés jusqu’à un bâtiment différent de la plupart des ateliers, bâti en dur et fermé, là où tous les autres avaient une ouverture sur la rue. Sur le fronton, on pouvait lire une inscription calligraphique : « Quand la sœur tuera le père, quand le frère mangera la sœur ».
-Takeo-sensei…commença Kanjiro Qu’est-ce que c’est cette inscription ?
-Oh, rien, répondit Takeo sans se départir de son éternel sourire, c’est une maxime, pour rappeler aux membres du clan qu’ils ne doivent jamais s’en prendre les uns aux autres.
Il ouvrit la porte et entra, les genin à sa suite. En passant le seuil, les trois jeunes shinobi plissèrent instinctivement les yeux et se protégèrent le visage de leurs mains. La chaleur qui régnait dans la grande pièce unique était d’autant plus insupportable qu’elle contrastait violemment avec la température hivernale. C’était manifestement une verrerie, comme l’indiquaient les creusets, le sable qui y était régulièrement versé, les soufflets et la chaleur infernale. Le seul problème était que Kanjiro ne voyait guère qu’un seul ouvrier pour s’occuper de tout l’atelier. Le pire était qu’il y parvenait manifestement très bien.
Sa silhouette grande et dégingandée était malgré tout impressionnante, enveloppée par la lumière aveuglante qui s’écoulait du four, comme par une armure ou une seconde peau qui rendait sa présence et sa carrure irréelles. Il semblait s’y fondre alors que son attention restait focalisée avec une intensité formidable sur son ouvrage, qui était pourtant assez simple, se résumant à la simple tâche d’examiner un seul objet. Et malgré tout, le visage en lame de couteau de cet homme ridé et buriné était contracté par l’effort, et ses sourcils effilés étaient froncés à l’extrême.
Yukito tremblait presque. Kanjiro se tourna vers lui.
-On dirait un serpent, murmura le genin de Kiri.
Brusquement, Kanjiro se rendit compte qu’il se sentait mal. Il avait d’abord cru qu’il s’agissait de la chaleur, mais Yukito avait perçu avec plus de justesse que lui l’atmosphère ambiante. Lorsqu’il se concentra, Kanjiro crut sentir des serpents glisser lentement sur sa peau, parcourir l’air et s’affairer dans la pièce. Il activa rapidement son Byakugan et vit pourquoi la verrerie n’avait besoin que d’un ouvrier. Autour de chacun des éléments de l’atelier, il voyait une masse de chakra, concentrée et précise ; son intensité spirituelle était terriblement focalisée, elle ne s’étendait pas à toute la pièce comme le chakra de Takeo aurait pu le faire, mais sa puissance, lorsqu’on la perçait à jour, était tout aussi effrayante, peut-être plus. Le pouvoir de cet homme dépassait tout ce que Kanjiro avait pu imaginer à propos des Gîru : c’était un contrôle parfait de la dévastation à l’état pur, à un point que le jeune Hyûga n’avait jamais vu. Ce ne pouvait être que le chef du clan.
Takeo effleura l’épaule du verrier.
-Père…chuchota-t-il.
L’homme ouvrit les yeux et se retourna doucement vers lui. L’atelier devint soudain silencieux, obéissant à sa seule volonté.
-Bonjour, fils.
Il posa ses yeux sombres sur les genin, et les salua d’un signe de tête.
-Bienvenue. Je suis Gîru Furyû, chef du clan des Gîru.
Les trois jeunes gens s’inclinèrent immédiatement, poussés par la déférence et aussi par la présence de cet homme.
-Tu as pu les terminer ? demanda Takeo.
-Bien sûr, répliqua Furyû, tu m’as laissé trois jours. Tu crois vraiment que je ramollis ?
Les deux Gîru éclatèrent de rire, et le père se dirigea vers les rangements qui se trouvaient dans le coin. Il en sortit une petite boîte toute simple, qu’il tendit à Kanjiro. Le jeune Hyûga l’ouvrit et y trouva deux petites lentilles noires ainsi qu’une paire de lunettes.
-Qu’est-ce que…
-Tu en auras besoin pour la mission.
-Et en quoi elle consiste cette mission ?, demanda Yukito, une note d’impatience dans sa voix.
