Le Passé blanc, saison 2

Tu débordes d'imagination scénaristique. Tu as imaginé des histoires parallèles à celle de Naruto. Alors asseyons-nous autour d'un feu et raconte-nous ton histoire dans le monde des ninjas.

Modérateur : Ero-modos

Kydash
Chunnin
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Message par Kydash »

^^; ce gonz : il ne s'use jamais à écrire des choses pareilles. (j'ai du relire la chose 3 - 4 fois avant de poster un commentaire).

Comme les autre sont passés, je n'ai pas grand chose à rajouter. le scenario avance légerement plus vite et c'est mieu, du coup cela reste toujours aussi agréable.
Les infos tombent, les personnages font des rencontres et enfin ils partent dans des missions loin des obscures salles de jeux de role.

Affaire à suivre et de très près.

Bonne soirée !
Arakasi
Gennin
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Message par Arakasi »

Tout bon ce chapitre!
Et désolée d'être aussi honteusement à la bourre, j'ai été (et suis encore) vraiment surchargée cette semaine...

La premiére mission de Kanjiro s'annonce des plus intéressante.
Le clan des Gîru vaut le coup d'oeil. Takeo me plaît beaucoup et me fout raisonnablement les jetons.
J'aime bien l'idée de la bombe à retardement en guise de sensei.^ ^

Je continue à suivre ta fic avec intêrét (même s'il m'arrive de commenter un peu tard...)
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Asano Akodo
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Message par Asano Akodo »

c'est pas grave du moment que tu lis et que tu commente, le retard importe peu, ça fait paisir quand ça arrive

effectivement pour la première mission on a essayé de faire qqc de différent, après tout c'est une rentrée de plein pied dans le vrais monde des ninja, avec tout ce que ça implique, fini le train-train quotidien

sinon en ce qui concerne les Gîru (et le premier qui fait un jeu de mot vaseux il a intérêt à savoir courir vite :twisted: ) c'est de moi et j'en suis asssez fier je dois dire, et oui c'est normal que Takeo soit du genre inquiétant (et encore attendez de voir la mission gnark)
Asano Akodo
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Message par Asano Akodo »

bon le concours pour la première saison du passé blanc est ouvert finalement, ça nous aura pris du temps rendez vous dans la section dessin pour le reste
aller va lire la charte va! tu sauras mettre une sign à la bonne taille comme ça!
lebibou
Sannin
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Message par lebibou »

Y'a une question que je me pose depuis pas mal de temps mais que j'oublie toujours de poser :

Pourquoi avoir envoyé un Hyuga dans une mission incognito ?

Certes, il a des lentilles mais les Hyuga ont beaucoup trop de traits physiques qui les rendent aisement reconnaissables. Même si il reste difficile d'être sur que c'est un Hyuga, on a quand même de gros doutes lorsqu'on le voit arrivé.
Et pour peu qu'ils perdent une lentille…
Enfin, dans le cas de figure où il se fait tuer ou attraper, n'étant pas membre de la Bunke, l'accès au Byakugan reste toujours possible après sa mort.
Je suis donc étonné que le Soke est autorisé cette mission.
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Asano Akodo
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Message par Asano Akodo »

pour te répondre je dirai déjà que le gros avantage de kanjiro c'est que c'est en fait loin d'être marqué sur ça gueule que c'est un hyûga une fois les yeux masqués, contrairement aux autres. De plus la présence de ninjas là où ils vont est sensée être inexistante, on s'attend plutot à des politiciens, et quand bien même il y aurait des ninjas qu'ils ne savent pas forcément ce qu'est un hyûga même s'ils en ont entendu parler (par exemple Kidômarô sait ce qu'est un hyûga car oro lui en a parlé et pourtant c'est pas un ninja de seconde zone), le henge c'est pas pour les chiens non plus, et les ninjas (en général et hors du contexte de naruto) maîtrisent ce qu'on nomme la voie ou les techniques de déguisement.

et puis cette mission est d'abord une mission de reconnaissance, et si opposition ou adversaire il y a ils ont ordre de ne pas engager et d'appeller du renfort. faut aussi se mettre dans la tête que ce à quoi nous sommes plutôt familier est pas ou peu connu pour beaucoup d'autres, beaucoup doivent juste savoir que ce qui leur tient lieu de force militaire sont des ninjas, sans plus.

et pour reprendre ton truc d'un byakugan lâché dans la nature, dans ce cas aucun membre de la soke ne deviendrait ninja ni ne partirai en mission, et hinata ne serait jamais devenue ninja dans ce cas
aller va lire la charte va! tu sauras mettre une sign à la bonne taille comme ça!
Kanji
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Message par Kanji »

Fer

Il n’y avait pas un bruit entre les arbres. L’hiver avait endormi la forêt, et le feu était trop occupé à agoniser pour signaler quoi que ce soit. A en juger par le flux de chakra de Takeo-sensei, il ne dormait qu’à moitié, de ce sommeil étudié qui reposait le corps tout en gardant les sens suffisamment aux aguets. Il fallait rester silencieux à tout prix : Kanjiro n’osait même pas penser au savon qu’il leur passerait s’il les prenait sur le fait. Le jeune Hyûga disposait d’une vision parfaite et d’un bon mètre de hauteur supplémentaire, ce qui pouvait aussi bien être un avantage qu’un inconvénient.

Il avait commencé à analyser les paramètres à l’instant où il avait entendu Yukito. C’était quelque chose qu’il ne s’expliquait pas vraiment, un réflexe moteur : dès qu’ils s’étaient vus, l’un comme l’autre avait su qu’ils étaient faits pour se combattre. Peu importait quand, comment où jusqu’où. Pour l’instant du moins.

Kanjiro inspira rapidement. Au moment d’expirer, il se laissa tomber en avant. Il tourna sur lui-même et sa jambe droite s’abattit comme une pierre. Yukito disparut d’un bond, la soie noire de ses vêtements se fondant dans les ombres. Kanjiro atterrit accroupi dans la neige et ses narines laissèrent échapper un filet de vapeur. Il n’y avait pas eu un bruit.

Yukito était assez intelligent pour savoir non seulement qu’on ne pouvait échapper à l’œil d’un Hyûga, mais aussi qu’il fallait échapper à sa main. C’est pourquoi il avait conservé cette distance : il ne survivrait pas à un corps-à-corps. Mais Kanjiro n’avait pas l’intention de le laisser combattre comme il l’entendait.

Il s’élança entre les arbres, se déplaçant en longs sauts au ras de la couche de neige : moins il aurait à faire de pas, moins il ferait de bruit. Ses pieds ne laissaient presque aucune trace sur le tapis blanc. En moins de deux souffles il avait rejoint son adversaire, qui para le coup aisément, avant de se replier à nouveau. Et ça continua ainsi.

Un spectateur ordinaire n’aurait vu que deux ombres se croisant et se frôlant sans cesse dans un bruit soyeux, comme les ailes d’un oiseau de nuit. En réalité il régnait entre eux une tension de tous les instants. Chacun déchiffrait les signes, sollicitant son esprit aussi bien que son corps.

Yukito rétablissait constamment la distance, évitant le contact à tout prix, se donnant le temps de voir arriver l’attaque suivante. Kanjiro sentait bien que le genin de Kiri menait le jeu, et qu’il préparait soigneusement le coup qui lui apporterait la victoire.

Quelle que soit l’attaque, il parvenait toujours à éviter de peu le coup. Interrompre la routine ne servirait à rien : Yukito avait imposé ce rythme pour gagner du temps et Kanjiro n’en avait pas assez pour mettre au point un plan complexe. Par instinct, il le savait.

Yukito esquiva une nouvelle charge avec difficulté. Il avait bien compris le danger du jûken : toute forme de contact était dangereuse, même une parade. Il fallait esquiver, et le genin n’y parvenait que grâce à la routine qu’il avait mise en place. Et aussi parce que Kanjiro ne se donnait pas à fond. Il voulait prendre le temps de détailler la stratégie adverse. Sa seule option était de préparer sa réaction. Le manège se poursuivait. Leurs corps avaient enregistré la méthode, et la répétait sans difficulté.

Soudain, Kanjiro s’aperçut que Yukito tenait dans sa main un petit instrument d’acier tranchant. Trop tard. L’angle des os et le flux de chakra vers le bras annonçaient déjà la trajectoire du kunai.

Ils étaient face à face. Il ne restait plus que quelques mètres entre eux, et ils se réduisaient rapidement. Les muscles de Yukito se tendirent comme des câbles d’aciers. Le kunai fendit l’air vers Kanjiro, qui serra les dents.

Mais la blessure ne vint jamais. Au lieu de sentir la pointe pénétrer sa chair, Kanjiro sentit l’autre extrémité du kunai heurter son front. Manqué. Peu importait pourquoi. Son esprit était tout entier au combat. Et dans la logique du combat, l’échec entraîne la défaite. Son avant-bras droit heurta la gorge de Yukito et le plaqua contre le roc. Il remarqua à peine combien son adversaire était léger. Sa main gauche virevolta avec agilité de son fourre-tout à l’abdomen qu’il tenait à sa merci. Elle s’était armée d’acier entre temps.

Il y eut un instant d’hésitation. Alors que le kunai pressait le coton de la veste, Kanjiro se demanda ce qu’il devait faire ensuite. Il s’était lancé à corps perdu dans la bataille, espérant y trouver de quoi noyer ses soucis et pensées. Il n’avait pas été déçu. Mais à présent la tension inflexible du combat le laissait perplexe. En toute logique il aurait dû le tuer. Son cœur avait envie de verser son sang et de devenir son égal. Et avec lui, de tuer les soucis et les doutes. Pour de bon.

Yukito affichait un air surpris. Il était incapable de manifester de la détresse, mais son visage exprimait une stupeur presque colérique, comme celle d’un professeur déçu.
-Qu’est-ce que tu fous ?! demanda-t-il d’une voix qui résonna dans la clairière.
Kanjiro leva les yeux et comprit que Yukito n’avait manqué son tir que parce qu’il ne voulait pas blesser son camarade.