-A la base ce sera une mission d’enquête. Mais selon ce qu’on trouvera là-bas, ça pourra tourner à la diplomatie, à l’espionnage ou même à l’assassinat.
-Il va falloir voyager sur combien ?
-Beaucoup, jusqu’à Kusa no Kuni.
Yukito s’apprêtait à demander plus de détails, lorsque Furyû tapa sur l’épaule de Takeo et lui dit avec un signe de tête vers la porte.
-Allez viens, je dois m’entraîner un peu et toi tu dois la voir avant de partir.
-Peut-être, mais pas dans cette tenue…répliqua Takeo.
Furyû se tourna vers le mur. Il plissa les yeux et une armoire s’ouvrit, révélant une armure noire luisante, plus simple et fonctionnelle que les armures complètes des temps féodaux, que Kanjiro avait pu voir dans la demeure des Hyûga. Les sourcils de Furyû se froncèrent, et l’armure quitta son abri, traversa les airs et vint se fixer sur le corps du Gîru, plastron, jambières et protections d’avant-bras. La lumière du feu jouait sur le métal sombre et sur les arabesques qui le couvraient, mi aquatiques mi serpentines. Le gorgerin de l’armure arborait un dragon qui se lovait autour du cou, et le dos de l’armure portait une gravure élaborée de la même créature, ainsi qu’une inscription : « Kuromizu no Ryû » (Le Dragon des Eaux Noires).
-Mieux, fit Takeo.
Les deux Gîru sortirent, et les genin eurent un peu l’impression d’être traités comme partie négligeable. Ils se séparèrent devant l’entrée, Furyû se dirigeant vers une partie plus ouverte de la cour qui servait apparemment de zone d’entraînement, tandis que la team prenait le chemin du château proprement dit.
-Question équipement vous êtes au point ? leur demanda Takeo.
Les trois genin acquiescèrent : bien sûr qu’ils étaient au point. On ne part pas à la guerre sans équipement au point.
-Tant mieux. Nous allons pouvoir prendre la route assez rapidement.
Le château les dominait de sa masse alors que le portail s’ouvrait devant eux. Ses couloirs de bois n’étaient pas reluisants, ses shôji n’étaient pas décorés, pas plus que les nombreuses salles qu’ils entraperçurent. S’y affairaient d’autres membres du clan, hommes comme femmes, tout comme à l’extérieur, mais là où la cour semblait le domaine de l’acier, la demeure appartenait au papier. Registres, parchemins ninja, livres d’histoire, traités de stratégie, d’agriculture ou d’artisanat… Les Gîru disposaient d’un savoir impressionnant, aussi bien technique que théorique, sans doute acquis au cours de leurs siècles d’errance.
Les quartiers de Takeo-sensei étaient simples, voire spartiates, à peu près autant que le repas qui leur fut servi. Kanjiro préféra porter son attention sur le jônin. D’habitude, une fois débarrassé de son manteau, il semblait moins impressionnant. A présent, ce qui semblait par moments être sa seconde peau était posé sur un présentoir, dont les grincements plaintifs indiquaient le poids du manteau. Et pourtant, alors même que Takeo mangeait avec tranquillité, la tension ne disparaissait pas, et le simple fait de le regarder un peu trop longtemps mettait Kanjiro mal à l’aise. C’était peut-être cet endroit, ou la perspective d’une mission dangereuse qui attisait son agressivité.
Après son deuxième bol de riz, Takeo reposa se baguettes et prit la parole.
-Bon, je vais vous faire un petit briefing sur la mission.
Yukito s’arrêta de manger et regarda Takeo droit dans les yeux : il s’entraînait à endurer la tension. Kanjiro savait ce qu’il faisait, parce qu’il aurait fait la même chose.
-Comme je vous l’ai dit, nous nous rendons à Kusa, pour une mission qui pourrait avoir une influence capitale sur l’évolution du conflit. Je compte donc sur vous pour ne pas vous planter.
Honshû n’avait pas cessé de manger : il pouvait très bien s’occuper de l’évolution d’une guerre mondiale et s’occuper de son estomac en même temps.
-Comme Kusa est un allié de Konoha, je suppose qu’il va falloir dénicher des espions ou repousser des assaillants qui auraient établi une tête de pont, fit le jeune Nara entre deux bouchées de riz.