Il relâcha la pression et reprit son souffle pour répondre. Il n’en eut pas le temps. Quelqu’un s’en chargea à sa place.
-Il me désobéit. Tout comme toi.
La voix de Takeo-sensei avait des accents de fin du monde. Ses yeux forcèrent Kanjiro à palper son cou pour vérifier si sa gorge était intacte. Son Kikawa le clouait déjà au sol : il ne pouvait même pas tourner la tête pour regarder où Yukito en était.

Il les plaqua contre le roc avec brutalité, ses larges mains sur leur gorge, le pouce écrasant la jonction des clavicules. Avec juste assez de force pour les empêcher de parler, et pas assez pour leur couper le souffle.
-Je vous avais dit de suivre les ordres à la lettre, et je vous avais prévenus.
Kanjiro pouvait sentir la moindre petite arête du rocher lui rentrer entre les omoplates tandis que la pression se faisait plus forte.
-Vous me faites une belle paire de shinobi…petits crétins. C’est contre l’ennemi que vous devez vous battre, pas entre vous !
Le Kikawa pesait de toute sa force contre son cœur qui s’obstinait pourtant à battre la chamade.
-En toute logique je devrais annuler cette mission dans la seconde : la poursuivre après une telle démonstration d’incompétence tiendrait de la stupidité. J’ai l’air d’être stupide ?
Même s’il avait pu parler, Kanjiro savait qu’il ne fallait pas répondre.
-La seule raison pour laquelle nous allons continuer, c’est parce que cette mission est cruciale. Mais une seule autre incartade, et je me fais un collier avec vos trachées.
Il poussa brusquement avant de retirer sa main. Sa voix eut un frisson de colère et Kanjiro eut l’impression de plonger son regard dans le soleil.
-C’est bien clair ?

Des années plus tard, Kanjiro devait réaliser la véritable portée d’évènements tels que celui-ci. Mais à l’époque, le bon sens des paroles de Takeo-sensei était noyé sous la douleur et le ressentiment. De son point de vue, il était en train de découvrir ses réserves de volonté et de certitude en affrontant Yukito, et la remise en question de Takeo-sensei l’avait interrompu avec tant de violence qu’elle en était insupportable. Il alla se coucher le cœur amer, mais résigné à obéir, plus par peur que par raison.

La journée suivante s’écoula sous un ciel inchangé, toujours aussi gris et morne que la veille, tandis que Kanjiro ruminait des pensées maussades. Il se demandait s’il se passait la même chose dans le crâne de Yukito, et si un jour ils auraient l’occasion d’aller jusqu’au bout. Lui n’avait jamais vraiment envisagé le meurtre auparavant, mais il le faudrait bien un jour. Cela dit…l’idée n’était pas si révoltante quand elle s’appliquait à Yukito. Kanjiro ne savait pas s’il était censé se sentir coupable. Il s’aperçut qu’il avait trop longtemps observé l’espace entre les omoplates de son camarade, et détourna le regard avant de se mettre à calculer l’angle d’entrée du kunai. Le vent souffla, froid et mordant. Tout ça n’était pas pour le rassurer.
Le voyage se poursuivit inlassablement, Takeo ne leur laissant jamais assez de temps ou d’espace pour que leur attention se disperse. Ils traversèrent la frontière de Kusa no Kuni comme si elle ne séparait plus rien ; à part le changement dans le paysage, il n’y avait aucun signe qu’ils venaient d’entrer dans un autre pays. Ni poste de garde, ni patrouilles frontalières, rien. Apparemment, la guerre unissait les hommes. La seule chose que ressentit Kanjiro fut un peu de nervosité chez son maître : il semblait réfléchir constamment, comme si un souci s’imposait à lui, un souci dont il devait s’occuper rapidement. Le jeune Hyûga préféra ne pas le déranger. C’était au maître de décider, pas aux disciples.

Comme pour confirmer cette similitude, la neige était présente à Kusa comme à Konoha. Les vastes plaines de hautes herbes étaient enfouies sous un voile immaculé qui s’étendait à perte de vue. Mêmes dans les gigantesques forêts et leur végétation surdéveloppée, caractéristiques de l’est du Pays de l’Herbe, on trouvait encore la neige, qui tombait de la canopée en rideaux d’étoiles givrées.

Près de trois jours après avoir passé la frontière, ils arrivèrent dans les contreforts des montagnes qui s’étendaient sur la frontière entre les trois pays, Tsuchi, Hi et Kaze. Perchés au sommet des arbres qui bordaient la fin de la forêt, les shinobi aperçurent la ville de Tempô, qui s’étendait sur les flancs du pic le plus proche. La cité était bâtie sur plusieurs niveaux, comme une rizière : plus on remontait, plus le nombre d’habitations diminuait et plus la richesse des habitants semblait augmenter. Le palais du gouverneur se trouvait bien entendu au pinacle de la ville, et il était le seul de son niveau. Les plus bas niveaux formaient une mosaïque des bâtiments hétéroclites et de ruelles labyrinthiques. Au pied de la montagne s’étendaient les rizières, qui bien évidemment se trouvaient au plus près des niveaux pauvres, dont la population formait la force ouvrière de la ville. Cà et là, à chaque niveau, on pouvait apercevoir un bâtiment qui se démarquait des autres, noir, fortifié et luisant comme la carapace d’un scarabée. Kanjiro devina sans problème qu’il s’agissait de postes d’ashigaru. Activant son Byakugan l’espace d’un instant, il estima le nombre total d’habitants et n’en vit aucun dans la ville dont le chakra pouvait attirer son regard à cette distance. Trouver des ninja dans une telle fourmilière ne serait pas facile.

Les trois jeunes gens se tournèrent vers Takeo-sensei : comme ils l’avaient appris, c’était à lui de prendre les décisions. Sa main indiqua le sol, et les quatre shinobi sautèrent de leurs perchoirs pour atterrir en silence dans la neige.
-Bon, maintenant nous allons préparer notre infiltration, fit le Gîru en sortant cinq parchemins de son manteau. Posez chacun votre équipement sur un parchemin : tout ce qui peut indiquer que vous êtes un ninja.
Quelques secondes, sceaux et nuages de fumée plus tard, leurs fourre-tout, bandeaux, armes et autres étaient enfermés dans une prison d’encre et de papier. Takeo se défit de son manteau et déroula vivement un mince parchemin qui claqua comme un fouet. Une fois le manteau stocké, le Gîru le rangea simplement dans sa poche.

Le cinquième parchemin était bien plus grand que les autres, et il était déjà plein. Son contenu, une fois libéré, s’avéra être composé cinq tenues et toute une série d’accessoires. Un ensemble veste, pantalon et hakama sobre mais élégant, la même chose mais en plus petit, un yukata très simple, une tenue bien moins distinguée, qui désignait son futur porteur comme un valet, ainsi que plusieurs nécessaire de voyage et du matériel d’écriture et de peinture.

Takeo commença à se déshabiller.
-Bon, voilà le topo. Je suis un noble déshérité qui est obligé de voyager et de vendre ses talents de calligraphe et de peintre pour gagner sa vie. Honshû est mon fils, Kanjiro mon élève, et Yukito mon page. Changez d’habits et faites-vous au personnage.
-Il nous faudrait pas plus de détails ? demanda Honshû tout en ôtant sa veste.
Entre deux claquements de dents, Kanjiro répondit.
-Un noble n’a pas à être bavard ou à dévoiler ses pensées, surtout pas à des soldats ou à des gens du commun. Contente-toi d’être poli et de ne pas trop parler. Moi il faudra juste que je joue les artistes timorés, et Yukito n’aura aucun problème, puisqu’ un page n’a rien à dire. Il en faut pas grand-chose pour faire illusion, le tout c’est de donner le change avec des détails marquants : invente-toi des tics, des habitudes de langage ou autres.
Honshû soupira en enfilant le hakama, qui devait lui faire le même effet qu’une robe de ballerine.

Quelques minutes et froissements de soie plus tard, ils étaient prêts, et rejoignirent la route. Au bout de cinq minutes de petits pas dans la neige, tous entendirent distinctement un bruit que le commun des mortels n’aurait pas remarqué : un léger chuintement qui indiquait qu’un shinobi fendait l’air à proximité. Honshû se raidit. Mais il suffit d’un signe de son maître pour lui indiquer qu’il devait rester tranquille, car un fils de noble n’entend pas les ninja venir, et s’il le fait, il ne réagit pas instinctivement. Le jeune Nara se calma immédiatement quand il vit que Yukito et Kanjiro n’avaient pas bronché, et reprit son rôle avec application.

Ce n’est que quelques minutes plus tard que le shinobi se décida à sortir de sa cachette. Il y eut un éclair brun et une forme sombre apparut sur la route. Si près de la ville, il ne restait plus beaucoup d’arbres pour bloquer le soleil, et pourtant on ne pouvait que vaguement distinguer les traits du ninja. Mais Kanjiro put voir facilement que ses intentions étaient loin d’être amicales : son front portait le bandeau d’Iwa.

Takeo et Honshû affichèrent une surprise affectée, Kanjiro sursauta et recula d’un pas tout en serrant son nécessaire d’écriture contre lui, et Yukito se contenta de sourire stupidement, comme il convient à un page, qui après tout n’est pas employé pour être intelligent.
-Vous ! les héla le shinobi tout en portant la main à son étui à shuriken.
-Qu’y a-t-il, mon brave ? demanda Takeo, sa voix présentant un savant mélange de calme et de peur à demi-maîtrisée.
-Je vous observe depuis un moment déjà…
Il s’approcha prudemment.
-Et pour quelle raison ?
-Fais pas l’innocent : parce que vous êtes des shinobi de Konoha !
Le Gîru eut une moue d’incrédulité, puis laissa échapper un grand éclat de rire incontrôlable. Honshû et Kanjiro y firent maladroitement écho, comme si l’hilarité de Takeo les rassurait.
-Des shinobi ? Nous ? Allons mon brave, qu’est-ce qui peut vous faire penser ça ?
L’homme sortit un shuriken et s’apprêta à le lancer. Takeo plissa les yeux et murmura d’une voix cruelle.
-Si nous étions des shinobi de Konoha, tu serais déjà mort, pauvre idiot.
Le ninja se figea soudain et hésita quelques secondes. L’air s’emplit d’une tension insupportable. Pour autant que Kanjiro pouvait en juger, Takeo réfléchissait à toute allure à un moyen de se débarrasser de l’ennemi sans se dévoiler.