-Pas très logique, répliqua Takeo, pourquoi un pays avec une puissance militaire à lui aurait besoin d’une team de genin étrangère pour ce genre de travail ?
-C’est aussi ce que je me disais, fit Honshû. Alors ?
-Alors nous n’allons pas exactement à Kusa. Nous allons à Tempô.
A en juger par son expression, Yukito n’en savait pas plus que Kanjiro sur le sujet. Le genin de Kiri se contenta de lancer un regard interrogateur à son sensei, qui fit signe à Honshû.
-Tempô est une ville franche située sur la frontière entre Kusa et Tsuchi. Et depuis le début du conflit, aussi bien Konoha que Tsuchi essayent de s’en faire une alliée.
-Pourquoi ?
-Deux raisons : premièrement, si d’ordinaire il n’y a qu’une seule récolte de riz par an, à Tempô il y en a trois chaque année.
Pas besoin d’en dire plus : une source de ravitaillement constitue un atout inestimable en temps de guerre.
-La deuxième raison est aussi la raison pour laquelle Tempô a pu préserver son statut de ville franche pendant toute la durée du conflit, sans que personne puisse s’en emparer par la force.
Il marqua une pause pour finir son repas.
-Depuis la fondation des villages cachés, la nature de la puissance militaire a radicalement changé. Autrefois elle était assurée par les membres de la caste aristocratique, entraînés à se battre en suivant un code de l’honneur et des traditions courtoises bien établies. A présent ce sont les shinobi qui constituent la puissance militaire, et les membres de la caste aristocratique sont devenus les dirigeants politiques, et ont donc abandonné les traditions guerrières de jadis.
Kanjiro savait tout cela, et il savait aussi que les Hyûga faisaient partie aujourd’hui encore de la caste aristocratique. Quant à leurs traditions guerrières…il se rendit compte soudain qu’il en savait très peu sur l’histoire de son clan, ou même pourquoi il avait choisi de rejoindre Konoha.
-Seulement, Tempô possède une petite armée, qu’on appelle les Ashigaru (pieds légers), qui s’entraînent et se battent suivant l’ancienne voie de la guerre. Là où un homme ordinaire est incapable de faire face à un ninja, les Ashigaru, grâce à leur entraînement, peuvent faire jeu égal avec nous.
Une force militaire conséquente, capable de créer la surprise, et sans doute bien plus solide qu’une force de shinobi, qui elle serait spécialisée dans l’intervention rapide, sans compter la possibilité de créer d’autres unités du genre en exploitant les secrets de leur entraînement. L’esprit de Kanjiro entrevoyait en un éclair les possibilités politiques et militaires, comme si c’était un réflexe naturel, inscrit dans sa nature.
Takeo reprit la parole.
-Pour préserver son indépendance, Tempô refuse de se mêler des affaires extérieures : elle est ouverte au commerce, mais elle n’admet aucun shinobi dans son enceinte. Et il est hors de question de tenter de forcer l’accès, ce serait courir droit à la mort.
-Et notre mission consiste en quoi exactement ? demanda Yukito d’une voix toujours aussi patiente.
-Nous devons infiltrer Tempô en nous faisant passer pour de simples voyageurs, et enquêter. D’après les rapports politiques, Tempô serait en train de pencher vers une alliance avec Tsuchi, ce qui n’est pas de bonne augure pour Konoha et ses alliés.
-Comment ça se fait ? Je croyais que la ville tenait à sa neutralité, observa Kanjiro.
-Corruption, pressions ou menaces directes, dit simplement Yukito.
-Nous devons enquêter discrètement et nous débrouiller pour supprimer ce qui fait pencher Tempô de l’autre côté, voire si possible faire pencher la ville de notre côté.
Yukito eut un soupir discret. Kanjiro sourit : lorsqu’une personne qui dissimule ses intentions donne un signe pareil, c’est toujours volontaire.
-Mission politique ? demanda Yukito avec une pointe de déception dans la voix.
-Pas forcément, observa Kanjiro, Si ce sont des shinobi, ça peut très bien tourner à la bagarre.
-Et s’il s’agit d’une team spécialisée dans l’action politique, ça peut être assez facile, conclut Honshû.
-Ne vous emballez pas, coupa Takeo, Nous ne savons absolument pas ce à quoi nous avons affaire. Ca peut aller du politicien magouilleur à la team de jônin. Donc ça peut devenir extrêmement dangereux, et rien n’est garanti. Pas même votre survie, dit-il avec un sourire inquiétant.