Une voix rauque aboya soudain depuis derrière le shinobi de Tsuchi.
-Halte là !!
Kanjiro vit arriver sur la route une patrouille d’ashigaru armés de pied en cap. Ils étaient quatre, tous portant une armure légère entièrement noire : plastron, canons d’avant-bras et jambières. Leurs têtes étaient enveloppées dans de grandes écharpes d’un bleu sombre, qui ne laissaient nus que les yeux et le nez. A leur tête marchait un vétéran buriné, tête nue, aux cheveux gris coiffés à la mode des guerriers. A son côté, il portait le daisho, les deux sabres du guerrier noble, contrairement à ses hommes qui n’avaient qu’un sabre unique. Il s’agissait probablement d’un membre de la famille du gouverneur qui avait décidé de poursuivre la tradition guerrière aujourd’hui mourante. Sa ceinture était desserrée pour lui permettre de dégainer rapidement son sabre. Sa main ouverte était posée sur la poignée, paume vers le haut, comme en offrande. Trois hommes bien plus jeunes l’accompagnaient. Un armé d’un arc qui faisait sa taille, l’autre d’une masse à deux mains, le dernier et le plus jeune portant une simple naginata, une lame de sabre montée sur une hampe de près de deux mètres de long. Tous manifestaient ouvertement qu’ils étaient dangereux et prêts à tuer, sans se départir pour autant d’une discipline toute militaire.

Le chef s’avança jusqu’à Takeo-sensei, sans prêter attention au shinobi d’Iwa. Il salua l’aristocrate d’un signe de tête.
-Bienvenue à Tempô. Mon nom est Owari Kikaze et je suis en charge des ashigaru. Puis-je vous demander quelle affaire vous amène dans notre ville ?
-Salutations, Owari-sama, dit Takeo en s’inclinant. Mon nom est Suzume Yudoka et je viens du Pays du Feu ; je suis venu ici afin d’étudier l’art de cette magnifique région, et pour me procurer le papier de riz de Tempô, que l’on dit d’une qualité merveilleuse. Voici mon fils Yugoki, mon disciple Kakita Yojiro et mon page, Nizomi.
Honshû s’inclina devant le noble, Kanjiro tomba à genoux et toucha la neige de son front, et Yukito se coucha carrément par terre, offrant son cou à Kikaze, qui pouvait ainsi le trancher si tel était son bon plaisir. D’un signe de la main, l’ashigaru releva Honshû et Kanjiro, Yukito restant à terre en signe de soumission.
-Si je puis vous poser la question, Suzume-san, pourquoi un noble tel que vous viendrait-il ici sans escorte ni monture, en cette saison qui plus est ?
-Eh bien, pour vous parler sincèrement, dit Takeo avec un air profondément gêné, Je suis venu ici à la suite d’un…différend avec ma famille.
Kikaze leva la main pour l’interrompre.
-N’en dites pas plus.
Il avait l’air lui aussi gêné que la conversation ait du aborder un sujet si inconvenant.

On entendit alors la voix du shinobi de Tsuchi.
-Vous vous foutez de moi ?! Ces mecs sont des shinobi de Konoha, pas une bande d’aristo efféminés !
Les ashigaru se rapprochèrent de lui dans un cliquetis métallique. Kikaze n’avait pas l’air vraiment réjoui qu’on insulte la classe dirigeante.
-Bien, et maintenant à toi, vermine. Je pense qu’il n’y a pas de doute à avoir, tu es bien un ninja.
-Et alors ?
Le vétéran se contenta d’un signe de tête en direction du benjamin de son escouade.
-Takeshi.
Le jeune ashigaru se rapprocha calmement. Le ninja se mit en garde et rapprocha ses mains l’une de l’autre, commençant une série de sceaux. Il n’eut pas le temps de l’achever. Il y eut un cri sec qui imposa un silence de mort et une tension impénétrable. Takeshi bougea à la vitesse de l’éclair, portant un coup ascendant de sa naginata. Le corps du ninja se sépara en deux moitiés égales. Puis il explosa dans un nuage de fumée.

Alors que le Kage Bunshin achevait de se dissiper, on entendit un craquement de branchages, et Kanjiro distingua entre les arbres le vrai shinobi qui s’enfuyait. L’archer encocha une flèche et prit son temps pour viser, ses bras levés en une posture étrange et ritualisée. Fermant les yeux, il laissa partir son trait, qui fendit les branches en sifflant, avant de se ficher entre les omoplates de sa cible.

Kanjiro n’eut pas vraiment besoin de simuler l’effroi face à cette démonstration guerrière. La vitesse du coup de Takeshi n’était pas humaine. Le jeune Hyûga ne pouvait le confirmer par ses yeux, mais il était presque sûr que l’ashigaru avait utilisé une grande masse de chakra dans cette attaque. L’escouade avait très rapidement réagi à la stratégie du shinobi, qui même si elle restait simple, était suffisamment élaborée pour confondre la plupart des ennemis ordinaires. Comme le disait Takeo-sensei, entrer ici sans déguisement, c’était courir droit à la mort : cette mission s’annonçait vraiment délicate.

Kikaze se tourna vers Takeo. Son regard s’efforçait de percer les faux-semblants. Le Gîru lui opposa un sourire plein de politesse. Kanjiro fut soudain frappé par la violence de cette confrontation : un homme de vérité, d’intensité, face à un homme de mensonges, de dissimulations. La sensation que cela lui inspirait était indéfinissable. Mais elle était suffisamment dérangeante pour qu’il préfère détourner les yeux et reprendre son rôle d’artiste timide. Il ne sut pas comment, mais l’affrontement prit fin.
-Soyez le bienvenu à Tempô, Suzume-san, dit-il sans plus de civilités avant de lui indiquer de la main la ville.

Takeo s’inclina une dernière fois devant lui et fit signe aux autres de le suivre. Yukito se releva en dernier et suivit en baissant les yeux. Kanjiro était impressionné par sa performance. Yukito mentait encore mieux que lui, et ce n’était pas peu dire. Mais le jeune Hyûga était surtout intrigué par l’issue de tout ceci : Kikaze ne semblait pas stupide, du moins pas assez pour laisser son jugement être abusé par sa haine du ninja qui avait offensé sa caste. Il pouvait très bien juger à quel point celui qui lui faisait face était étrange, à savoir un noble en exil voyageant à pied à travers un pays en guerre, avec un fils mais pas de femme, un page mais pas d’escorte, sans même un wakizashi pour prouver sa noblesse…Et pourtant il ne les avait pas arrêtés.

Une fois qu’ils se furent suffisamment éloignés, Kanjiro murmura la question à son maître.
-Peu importe. Il nous a laissé passer, c’est ça l’important. Tu penses trop, Kanjiro.
-Vous ne croyez pas que ça cache quelque chose ?
Takeo-sensei posa sur lui un regard mi-amusé, mi-sévère.
-Là tu ne penses pas assez. Réfléchis un peu : est-ce que ce cher Kikaze te semble capable de dissimuler ses soupçons et de nous tendre un piège ?
Kanjiro secoua la tête immédiatement.
-Bien sûr que non : si apte qu’il soit à l’art de la guerre ou à celui du combat, Kikaze reste un imbécile naïf qui confie ses actes à un code strict et malpratique. Le bushido constitue sa plus grande faiblesse, puisqu’il le rend prévisible et réduit considérablement ses possibilités d’action. Retiens bien ceci Kanjiro, il faut savoir exploiter les faiblesses de l’ennemi, et lui dissimuler les tiennes.
Le jeune Hyûga fut surpris un court instant par le mépris qu’affichait Takeo pour les conventions, les codes et les traditions de la civilisation. Après coup, il en vint surtout à se demander s’il devait lui-même manifester ce mépris pour devenir un vrai ninja. Le Gîru sembla deviner ses pensées.
-Mon clan n’a que faire de la civilisation et de ses simagrées, Kanjiro. Et nous autres shinobi sommes ce dont la civilisation a besoin sans l’accepter : des méthodes efficaces et déshonorables. Nous vivons dans les ombres parce que les ombres ne reflètent rien. Si nous vivions et agissions en plein jour, nous serions un miroir pour eux.
Kanjiro sourit légèrement et Honshû répondit à sa place.
-Les shinobi ne sont plus vus ainsi depuis les temps féodaux, maître. La transition a pris du temps, mais elle s’est faite.
Takeo garda le silence pendant un instant. Les jeunes gens ne se soucièrent pas de ses paroles : après tout, les Gîru étaient tellement étrangers au monde civilisé qu’ils n’étaient probablement pas au courant de son évolution.
-Tu as sans doute raison, conclut le jônin, Essayons de nous concentrer sur la mission maintenant.
Kanjiro releva les yeux alors qu’ils entraient dans la ville basse.
La route traversait des rizières prises dans la neige, à tel point que la prochaine récolte devrait attendre la fin de l'hiver. Yukito resta un peu plus longtemps que ses camarades à fixer quelques paysans, qui tentaient malgré tout de sauver ce qui pouvait l'être.

Le premier niveau de la ville basse était un vrai bidonville : tout était pauvre et sol. Au sol, la neige à moitié fondue s’était mêlée à la boue, et les genin durent presque se faire violence pour éviter de recourir au chakra afin de protéger leurs pieds. Des enfants jouaient dans les rues en compagnie des chiens, et il était rare de voir une porte, fermée ou non.

Tout semblait agité par une énergie aveugle et stupide, qui produisait un chaos joyeux ; mais partout où le groupe passait, cette animation s’éteignait dans l’instant tandis que tous tombaient à genoux dans la crasse pour saluer les aristocrates. Kanjiro avait la détestable impression d’être indigne de cette révérence. Supportant mal cette comédie, il fut soulagé lorsqu’ils entrèrent dans le centre-ville, domaine des commerçants.