-Alors pourquoi envoyer une team ordinaire ? demanda Kanjiro.
-C’est de la reconnaissance en milieu hostile à la base, donc le Conseil préfère ne pas envoyer directement des shinobi plus gradés. Si besoin est nous devons appeler des renforts.
-Et pourquoi nous en particulier ?
-Parce que vous êtes les meilleurs, parce que Konoha n’a pas de place pour la médiocrité, et parce que je suis là. Je connais vos capacités, et je saurais comment les utiliser ; mais si vous voulez sortir vivants de cette mission, je vous conseille de suivre mes ordres à la lettre.
-C’est si dangereux que ça ? demande Honshû, un peu incrédule.
-Oui. Et je le suis aussi.
Il marqua une pause, comme pour savourer la lueur d’inquiétude dans leurs yeux.
-Vous voilà prévenus, conclut-il avec son éternel sourire.
Le temps que les trois genin avalent nerveusement leur salive, son visage avait changé à nouveau. Son sourire avait disparu, ses traits s’étaient relâchés et dans ses yeux, pour autant que Kanjiro pouvait en juger, s’était allumée une lueur étrange, presque désemparée. Il se reprit dans l’instant et se leva, enfila son manteau et se dirigea vers le panneau, qu’il ouvrit doucement, d’un geste presque hésitant. Il tourna son visage vers eux, sans qu’ils puissent le voir complètement.
-Finissez de manger et préparez-vous : nous partons dans une dizaine de minutes.
Kanjiro était plus qu’intrigué, tout comme Yukito : la tension avait presque totalement disparu. Takeo-sensei s’était…adouci, aussi inconcevable que cela puisse paraître. Le genin de Kiri haussa légèrement les épaules et se mit à examiner ses affaires une dernière fois avant de partir. Mais Kanjiro était trop intrigué pour renoncer.
Il se tourna vers le mur, de sorte que ses camarades ne voient pas son visage. Il ferma les yeux et activa son Byakugan. Il prit quelques secondes pour examiner le contenu de son sac et de son fourre-tout : tout était en place. Ni ses yeux ni son visage ne bougèrent, mais son regard se tourna vers le couloir, à la recherche de son sensei. Lorsqu’il le vit, le Byakugan confirma son impression : son flux de chakra était parfaitement régulier, tranquille, et pas la moindre trace d’agressivité n’était présente dans l’air.
Le jônin était adossé au mur, son visage était tranquille, serein, ses lèvres bougeaient doucement tandis qu’il chuchotait. Son manteau était entrouvert, un peu comme s’il enveloppait quelque chose. Kanjiro précisa son regard, et failli désactiver son Byakugan lorsqu’il vit ce que le manteau contenait.
Contre le poitrail de Takeo-sensei était blottie une femme, revêtue d’une veste et d’un pantalon de toile très simples, ses cheveux ramenés en deux chignons jumeaux au sommet de sa tête. Elle était si petite et fragile en comparaison de la masse qu’était le shinobi, mais elle semblait tout représenter pour lui. Le large manteau, abri d’instruments de mort, l’enveloppait comme pour la protéger de tout le reste ; la tête penchée contre ses cheveux, le jônin chuchotait doucement. C’était sa femme, Kyûfei, comme Honshû lui avait dit.
Tout cela était tellement incongru…dans l’esprit de Kanjiro, Takeo était un être dont la vraie nature, souvent cachée, était inquiétante, terrifiante même. Son cœur était une bête assoiffée de sang. Le voir ainsi était incroyable. Ses gestes, d’habitude rapides, secs et précis, étaient lents et hésitants, tandis que ses mains se posaient doucement sur le ventre de son épouse. Dans la petite pièce spartiate, les yeux de Kanjiro s’ouvrirent doucement : elle était enceinte de plusieurs mois déjà.
Elle irradiait la vie, et le jeune Hyûga découvrait avec émerveillement une deuxième vie qui s’éveillait en elle. Le spectacle de cet enfant, si petit, si fragile, était merveilleux : les deux keirakukei formaient un agencement parfait, et la vie se déversait d’un être à l’autre, pour fortifier le bébé, l’aider à naître, à être prêt à vivre. Takeo semblait les protéger doucement, et sa tendresse adoucissait son cœur.
Une découverte inattendue, qui engendrait surprise sur surprise. Il n’y avait pas d’autre mot : c’était merveilleux. Kanjiro sourit avec tendresse et referma les yeux, laissant Takeo-sensei et son épouse tranquilles.
Quelques minutes plus tard, ils quittaient le fortin des Gîru pour commencer leu voyage. La forêt du Pays du Feu était, comme le reste de la région, prise dans le carcan de l’hiver, et à chaque arbre que les membres foulaient, un peu de poussière blanche tombait. Parfois, lorsque Takeo-sensei n’assurait pas assez sa vitesse, tout l’arbre se retrouvait dénudé d’un coup. C’était ainsi que s’animait le voyage, par des petits détails dans l’immensité blanche et morne : un voyageur de route aperçu l’espace d’un instant, un rayon de soleil perçant la couche de nuages gris, une rivière à moitié gelée, une branche trop souple…
Comme auparavant, le voyage fut silencieux, et Kanjiro préféra ne pas s’adonner à trop de réflexions sur la mission, ayant encore à l’esprit les paroles de Takeo-sensei : c’était lui qui était aux commandes, pas eux. Takeo allait jusqu’à les menacer de mort pour s’assurer de leur obéissance, et pourtant il pouvait se montrer d’une telle tendresse… Comment pouvait-il y avoir tellement de différence ?
Le soir, ils s’arrêtèrent dans une petite clairière et établirent un camp discret. Comme chaque hiver, les étoiles semblaient briller plus fort que le reste de l’année, la lune montrait doucement un croissant timide, et la forêt endormie ne faisait entendre aucun bruit. Les arbres noirs les encerclaient comme de grandes sentinelles, un petit ruisseau faisait entendre son chant étouffé par le gel, et quelques rochers s’élevaient vers le ciel, et attendaient, comme toutes les pierres.
Les craquements de leur feu résonnaient entre les arbres, mais le silence s’installait. L’atmosphère s’alourdissait. Takeo-sensei était encore différent : depuis le début du voyage il s’était renfermé. A Konoha il se montrait jovial et avenant, mais une fois la mission commencée, il semblait ne plus accorder d’importance à quoi que ce soit d’autre que son devoir. Et les discussions n’en faisaient pas partie.
Kanjiro prit son courage à deux mains.
-Dites-moi sensei…
Il leva la tête. Son regard était impénétrable, presque inquiétant, comme s’il retenait quelque chose.
-Vous avez dit que vous connaissiez nos capacités. Mais nous ne connaissons pas les vôtres.
Yukito approuva du chef.
Un long moment de silence s’écoula, laissant les genin dans l’incertitude. Puis Takeo sourit.
-Bon, d’accord, puisque vous insistez.
La team se détendit, l’espace d’une soirée.
-Le Kekkei Genkai des Gîru s’appelle le Kikawa (peau de l’esprit). Pour l’expliquer, il faut remonter à nos origines.
Il s’arrêta de manger et jeta un regard à son manteau qui était posé sur…sur rien, de nouveau.
-Avant même que l’époque des guerres féodales ne commence, le clan Gîru existait déjà. Mais ce n’était pas un clan au sens où on l’entend aujourd’hui, et nous vivions à l’écart de la société.
-Pourquoi ? demanda Honshû, alors qu’il connaissait sûrement la réponse.
-Eh bien…lorsque la civilisation a commencé à conquérir les terres sauvages, nous avons accepté de faire avec, et de changer certaines de nos…coutumes. Ca n’a pas été facile. Nous étions sauvages…bestiaux même. Ce qui fait que, même pour la société martiale de l’époque, notre conception du meurtre était assez difficilement acceptable. Et comme je le dis, ça n’a vraiment pas été facile.
Les trois genin se regardèrent : ils n’étaient pas sûrs de vouloir en savoir plus, mais maintenant qu’ils avaient demandé…
-Plus clairement ? demanda Kanjiro.
-Eh bien…pour faire une comparaison explicite…qu’est-ce que ça te ferait si je te demandais d’arrêter de respirer ?
Silence. Très long silence.