Là où la ville basse était un dédale de ruelles tortueuses, tout ici s’articulait autour de la grand-rue, qui montait progressivement vers la ville haute. Au plus bas de ce niveau, on trouvait les étals de viande, les tanneurs, les abattoirs…tout ce qui avait à voir avec la chair morte, qui répugnait la classe dirigeante. Kanjiro le savait, et ne se priva pas de feindre le dégoût. Ensuite, il y avait la plupart des autres commerces, hiérarchisés, dont la « respectabilité » augmentait à mesure qu’on s’approchait de la ville haute. Enfin, au plus près des quartiers nobles s’étendaient les temples, tous plus magnifiques les uns que les autres, richement décorés et environnés par le bourdonnement sacré des sûtra. Au-delà trônaient des rues pavées, des villas rutilantes et une population de silhouettes en habits chatoyants : une ville haute où ils n’entrèrent pas véritablement.

Un fois le seuil des quartiers nobles franchi, les gens du commun détournaient les yeux de vous. Takeo fit un discret signe de la main et ils se dispersèrent comme si de rien n’était, chacun quittant la grand-rue et marchant de son côté vers une ruelle annexe. Ils se retrouvèrent quelques minutes plus tard dans le niveau intermédiaire. En passant par des chemins détournés, Takeo les mena rapidement vers une maison abandonnée, au plus près de la ville basse. Le jônin ouvrit la porte délicatement pour éviter de la faire grincer et invita ses disciples à entrer dans ce qui n’était guère plus qu’une grande pièce à l’ameublement spartiate, mais étonnamment propre et bien entretenue.
-C’est la seule planque que Konoha a à Tempô. Les dirigeants préfèrent que l’implantation de shinobi ne soit pas trop développée.
-Comment ça ? Je croyais que les ninja étaient interdits ici ? demanda Honshû, une surprise toute modérée se peignant sur son visage.
-Officiellement oui, mais les nobles savent bien qu’ils ont tout intérêt à ménager la chèvre et le chou, et à laisser les village ninja utiliser cette ville comme moyen de passer la frontière, sous peine de se voir déclarer la guerre, un risque qu’ils ne sont pas disposés à prendre. Bien sûr cela implique de la discrétion : la vérité n’est pas qu’il est interdit aux ninja d’être à Tempô, mais qu’il leur est interdit de se faire prendre. La différence est subtile, je te l’accorde.
Honshû haussa les épaules : les jugements de valeur étaient loin d’être sa spécialité.
-Et maintenant ? demanda Yukito, visiblement impatient de se mettre au travail.
-Maintenant nous allons enquêter. Ce qui signifie que nous devons parcourir le village en gardant nos identités de façade, et glaner discrètement autant d’informations que possible. Donc Yukito, tu te charges des champs et de la ville basse, Kanjiro, pour toi ce sera le centre-ville et la campagne alentours et pour Honshû et moi ce sera la ville haute.
-S’il s’agit de préserver nos identités de façade, pourquoi ne pas avoir pris une chambre dans un hôtel ? Ca semblerait plus crédible de la part d’un noble, non ? hasarda prudemment Kanjiro.
-Exact, mais il serait alors virtuellement impossible d’opérer tranquillement. Mais bien entendu, je vais prendre la chambre en question et arroser le tenancier pour m’assurer un peu de crédibilité auprès des ashigaru.
-Vous ne craignez pas que le tenancier parle ? objecta calmement Yukito.
-Il ne parlera pas de lui-même, puisque c’est moi qui le paie. Et les ashigaru ne le feront pas parler.
-Pourquoi ?
-Parce qu’ils ne savent pas comment « poser les questions », conclut Takeo avec un sourire féroce et une pointe de mépris dans la voix. Et la chasse commença.

Honshû ne devait pas se souvenir de la visite de son maître à l’hôtel, où un tenancier obséquieux accéda à toutes ses requêtes avec force politesses et circonlocutions, juste à cause de quelques beaux habits et d’une bourse pleine. Il se demanda en rêvassant si ça se passait de la même façon dans les temps féodaux, quand ce genre de coutume avait encore un sens. En entrant, il examina d’un coup d’œil l’endroit, repérant les issues, les zones d’ombre, tous les endroits d’où on pouvait monter une embuscade et par lesquels on pouvait y échapper. La suite, Takeo-sensei s’en chargeait, donc Honshû n’avait pas besoin de s’en soucier, et se contenta de se tenir prêt, comme toujours. Il n’avait pas besoin de penser pour exister, et la pensée est sœur du doute. Ils sortirent et se dirigèrent vers la ville haute. Nobles ou roturiers, il n’y avait pas vraiment de différence : une fois alliés à l’ennemi, tous étaient des traîtres. Et tous finiraient de la même façon. Toute la question était de savoir qui était l’ennemi, et qui il avait corrompu.

Kanjiro visita rapidement les alentours de la ville, car une zone aussi vide pouvait facilement être analysée grâce au Byakugan. Il ne s’attarda pas pour admirer le paysage, ayant toujours à l’esprit l’importance de sa mission. Comme le disait Sandaime-sama, même une mission banale ou pénible participait à l’effort de guerre. Chacune des activités du shinobi, chacun de ses gestes, exigeait une attention parfaite. Dans les boutiques et tavernes du centre-ville, il écouta attentivement tous les ragots et toutes les discussions. Il était facile pour lui de passer inaperçu, de se fondre dans la foule et d’écouter. Et apparemment, la nervosité était une constante : la guerre n’avait pas encore atteint Tempô, mais elle se faisait de plus en plus sentir. La population savait que la neige était l’œuvre de Yuki no Kuni, et se demandait à quel point la neutralité de la ville était compromise. Lentement mais sûrement, leur réalité quotidienne s’effritait et la terrible évidence de la guerre s’imposait, avec tout ce que les rumeurs leur avaient appris. Au fur et à mesure que les jours s’écoulaient, Kanjiro réalisait la différence entre eux, qui ne parvenaient pas à envisager vraiment la guerre, et lui, qui était censé en vivre. Posté sur les toits, il surplombait la ville, observant l’agitation de la rue, en bas, avec un recul tel qu’il en devenait inquiétant. Et ses yeux voyaient leurs cœurs battre plus fort à chaque chute de neige.

Yukito aurait pu soupirer. Il aurait pu être excédé ou honteux, voire même craquer et abandonner son enquête. Il n’en fit rien. Pas parce qu’il n’osait pas échouer devant ses camarades, pas même parce qu’il avait peur que son maître lui brise le cou d’un geste, mais parce que c’était sa mission que d’enquêter parmi les paysans. Ca ne lui ressemblait pas le moins du monde de se jeter à terre devant les nobles, de prendre un air stupide et maladroit, et encore moins de proposer gentiment son aide aux champs. Mais la mission passait avant tout, lui le premier. Il sentit ses chevilles se glacer jusqu’aux os alors qu’il travaillait, les pieds dans la neige, et ses sens acérés lui disaient que les courbatures le gêneraient pendant plusieurs jours. Kanjiro se serait probablement senti mal à l’idée que les paysans subissaient ce genre de choses en permanence ; mais Yukito n’était pas Kanjiro. Les paysans travaillaient, les nobles dirigeaient et les ninja tuaient. C’était ainsi, alors autant s’y faire et l’apprécier. Et le jeune genin sut apprécier sa découverte : au fil des jours, il apprit qu’un des paysans, fatigué d’user son corps chaque jour, avait décidé d’œuvrer contre le gouverneur. Il possédait des champs secrets, mystérieusement épargnés par la neige, qui lui permettaient de faire subsister ses camarades, tandis que les nobles voyaient leurs réserves de riz diminuer chaque jour. Sans riz, ils n’avaient pas les moyens d’assurer leur indépendance ; sans indépendance, ils n’avaient plus les moyens de vivre selon des coutumes archaïques ; et sans coutume archaïques, ils n’avaient plus les moyens d’exploiter les paysans légalement. Yukito leva les yeux et la paysanne qui le vit recula en un sursaut effrayé. Il sourit et s’en retourna vers la ville.

Ce sourire ornait le soir même le visage de Takeo. Honshû résuma la situation.
-Bon, on sait que les nobles sont inquiets : la neige a interrompu le cycle des récoltes et la ville commence à manquer de nourriture ; même le commerce régulier ne suffit plus à approvisionner Tempô. Moralité, la seule solution est d’intégrer un pays et donc de renoncer à leur indépendance, ce qui les forcerait à entrer dans la guerre : ils devront bientôt prendre une décision. D’après Kanjiro, la population commerçante est dans le même état, puisque les champs sont la grande force économique de Tempô. Et grâce à Yukito, on sait qu’un paysan rebelle a trouvé le moyen de protéger son champ de la neige. Ce qui veut dire…
-Que pour sauver leurs récoltes, ils devront s’allier à Yuki, fit Kanjiro.
-Et que ce paysan est un traître, ajouta Yukito.
Les trois se tournèrent vers Takeo. La silhouette du Gîru, immense dans les ombres de la pièce, se déplaça dans un bruit feutré vers la porte, puis la nuit l’engloutit. Yukito, Kanjiro et Honshû se regardèrent et décidèrent qu’il était temps de dormir et d’attendre le retour de leur maître.

Le jônin marcha tranquillement jusqu’à la grand-rue et fendit la foule en direction de la ville basse. Un noble allant seul dans un tel endroit à cette heure de la nuit, c’était louche. Enfin ça aurait pu l’être : parmi ceux qu’il croisa, les plus vigilants ne virent qu’une silhouette sombre et imprécise. Les autres, qu’ils soient distraits ou ivres, ne sentirent qu’une légère brise. Takeo avait presque été surpris par le silence de ses disciples, alors qu’il sortait de leur planque. Il était satisfait de voir qu’ils commençaient à lui faire vraiment confiance. L’obéissance, surtout obtenue par la sévérité, ne suffisait pas ; une vraie équipe est fondée sur la foi. Il commença à se soucier de ce qu’il faisait lorsqu’il arriva près de la ville basse.

Yukito lui avait tout fourni concernant le traître : son visage, l’endroit où il vivait, sa famille, ses amis…Le trouver fut facile. La maison était à moitié en ruine, comme toutes les autres dans ce quartier. Ô surprise, elle avait une porte. Takeo savait ce que ça avait dû couter à cet homme. Il se sentit presque mal lorsqu’il la brisa comme une brindille. Presque. Il s’efforça de rester discret, mais le paysan se réveilla alors que les doigts de Takeo cherchaient sa jugulaire. Il n’eut le temps que de pousser un gémissement, mais ce fut suffisant pour réveiller sa femme. Elle allait crier. Il aurait pu lui briser les cervicales. Il aurait pu aplatir sa trachée. Il aurait pu fendre son crâne sur le mur. Mais il se contenta de plonger ses yeux dans les siens et de penser de toutes ses forces à toutes ces options. Elle s’évanouit dans la seconde. L’enfant ne se réveilla pas, et Takeo en fut heureux. Il sortit de la maison avec le paysan inconscient sur l’épaule. Il le porta à travers les ombres comme s’il ne pesait rien, et le déposa quelque part dans la planque : il dormirait encore jusqu’au lendemain. Mais Takeo ressortit : il n’en avait pas fini avec les travailleurs de Tempô.

Kanjiro se réveilla en même temps que ses camarades, probablement en même temps que les gens de la ville basse. Il s’était habitué, peu à peu. La méditation avait aidé. Mais elle n’avait pas suffi à effacer la lassitude. Il s’étira une fois et commença ses exercices matinaux, observant du coin de l’œil ses camarades faire de même. Tout restait silencieux : ce n’était pas quelque chose dont il fallait discuter. Puis la voix de Takeo-sensei les interrompit alors qu’ils mangeaient.
-L’enquête est finie, les jeunes. Aujourd’hui, travaux pratiques.
Le ton de sa voix les fit frissonner. Il les mena dans la pièce d’à côté, une pièce qu’ils n’avaient pas remarqué auparavant. Une petite pièce en pierre, froide et grise. A l’intérieur, trois hommes inconscients et bâillonnés, allongés sur des tables de travail. Le sol était couvert de taches sombres. Yukito sourit.
-Laissez-moi deviner : il va falloir leur « poser des questions » ?
Takeo se contenta d’un rictus. Kanjiro eut soudain envie de vomir.
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Tayuya
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Message par Tayuya »

ça commence à se préciser ^^ J'ai bien aimé le fait qu'ils se déguisent et jouent un rôle spécifique avec des réactions précises. ça rend bien le côté infiltration.
Je n'avais pas imaginé Takeo aussi méprisant par rapport aux gens en général, ça le rend plus sombre, c'est bien :twisted: j'ai adoré comment il calme Kanjiro et Yukito.

La réalité ninja qui rattrape les Genins au prochain chapitre ? :-p
lebibou
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Message par lebibou »

Raaahhh !!!
Qu'est ce que j'ai pris plaisir à lire ce chapitre !
Certes, le début est un peu long et le combat pas des plus avenant, mais le reste vaut son pesant de cacahouètes.
Ce que j'apprécie beaucoup chez toi (tu permet que je te tutoies), c'est l'art avec lequel tu poses tes atmosphères. On se sent tout de suite basardé en plein milieu d'une ville puante, en plein moyen-âge.
Bon d'un autre côté, c'est plus trop du Naruto.
Ce qui est marrant avec un style, je trouve, c'est qu'au final, très peu le différencie d'un autre style. On est pas capable de dire à quoi ça tient vraiment. Peut-être un mot à la place d'un autre, mais qu'est ce que c'est noyé dans une masse de mot ?
Bref, encore une question dont je n'aurai jamais la réponse. (tout comme, Pourquoi les Hyuuga ont il créé la Bunke si c'est pour envoyé aussi la Soke au charbon ? Ça n'a aucun sens)
Je reste assez surpris par la position de Takeo vis à vis des samouraï et de l'humanité en général. Je dois être pertubé par ton OS que je n'avais pas très bien saisi.
Même si sa réthorique vis à vis de l'ombre et des ninja est d'excellente qualité.
Bref, un excellent chapitre mais qui pêche un peu par un combat mollasson.
A quand la suite ?
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Kanji
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Message par Kanji »

Navré pour le combat, j'avoue avoir été en manque d'inspiration.

Pour la suite, elle devrait arriver dans un délai d'une semaine à 10 jours.
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Kanji
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Message par Kanji »

Bon, juste un post gratuit pour vous dire que la suite ne devrait plus trop se faire attendre, que le sommaire est édité et pour tirer ce topic des profondeurs de la deuxième page du forum...voilà, voilà...
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Tinton2
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Message par Tinton2 »

Yop jeune homme,

(Mode je raconte ma vie) il y a quelques jours, pendant que j'errais tel une âme en peine à la recherche d'une bonne histoire à lire afin de ponctuer mes interminables séances de révision à la con (qui font chier avec ces saloperies de matières de 1 000 pages de merde !!! désolé... reprenons...). Donc j'errais sur ffnet quand je me suis dit "mais ducon (oui, c'est comme ça que je m'appelle dans mon intimité propre), il y a quelques auteurs qui ont l'air d'avoir dépassé la puberté et qui sont plutôt cultivés sur narutotrad". Me voici donc en train de cliquer sur la fiction d'un certain Kanji qui, à la vue des quelques uns de ses posts qu'il m'avait été donné de lire, m'apparaissait comme quelqu'un maniant assez agréablement la langue française.

Résultat, je ne suis pas déçu, c'est très bien écrit, tu as réussi à nous rendre des personnages inconnus attachants, à créer de nouvelles capacités assez intéressantes et surtout, à nous donner envie de lire la suite.

Néanmoins, comme toutes les excellentes fics, celle-ci n'est pas exempte de quelques reproches.

Le premier et le moins important, tu as fait une grosse erreur dans l'échelonnement de la parution de tes premiers chapitres. Tu en as trop balancé d'un coup, ce qui fait que les personnes n'errant pas quotidiennement sur le fandom auront sûrement tourné les talons, n'ayant soit pas le temps, soit pas le courage de lire tout un paté d'une fic potentiellement nulle (vu qu'ils n'en ont pas encore lu une ligne). Ensuite, le manque de commentaires t'a aussi été préjudiciable, parfois, pour se faire un avis sur une fic, on lit les commentaires, et comme y'en avait pas lourd... Enfin bon on s'en fout, ce qui est fait est fait.

Le deuxième est, comme certains l'ont dit, que les états d'âme de Kanjiro ont commencé à traîner en longueur, j'y ajouterais que je les trouve bien trop mature pour leur âge. Les pensées de Kanjiro sont bien trop développées pour son âge à mon goût...

Le troisième est l'infiltration, je la trouve assez maladroite, d'après l'examen chuunin, on sait que tous les genins sont par groupe de trois plus un jounin et là, il y a un adulte et trois enfants... En plus, à moins que Kanjiro ait fait un henge (et dans ce cas, je ne m'en rappelle plus et je tiens à m'excuser de ce reproche devenu infondé), ça m'étonnerait que son byakugan passe inaperçu...

Le quatrième est relatif au domaine des Girû, cela m'étonnerait que n'importe quel dirigeant sain d'esprit accepte à des étrangers, un clan puissant en plus, de construire un domaine si immense, cela pourrait représenter un danger pour le village. Ensuite, ça pourrait concurrencer les clans déjà existant et comme ils sont au pouvoir, ils mettraient leur véto. Au pire, s'ils acceptent un clan puissant, ils chercheraient à le diviser (donc à les éparpiller dans la ville) pour obtenir leur force sans craindre une éventuelle rébellion. Surtout que le for des Girû est une véritable démonstration de force.

Le dernier est que vu le ralentissement de la parution, je crains bientôt que ça tourne en eau de boudin tout ça et que tu mettes la clé sous la porte...

J'espère sincèrement ne pas t'avoir miné le moral car j'aime ton histoire, il y a de très belles tournures, très peu voire pas du tout de lourdeurs, des clins d'oeil intéressants (le 4e, le kagemane etc...), l'orthographe s'est amélioré de fort belle manière au fil des chapitres etc...

Voilà j'aime beaucoup et je vais de ce pas lire ton autre fic.

Tchuss.
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lebibou
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Message par lebibou »

Le deuxième est, comme certains l'ont dit, que les états d'âme de Kanjiro ont commencé à traîner en longueur, j'y ajouterais que je les trouve bien trop mature pour leur âge. Les pensées de Kanjiro sont bien trop développées pour son âge à mon goût...
Pour ma part, je ne le trouvep pas trop mature. Mature, certes, mais pas trop.

L'un des principaux problèmes dans l'univers de Naruto, et d'autant plus lorsque l'on manie des personnages jeunes, c'est qu'il faut tenir compte du fait qu'ils vivent dans un univers où, en guise de peluche, on leur a mis un kunaï entre les mains.
Ils n'ont quasiment pas d'enfance. A douze ans, il se retrouvent déjà en position de tuer de quelqu'un.
Forcément, ils sont plus mature, beaucoup plus qu'un enfant de douze ans ayant suivi une éducation normale et n'ayant pas sa vie et celle de ses compagnons sur le dos.
Tout ça pour dire que ça ne m'a pas choqué. ^^'
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Kanji
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Message par Kanji »

Bon, d'abord très contânt d'avoir un nouveau lecteur, ensuite voyons ces points faibles :

1 - J'avais déjà écrit beaucoup de chaps à l'époque, et j'ai cédé à la tentation de tous les poster très rapidement...

2 - Ca, je sais, ils traînent en longueur. Dieu merci, grâce à de très bonnes reviews j'essaye de corriger le problème. Quant à l'excès de maturité...comme dit lebibou, ces gens-là n'ont pas eu une enfance normale. Mais c'est vrai que pour des gosses de 12 ans, ils semblent très/trop matures...mais je pense pas pouvoir corriger ça.

3 - Pour l'infiltration...premièrement les ashigaru de Tempô ne connaissent vraisemblablement pas toutes les traditions et usages des ninjas (et méprisent certainement les gens qui s'intéressent aux pratiques de ces êtres sans honneur) et il a été dit que Kanjiro porte des lentilles, qu'il est déguisé, et également que pour ce qui est de tromper son monde, c'est un expert : il a passé son temps à mentir à toute sa promotion...