-Sensei…vous exagérez j’espère…
-A peine. Pour nous, tuer c’était vivre. C’est vous dire si ça a été dur de vivre en société. Et pour tout dire, au début on n’a pas réussi. Comme la volonté simple ne marchait pas, nous avons cherché un moyen plus…radical pour nous séparer de notre nature prédatrice.
Son regard se fit étrange, à la fois nostalgique et colérique, comme si une partie de lui protestait.
-Comment ça s’est passé exactement, je ne sais pas : tous les Kekkei Genkai ont une origine plus ou moins mythique. Toujours est-il que finalement, notre côté bestial s’est retrouvé séparé du reste de notre âme, et isolé dans notre corps. Et nous nous sommes bien vite rendus compte que ça pouvait nous servir en combat.
Il marqua une pause pour finir son repas en toute tranquillité.
-Bon. Vous savez que le chakra se compose d’énergie physique et spirituelle ?
Affirmatif.
-Eh bien, pour faire simple, cette part bestial, c’est une masse d’énergie spirituelle isolée. Elle est surchargée d’émotions agressives, de pulsions de mort et de soif de sang : c’est tout ce qui pousse la bête à tuer, sans les raisons. Cette part ne se soucie pas de la faim, des sentiments ou de quoi que ce soit : elle est toute entière agressive.
Kanjiro sourit.
-Je commence à comprendre pourquoi vous ne bougez pas beaucoup en plein combat.
Devant le regard interrogateur de ses camarades, Kanjiro se lança dans une explication, et remercia silencieusement Saito pour ses connaissances.
-Par défaut, le chakra est un mélange équilibré des deux énergies. Donc, il est spirituel et immatériel à 50% : c’est assez pour faire voler des feuilles et faire frissonner quelqu’un, mais pas assez pour arrêter des coups ou diriger des kunai. Pour avoir un chakra à impact physique véritable, il faut une majorité d’énergie physique. Ca paraît simple, mais le problème c’est qu’alors le chakra n’est pas équilibré, instable et donc incontrôlable. La seule solution, c’est d’avoir une part d’énergie spirituelle non pas grande, mais intense, concentrée. Et pour obtenir ça, il faut soit avoir un contrôle parfait de son esprit et de ses émotions, ce qui est très dur, soit avoir des émotions très puissantes et qui vont toutes dans le même sens. Donc, la part bestiale, avec son agressivité unilatérale et intense, est idéale pour créer du chakra physique. Mais par contre, ça suppose une grande dépense d’énergie physique, donc peu de mobilité pour éviter la fatigue.
Takeo sourit largement.
-Bonne explication.
Kanjiro était impressionné : le chakra à impact physique était une rareté, et exigeait généralement un self-control mental quasiment surhumain. Personne de sa connaissance n’était capable d’en créer. Si celui des Gîru découlait de leur férocité…elle devait être totalement inhumaine.
Takeo s’étira et bailla.
-Le Kikawa est ce qui se produit lorsqu’on créé du chakra physique avec l’énergie spirituelle de notre part bestiale. En gros, c’est une zone limitée autour du Gîru, emplie de ce chakra. Comme le lien spirituel est très intense, il est facile d’utiliser ce chakra pour manipuler des objets matériels.
Il ferma les yeux, et les genin sentirent leurs nuques se hérisser, tandis que leurs sacs se mettaient à voler dans les airs.
-Dans le rayon du Kikawa, le Gîru peut commander à la matière : c’est une forme basique et assez grossière de télékinésie. Ensuite, il y a deux manières de se spécialiser, et de déformer son Kikawa : Kengo consiste à manipuler la globalité du Kikawa. On peut l’étirer pour qu’il couvre plus de terrain, mais en diminuant son intensité, concentrer tout le chakra en une couche pour former un bouclier, créer une impulsion pour repousser les assaillants…Dans tous les cas, le Kikawa garde sa forme : c’est toujours une zone plus ou moins circulaire. C’est dans ce domaine que je me suis spécialisé.
Les détails du combat contre Takeo-sensei revinrent à l’esprit de Kanjiro : tout paraissait logique à présent.
-Mon père, lui, a emprunté la voie de Kibin: ça consiste à changer la forme de son Kikawa. Grâce à cela il est possible de manipuler des objets avec bien plus de précision, de créer des armes, des outils, d’agir à grande distance…là encore les possibilités sont très nombreuses. Mais chaque effet qu’on y applique, dans le cas de deux disciplines, nécessite des mois d’entraînement, exactement comme pour une technique conventionnelle.