4 - Pour les Gîru, il existe une alliance formelle entre Konoha et ce clan, et tu peux être sûr que Sandaime a tout plein de précautions militaires ultra secrètes, et douloureuses à portée de main au cas où. Pour ce qui est des rapports avec les autres clans...bonne idée, il faudra que je développe ce point.

5 - Le ralentissement de parution était purement accidentel et non-voulu, dû à des vacances prolongées, une baisse de motivation et un manque de reviews (quoi ? reproches ? je ne vois pas de quoi vous voulez parler...), mais je vais faire tout mon possible pour reprendre un rythme plus régulier (un chap par mois minimum) sur les deux fics. Etant donné que j'en ai deux, ça fait deux fois plus de boulot, donc inutile de dire que je publie moins vite que je ne le voudrais.
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Kanji
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Message par Kanji »

De bruit et de douleur

C’était un peu comme apprendre l’étiquette. Quand il était petit, Kanjiro détestait les leçons de savoir-vivre que sa mère s’efforçait de lui inculquer : comment se tenir, comment prendre les baguettes, comment parler, comment prendre quel air, comment regarder les différentes personnes, comment, comment, comment…Tant de réponses à des questions qu’il ne poserait jamais. Le jeune Hyûga avait beau faire, il n’arrivait pas à se détendre. C’était normal quand on y pense : après tout, ce qu’il avait sous la main, ce n’était pas des baguettes et ce qu’il y avait sur la table, ce n’était pas un bol de riz. Notez qu’on aurait pu s’y tromper, à voir l’expression de Yukito. Enfin, ce n’était pas comme de la gourmandise : le genin de Kiri avait tranquillement déballé la trousse fournie par son maître et pris tout son temps pour examiner ses outils, avec forces précautions et gestes explicites. Inutile de dire que sa future victime n’en menait pas large.

Devant cet homme à part entière, qui avait sûrement une famille, des enfants et toute une vie assortie et qui vous suppliait du regard et des gémissements de vous comporter comme un être humain normal, on se sentait comme un enfant. Un enfant qui, devant l’école, tirerait la robe de sa mère en pleurant et en disant ne pas vouloir y aller. Sauf que l’école était une séance de torture et sa mère un guerrier chevronné qui ne faisait aucun cas de la vie humaine. Et tandis que Yukito demandait à Takeo-sensei s’il y avait des brasero à disposition, Kanjiro attendait, espérant stupidement qu’un miracle descende du ciel pour rappeler au Gîru qu’être un adolescent n’incluait pas un don naturel pour la cruauté. Mais le jônin fit un signe et l’enfant marcha vers la grille de l’école en traînant les pieds.

Se tournant vers le chevalet qui se tenait à côté de lui, il s’attarda encore un peu ; c’était surprenant de constater que malgré l’aspect délabré de la planque, ce support et les objets qu’il présentait étaient reluisants. Chacun des ces instruments semblait avoir été aiguisé et poli avec soin, mais Kanjiro n’arriva pas à s’en émerveiller : leurs tranchants, pointes et courbes serpentines ne lui évoquaient que leur usage macabre. Il ne savait pas par quel type de sévice commencer : après avoir passé en revue divers outils métalliques tranchants, crochus et perforants, il prit ce qui ressemblait à un bistouri et l’approcha du ventre du patient, en essayant de ne pas prêter attention à ses gémissements de protestation et de supplique. Un toussotement discret lui fit tourner la tête : Honshû ne se débrouillait pas mieux, mais il s’était au moins rappelé qu’il valait mieux enlever le bâillon d’abord. Le jeune Hyûga l’imita avec une lenteur dégoûtée : le contact de sa victime était un engrenage dans lequel il répugnait à mettre le doigt. Le paysan terrifié s’empressa de déclarer qu’il ne savait rien, qu’il avait une femme et cinq enfants à charge et qu’il rendait hommage à son seigneur chaque jour. D’une voix blanche, Kanjiro interrogea, insista puis menaça, essuyant à chaque fois déni, protestations et suppliques. Takeo-sensei toussota sèchement et Yukito eut un petit rire amusé. L’héritier de la Sôke respira à fond et se décida à lui faire mal.

Les trois genins commencèrent en même temps à tailler dans le vif, avec plus ou moins de bonheur. Honshû tenta en vain de cesser de trembler puis commença par enfoncer lentement son ustensile dans le défaut de l’épaule. Il retira son instrument avec une précipitation maladroite lorsque le pauvre homme se mit à hurler. Le jeune Hyûga, de son côté, s’attaqua au ventre sans savoir ce qu’il faisait. Au moment où la lame argentée perça la peau et s’attaqua aux intestins, Kanjiro maudit ses sens pour être si développés : la lumière jouant sur le sang, l’odeur indéfinissable des entrailles et la chaleur poisseuse du corps en danger…autant de détails qui rendaient chaque instant plus insupportable que le précédent. Le plus dur était sans doute de se retenir de vomir sur sa victime. Il laissa les quelques centimètres de métal dépasser de l’abdomen et se retourna, respirant difficilement. La nausée ne l’avait pas quitté et elle s’installa définitivement lorsqu’il vit Yukito dans ses œuvres. Avec une précision abjecte, le genin de Kiri découpait délicatement une petite zone de peau, qu’il soulevait avec forces précautions avant de placer du sel sur la chair à vif et de refermer le tout. Chaque victime semblait vouloir rendre sourd son tortionnaire d’une cacophonie de hurlements vengeurs.

La pièce commençait à s’emplir de la senteur âcre du sang frais, des effluves de sueur rance et de l’odeur de la pisse chaude tandis que les prisonniers s’oubliaient dans leur terreur. Les hurlements semblaient résonner sans fin dans la petite chambre grise, entrecoupés de temps en temps par des supplications. Il fallait y mettre fin. Epuisé par de constants haut-le-cœur, poussé par les gémissements qui s’affaiblissaient de seconde en seconde, Kanjiro approcha ses doigts de la gorge du paysan. Mais la main de Takeo agrippa son poignet, l’empêchant d’abréger les souffrances. Au regard suppliant, il répondit par ses yeux implacables de prédateur.
-Tu n’as pas fini.
Le jeune homme se débattit faiblement, détournant le regard vers le sol.
-Lâchez-moi. Je…je ne peux pas faire ça.
Takeo serra un peu plus son poignet et durcit encore le ton.
-Tu dois le faire.
Ces mots furent comme un coup de fouet. Kanjiro se dégagea sèchement de l’étreinte de son maître.
-Allez vous faire foutre ! cracha-t-il. Je ne suis qu’un genin de treize ans, pas une machine ! Vous ne pouvez pas mêler un enfant…
-Tu n’es pas un enfant, Kanjiro, tu es un ninja : pour gagner une guerre et défendre son pays, il ne suffit pas de gagner des batailles. Même pendant l’ère féodale, il y avait un sale boulot, et il y avait des gens pour le faire.
-Je ne veux pas de ça !
-Alors il fallait rester bien au chaud chez tes aristocrates de parents.
A cet instant, Takeo représentait tout ce que Kanjiro détestait dans sa vie : il voulait le frapper, le tuer pour être aussi inhumain, mais il n’en fit rien. Parce que le Gîru était insensible, il était le plus fort. Le jeune homme tourna les talons et prit la porte.

Une fois sorti, il crut qu’il allait se défouler sur le mur, puis il entendit un hurlement déchirant traverser le béton. Il regarda ses mains et tomba à genoux sur le sol. Et il vomit jusqu’à vider son estomac, jusqu’à sentir son ventre endolori par les spasmes. Puis il vomit encore. Les hurlements résonnaient toujours. Il sentit une main se poser sur son épaule et trembla un peu moins. Il se releva faiblement et regarda Honshû droit dans les yeux. Le jeune Nara serra doucement la main et hocha lentement la tête. Kanjiro se laissa tomber à terre et s’adossa contre le mur, épuisé.
-Je crois que je le hais, Honshû.
-Je sais.
Il se replia sur lui-même et boucha ses oreilles pour ne pas penser aux sons qui sortaient de l’horrible petite pièce d’à côté. Les sensations de ces dernières minutes semblaient s’accrocher à sa mémoire comme une souillure indélébile. C’était un instant qui le hanterait pour le restant de ses jours.

Dominant soudainement les cris de souffrance, la voix de Yukito s’éleva. Ses accents de jeunesse étaient dénaturés par un timbre sinistre et soigneusement travaillé.
Genjutsu Kurushimi (Souffrance)
Et le cri reprit, atteignant rapidement son apogée. Mais il prit un très long temps à mourir. A l’extérieur du bâtiment les passants frissonnèrent et passèrent leur chemin alors que le son venait s’échouer avec fureur jusque sur la poussière de la rue. Et Kanjiro serra ses mains contre ses oreilles jusqu’à écraser ses tempes, jusqu’à ce que le bruit de son cœur le rende sourd au reste du monde.

La porte s’ouvrit doucement et Yukito franchit le seuil. Il n’y avait rien d’autre sur son visage que la satisfaction du travail bien fait. Un nouveau haut-le-cœur retint Kanjiro d’aller déchaîner sa haine sur lui. Le genin de Kiri n’accorda pas à un regard à ses camarades et marcha d’un pas vif vers la pièce voisine. Il entra et claqua la porte. Le jeune Hyûga mit à contribution ses jambes encore tremblotantes pour l’amener jusqu’à la porte. Mais au moment où il voulut ouvrir la porte et dire à Yukito sa façon de penser à grand coups d’index et de majeur dans les parties, il entendit un son qui l’arrêta net. Puis il ouvrit tout de même la porte. Au fond de la petite pièce obscure, son camarade détesté était occupé à vomir sa culpabilité et son dégoût pour lui-même, aussi stoïquement que possible. Ses yeux d’un bleu glacial se levèrent et fixèrent les deux gouffres immaculés du Byakugan d’un air de défi. Kanjiro n’était pas sûr de comprendre ce qui se passait dans la tête de Yukito, mais il ne dit rien. Aucun des deux ne parla. Le genin de Kiri se leva calmement, s’essuya méthodiquement la bouche puis passa le seuil, mettant lentement son torse de profil afin de ne pas bousculer Kanjiro, qui fit de même.