-Comment ça se fait ? demanda Honshû, captivé comme ses camarades.
-Appliquer un effet précis au Kikawa, c’est comme essayer de convaincre un fauve affamé de manger avec des baguettes. Il faut plier l’agressivité de la Bête à sa convenance.
-La Bête ?
Le sourire de Takeo se fit plus inquiétant.
-La part bestiale que nous avons séparée est comme un héritage : elle est présente dans chaque nouveau-né à la naissance. Comme c’est un morceau d’esprit isolé, elle finit, avec le temps, par se définir, par prendre une identité. Et lorsqu’elle se manifeste, elle possède déjà un caractère bien particulier et un nom.
C’était là l’origine de l’Akakumo no Tora et du Kuromizu no Ryû.
-A cause de sa nature héréditaire, la Bête influe sur le caractère du Gîru : plus la Bête est agressive et sanguinaire, plus elle laissera un vide dans la personnalité, et plus cette personnalité compensera avec ce qui lui reste.
En un mot, plus le Gîru était jovial et sympathique, plus la Bête était féroce et assoiffée de mort. Kanjiro déglutit avec difficulté lorsqu’il se souvint qu’aucun Gîru n’était plus avenant que Takeo-sensei.
Le jônin sourit de toutes ses dents.
-Oui…de toutes les Bêtes, l’Akakumo no Tora est sans doute la plus féroce. Et vous n’avez pas tout entendu. Quant on fricote avec quelque chose d’aussi dangereux qu’une Bête, on prend des risques. Les Gîru sont entraînés dès l’enfance à contrôler leurs émotions et à s’habituer à tuer. Mais plus on utilise d’énergie spirituelle issue de la Bête, plus elle pourra manifester sa propre volonté.
-Alors…
Il fouilla dans une des innombrables poches de sa veste et en sortit trois petits parchemins couverts de caractères, qu’il lança à ses disciples en disant :
-Tenez. Si jamais je perds le contrôle, vous avez intérêt à ne pas me rater, ou à courir plus vite que moi. Ce sont des sceaux qui obligeront mon Kikawa à se résorber.
-Et…pourquoi vous perdriez le contrôle ?
-…Parce que je serais tombé sur un ennemi trop puissant, parce que j’aurais trop utilisé le Kikawa, ou parce qu’un de mes élèves m’aurait trop tapé sur les nerfs, dit-il tout sourire, avant de partir s’allonger sur sa couverture. Kanjiro, tu prends le premier tour de garde.
Il devait vraiment avoir l’habitude, pour faire comme si de rien n’était. Kanjiro était assez satisfait de son sort : il n’était pas sûr de pouvoir dormir tranquille avec un pareil…truc à côté. Il avait l’impression d’avoir une bombe à retardement pour sensei.
Il alla s’asseoir en tailleur sur un des rochers et ferma les yeux. Après quelques minutes, il était parfaitement relaxé et put activer totalement son Byakugan sans difficulté.
Chaque jour, de nouveaux dangers s’annonçaient, mais ils le laissaient dans l’incertitude. Il ne savait qu’attendre de Takeo-sensei ou de cette mission qui pouvait à tout instant passer du simple espionnage au jeu de massacre en règle. Il était dans le flou. Il lui fallait quelque chose pour focaliser son esprit. Quelque chose de plus prenant qu’un tour de garde dans le froid et une forêt silencieuse et morne.
Takeo-sensei et Honshû dormaient comme des bienheureux, mais Kanjiro savait pertinemment que tous deux étaient prêts à s’éveiller au moindre bruit suspect. Quant à Yukito…Yukito n’était pas couché. En fait il n’était même pas là.
Kanjiro sauta sur ses pieds, alerté. Il ne pensa même pas à scruter les environs : son esprit était trop embrouillé.
-Eh l’ahuri ! fit une voix traînante au pied du rocher.
Kanjiro soupira avec exaspération et regarda Yukito d’un œil torve.
-Et si on s’entraînait un peu ? lâcha le genin de Kiri, un sourire aux lèvres.
Le jeune Hyûga sourit à son tour, de ce même sourire froid et coupant. Voilà de quoi focaliser son attention.
-Je suis partant.
-Ah ouais ?
-Ouais.