Une fois dehors, ils virent que Takeo sortait de la salle de torture avec insouciance. Autant pour respecter sa nature profonde que pour changer de sujet, Honshû posa pragmatiquement la question :
-L’un d’eux a parlé ?
-Tu n’as pas remarqué, Honshû ? Ils ont passé leur temps à parler, dit le Gîru alors qu’il s’étirait en souriant. Mais pour répondre à ta question, non, ils n’ont rien dit d’intéressant. Mais ça ne me surprend pas.
-Et pourquoi ça ? fit Kanjiro sans dissimuler sa rancœur.
-Parce que je savais qu’aucun d’eux n’était mêlé à la révolte.
-Quoi ? s’exclamèrent les trois genin en même temps.
Takeo haussa les sourcils, feignant l’incompréhension. On dut entendre les dents de Kanjiro grincer jusque dans les rizières.
-Quoi, vous ne croyiez tout de même pas que j’allais confier une source précieuse d’informations à trois novices ?
-Vous nous avez fait torturer des innocents, sensei, articula Kanjiro.
Dans sa voix naissait un tremblement incontrôlable.
-Oui. Et alors ?
-Vous nous avez fait torturer des innocents, sensei.
-C’est exact, Kanjiro-kun. Et crois-moi, je ne serais pas le dernier.
Le masque des convenances avaient été pulvérisé il y a déjà plusieurs dizaines de minutes. Sans crier gare, le genin se jeta sur son maître et lui décocha un coup de poing en pleine mâchoire. Takeo réagit à peine, se contentant de fixer d'un air indifférent son élève ; ce dernier, sans prêter attention à ses phalanges endolories, laissa sa mâchoire trembler de colère et de chagrin. Des larmes de rage coulèrent sur ses joues. Puis, progressivement, il se fit violence et se
calma ; il lui fallait quelque chose à quoi il pouvait s'accrocher. Quelque chose qui serait aussi fort que la froideur de son maître. Quelque chose qui ne ferait pas de lui un enfant démuni face à la cruauté des adultes.
-Vous m’avez fait torturer des innocents, Gîru…cracha Kanjiro. Les Hyûga ne torturent pas les innocents…
Il tourna les talons et sortit de la cour à pas mesurés. Takeo regarda tour à tour ses deux autres disciples et leur dit tranquillement.
-Je vais disposer des cadavres. Vous avez le reste de la journée pour disposer de vos scrupules.

Dans la rue, Kanjiro s’efforçait de garder la tête froide et de réfléchir à ce qui venait de se passer. Il se souvint de Takeo-sensei, parlant des ninja comme des êtres craints et rejetés alors que la team s’approchait de la ville, et de son clan à peau d’homme et à cœur de bête. Il se rappela la cruauté inflexible du Gîru, et la tendresse désarmante dont il avait fait preuve envers sa femme. Dans son esprit, des images et des notions contradictoires entraient en collision avec les souvenirs frénétiques de la torture : la falaise des Hokage et l’insensibilité des Hyûga étaient teintées du sang qui souillait les mains de l’héritier de la Sôke.

Il ne parvient pas à comprendre le monde dans lequel il vient d’entrer brutalement. Alors il marche inexorablement, bousculant les passants qui ne s’écartent pas. Il veut oublier, ne plus jamais regarder en direction de la petite pièce abjecte, en direction de l’est, l’est sanglant : ne pas y penser, ne plus penser…Alors il serre les poings et les mâchoires, jusqu’à ce que la douleur sourde dans son esprit, en écrasant tout le reste. Il veut étouffer les gémissements qui résonnent encore dans son esprit, traquer les souvenirs du sang sur ses mains et les étrangler sans pitié, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Alors il marche et ferme implacablement les yeux, il n’écoute plus la rumeur de la rue, tant et si bien qu’il devient vulnérable.

Ce fut d’abord un passant plus massif ou plus fort que les autres : lorsque Kanjiro entra en collision avec lui, le choc, plus violent qu’auparavant, le déséquilibra et le fit tituber vers une ruelle toute proche. Puis tout s’enchaîna à une vitesse folle qui ramena bien vite le genin à la réalité : avant même qu’il puisse voir le visage de son vis-à-vis une poigne de fer agrippa son col et le tira violemment en arrière, dans les ténèbres poisseuses. Il fut plaqué contre le mur et sentit une main serrer sa gorge avec une précision qui n’appartenait pas au monde des paysans. Puis une voix juvénile et coupante chuchota d’un ton cruel :
-Alors…qu’est-ce que Konoha peut bien vouloir à la belle ville de Tempô ?
L’ombre cachait le visage de son interlocuteur ; Kanjiro n’eut pas besoin de feindre la frayeur. En une seconde, le danger aidant, il remit en place son masque et redevint l’artiste frêle et lâche qu’il était sensé être. Sa voix, qui il y a quelques minutes était profonde et vibrante de rage, devint aigue et tremblante.
-Que…qui êtes-vous ?
Il devait identifier ses agresseurs, mais il ne pouvait pas avoir recours au Byakugan, sous peine de révéler sa véritable identité. Focalisant sa volonté, il se contenta d’affûter ses sens. Il vit des habits du peuple, salis et déchirés, qui camouflait une musculature exercée, et un visage barbouillé de saleté, mais dont les yeux froids et perçants ne laissaient planer aucun doute. A travers la boue et la poussière il vit une expression de fausse déception se dessiner.
-Non ? Tu ne vois vraiment pas ?
Tandis que la main droite accentuait la pression, l’autre ouvrit ce qui était autrefois une veste. Au tissu crasseux et couverts de trous était accroché un bandeau de shinobi, figurant quatre points. Yukigakure no Sato. Progressivement, le cœur de Kanjiro s’accéléra jusqu’à atteindre un rythme parfait ; parfait pour simuler la peur et pour mouvoir un corps en plein combat.
-Qu’est-ce que vous me voulez ? J-je ne vois pas de quoi vous parlez ! dit-il, s’efforçant de paraître paniqué.
Le genin adverse parut vraiment surpris cette fois-ci. Une infime variation d’agressivité avait percé dans le ton du jeune Hyûga, qui jura intérieurement. Après quelques secondes de tension, la lueur cruelle revint dans les yeux qu’il fixait.
-Oh, eh bien dans ce cas je suppose que tu ne nous es d’aucune utilité…
Il y eut un très léger tintement tandis que le genin de Yuki portait la main à sa ceinture. Et Kanjiro vit l’imperceptible spasme des yeux de son ennemi, ce mouvement délicat qui annonçait un coup. Il était grand temps que ses yeux vibrent aussi.

La pulsion meurtrière du chakra de Kanjiro fit reculer son adversaire. Agrippant fermement le poignet qui enserrait sa gorge, il lui fit prendre un angle contre-nature. Retenant un gémissement de douleur, le genin de Kiri se dégagea d’un attaque au kunaï. Kanjiro riposta d’un coup de genou, sans réussir à enfoncer la barrière des abdominaux. La poussée d’adrénaline lui avait dégagé la tête : il vit distinctement ses trois ennemis tenter de l’encercler. Sans hésiter, il franchit le mur d’adversaires d’un saut périlleux. Après avoir atterri, il se retourna et prit une grande inspiration. Ses ennemis étaient loin d’être mauvais, mais il n’était pas inquiet : comme auparavant, lors de son combat contre Yukito, l’adrénaline lui faisait oublier ses doutes et ses soucis. Il s’était brutalement débattu pour éviter d’être encerclé, mais à présent qu’il maîtrisait le terrain, il se plaça calmement en garde gôken et, d’un geste, il invita ses adversaires à venir prendre la raclée de leur journée.

Tous en même temps, ils jetèrent un coup d’œil en direction de la rue, avant de passer à l’action. Tandis que le premier chargeait le jeune Hyûga, ses camarades lancèrent quelques shuriken, que Kanjiro esquiva sans trop de difficultés. Mais son adversaire arriva au contact très rapidement. Trop rapidement pour se remettre en garde. Il lui fallut rester sourd aux protestations de ses muscles qui durent encaisser une série de coups terriblement précis ; la douleur ne fit qu’alimenter sa colère. Puis le point de rupture arriva, quand son adversaire acheva son enchaînement. Kanjiro ne manqua pas l’ouverture et enveloppa le bras de son adversaire dans une clé qui lui arracha un gémissement. Plaçant sa main droite sur le crâne du genin de Yuki, il encastra sa tête dans le mur tout en gratifiant les deux autres d’un regard meurtrier. C’était étrange à dire, mais il avait besoin de violence : après avoir torturé des paysans sans défense contre son propre gré, il avait besoin de se mesurer à ses pairs. Il leur fit de nouveau signe d’approcher.

Le premier hésita. Le deuxième répondit à la provocation et lança un kunaï qui entailla légèrement le bras de Kanjiro. La blessure dévia son attention et permit à l’ennemi d’arriver au contact. Forcés qu’ils étaient de ne pas attirer l’attention, les deux genins s’engagèrent dans ce qui ressemblait plus à un combat de rue qu’à une bataille entre shinobi. Après un échange douloureux de coups bas, l’adversaire de Kanjiro, bien plus massif, enserra le jeune Hyûga et commença à écraser ses flancs. L’héritier de la Sôke faillit céder à la panique : il n’avait aucune chance en combat rapproché. Au milieu des cris d’alarme de ses côtes et autres poumons, il crut entendre la voix de Keitaro. Avec un sourire, il murmura : « 106 » et sa paume heurta délicatement le ventre de son ennemi, qui recula immédiatement, le souffle coupé.

Tout essoufflé qu’il était, Kanjiro n’en oubliait pas le troisième. Se baissant rapidement, il tenta de faucher son adversaire d’un coup de pied bas. Puis une jambe terriblement puissante et précise intercepta son coup et plaqua sa jambe au sol, écrasant sa cheville. Il n’eut même pas le temps d’être surpris : déjà la pression du coup déchirait ses ligaments et déboîtait son tibia. Kanjiro gémit, puis hurla. Il tourna la tête : ses yeux brouillé par les larmes et la douleur lui montrèrent une femme dont les haillons ne parvenaient pas à cacher la beauté, au visage austère et aux yeux presque compatissants. Avec un air détaché, elle leva le pied et le projeta entre les omoplates du genin, qui fut projeté violemment contre le mur. La souffrance et la rage lui firent oublier tout sens de la tactique : il voulut se retourner et la frapper, mais elle intercepta nonchalamment le coup et fit lentement tourner son poignet d’une main experte, tandis que son index se plaçait contre la jointure. Kanjiro sentit son nerf plaqué puis frotté contre l’os avec une précision horrible : la douleur le paralysa instantanément. Mais elle n’en resta pas là et fit tourner le poignet du genin, lentement, très lentement, afin qu’il sente bien chaque centimètre envoyer les messages stridents de souffrance le long de ses nerfs.
-Je te félicite : même à trois contre un, tu avais toutes tes chances, fit une voix étonnamment douce. Ton taijutsu est indéniablement supérieur à celui de mes élèves…
Il la sentit contracter légèrement les muscles de sa main et la souffrance commença à lui arracher des gémissements. Pourquoi la voix était-elle douce alors que la douleur dans son bras était si cruelle ?
-Mais c’est terminé. Et à présent dis-moi : où est le repaire de tes camarades ?
Il ne parvint pas à parler, mais essaya stupidement de se dégager. Sa tentative d’escapade faillit lui briser complètement le poignet. Il hurla un peu plus.
-C’est inutile. Résister ne t’apportera que de la souffrance.
La voix était lasse et pleine de compassion. Il sanglota. Des larmes de douleur et de rage coulèrent sur ses joues déjà pleines de sueur. Sa respiration saccadée ne laissait qu’un peu de vapeur dans une ruelle poisseuse. Une fois de plus, il était au pied d’un mur infranchissable, face à une force implacable.
-Tu choisis de souffrir ?
Elle soupira.
-Soit.
Elle eut un geste sec et simple. Avec une clarté horrible, il sentit son poignet tourner lentement, très lentement, jusqu’à ce qu’il se déboîte. Il n’avait même plus assez de souffle pour hurler. Seul un gémissement rauque et étouffé sorti de sa mâchoire crispée par la souffrance.
-Sshh…fit la voix douce. Kanjiro sentit la douceur des doigts qui tordaient son poignet.
Le sifflement suraigu du nerf malmené emplit son esprit et effaça tout sur son passage. La douleur engloutit ses sens et il s’évanouit, le visage dans la boue gelée.

Tout ça n’aurait pu être qu’un cauchemar. Mais lorsque Kanjiro se réveilla et se mit à espérer qu’il avait rêvé, il rencontra un problème : depuis quand rêvait-il ? Ce cauchemar était-il long de quelques heures, d’une semaine ou de 4 longues années ? En y repensant, avec la mort de son père, sa vie avait cessé d’être normale et rassurante. La douleur était toujours là, lancinante dans son poignet et sa cheville gauche ; mais, curieusement, il avait presque l’impression d’aller mieux : quelqu’un s’était occupé de ses blessures. Il voulut bouger pour vérifier l’état de ses ligaments, mais quelque chose paralysait son corps tout entier. Du chakra. Des sceaux pour être précis, inscrits sur des parchemins qui le maintenaient pieds et poings. Il était allongé sur une table de bois crasseuse, et il put sentir l’odeur du sang séché dans l’air. C’était bien un cauchemar. Il regarda autour de lui, s’attendant à voir le pauvre paysan qu’il avait torturé, prêt à prendre sa revanche en le torturant à son tour. Mais il n’y avait qu’un jeune garçon en habits d’hiver, aux cheveux gris et au front arborant le bandeau de Yuki. Son visage était l’un des plus innocents que Kanjiro ait jamais vu, mais ses yeux étaient plus froids et tranchants qu’une bourrasque d’hiver : au fond d’eux dansait une lueur glaciale, cruelle et gourmande qui donna une légion de frissons au jeune Hyûga.
-Il est réveillé, sensei, fit-il d’un ton amusé.
Il n’y avait qu’une chose totalement déraisonnable à faire, et Kanjiro ne s’en priva pas. Se débattant de toutes ses forces, il put constater la solidité de ses liens mystiques et le caractère récent de ses blessures. Une main à la peau glaciale se posa doucement sur sa poitrine nue et arrêta net ses mouvements.
-Je me suis donné beaucoup de peine pour te soigner, alors ne gâche pas mes efforts, fit le jeune garçon en retirant doucement sa main.
-Pourquoi ? demanda Kanjiro, toujours paniqué.
Le genin de Yuki déploya un rouleau de cuir, révélant un contenu tout en lames, pointes et courbes sinistres.
-Disons simplement…que j’aime avoir des sujets de travail…intacts, souffla-t-il, détachant chaque mot avec une douceur et une délectation écœurantes.
Le jeune Hyûga voulut hurler, pleurer, supplier : « Réveillez-moi ». Mais son incrédulité ne s’exprima que par une simple question.
-Tu es un expert en torture ?
Avec un sourire de fausse modestie, le genin répondit de manière détournée.
-Et je ne suis qu’un genin de treize ans…
-Et merde…laissa échapper Kanjiro, comme pour donner l’impression qu’il n’était que gêné.

La jônin qui était en charge de la team de Yuki arriva enfin. D’une beauté athlétique et d’une taille impressionnante (elle devait arriver à l’épaule de Takeo-sensei, ce qui n’était pas un mince exploit), cette femme aux longs cheveux noirs arborait une mine austère, à la limite de la froideur, mais ses yeux affichaient ouvertement une lueur lasse et compatissante. Kanjiro ne parvint pas à savoir si elle était sincère ou s’il ne s’agissait que d’un stratagème pour l’amener à parler.
-Bien, fit-elle. Maintenant que tu es calmé, nous allons pouvoir discuter.
-Faudra me tuer d’abord, cracha Kanjiro, avec une détermination feinte.
-Oh, détrompe-toi, je ne te tuerai pas avant un très long moment, et tu parleras bien avant que je te tue, souffla le genin de la même voix mielleuse et insupportable.
-Tais-toi, Kushi, le coupa son sensei, avant d’adresser de nouveau la parole à Kanjiro. Tu n’as aucune chance de t’échapper : tu es blessé, tu as trois genin du même niveau que toi pour t’en empêcher, et je peux te tuer d’un geste.
-Vous pourriez peut-être arrêter de me sortir des évidences, objecta Kanjiro, l’air aussi détaché que possible.
-Dis-moi où se trouve la planque de ta team, et tu ne sentiras même pas le kunaï trancher ta gorge. Sinon, je te laisse à Kushi ; et tu verras qu’il peut discuter très longtemps.
Le jeune Hyûga s’était repris : passée la frayeur du réveil, il avait retrouvé tout son talent pour mentir.
-Je ne vous dirai rien, asséna-il fermement.
La jônin s’appuya sur la table et se pencha vers lui.
-Nous finirons par le savoir de toute façon : si tu ne parles pas maintenant, la torture te fera parler. Et même si ce n’est pas le cas, le genjutsu te fera parler. Et même si tu ne parles pas du tout, il y a des centaines d’autres manières de savoir : déposer ton cadavre quelque part et surveiller ceux qui s’y intéressent, passer la ville au peigne fin…Le temps est de notre côté. Retourne le problème comme tu veux, de toute façon résister ne t’apportera strictement rien de bon.
Ce n’était pas une menace, ni même une affirmation sévère : elle ne faisait que le prévenir, comme si elle s’inquiétait de sa santé.
-Alors pourquoi vouloir me torturer si vous avez tellement de moyens à votre disposition ? demanda Kanjiro.
Il essayait désespérément de se convaincre, derrière son masque impassible, qu’il ne s’agissait que d’une conversation, et qu’un tortionnaire professionnel n’était pas en train d’inspecter ses instruments juste à côté. A chaque fois qu’il tâtait le fil d’une lame, le jeune Hyûga avait l’impression d’entendre mille craies sur un tableau noir.
-Je ne veux pas que Kushi te torture : je veux que tu parles. Mais je veux aussi que mon élève ait droit à un peu d’exercice. Il ne tient qu’à toi de l’en priver.
Elle semblait prête à tout pour ne pas le livrer entre les mains du genin aux yeux cruels. Pourquoi ? Pourquoi tant de douceur alors qu’à la fin, tous devaient tuer leur cœur ? Kanjiro déglutit avec difficulté et soupira. Et dire qu’il était sorti de l’académie il y a à peine un mois…
-Je suppose que tu ne veux pas trahir tes compagnons…Mais dis-moi, est-ce que tu vois tellement de différence entre Konoha et Yuki ? Il arriverait la même chose à Kushi si c’était vous qui l’aviez capturé.
Il se remémora les yeux bestiaux de Takeo-sensei, la sauvagerie qui coulait dans ses veines. Il se rappela les suppliques des paysans que personne n’avait entendues.
-Tu as vraiment envie d’endurer tout ça pour Konoha ? Ton village peut bien se vanter d’être au-dessus de nous, finalement il ne vaut pas plus.
Sa dispute avec Honshû, tous les doutes qu’ils avaient connu lors de ces dernières semaines, le kunaï qu’il avait voulu enfoncer dans le ventre de Yukito, les menaces de Takeo-sensei, tout lui revenait en mémoire. Il ne voulait pas de ça. Il ne pouvait pas être comme cet enfant de 12 ans qu’il voyait prêt à lui faire subir atrocités sur atrocités. Mais il ne pouvait pas trahir.
-C’est ta dernière chance, conclut-elle.
Bon sang, elle était vraiment douée : n’importe qui de raisonnablement intelligent aurait accepté de parler. Mais Kanjiro savait très bien comment être stupide.
-Eh bien je suppose que je viens de la louper.
Etrangement, elle ne cessa pas d’être compatissante. Peut-être était-elle sincère après tout. Non pas que ça ait tellement d’importance : à cet instant précis, Kanjiro se demandait quelle procédure exacte il fallait suivre pour « se préparer à mourir ». Elle se tourna vers son disciple et dit d’une voix lasse :
-Commence par les yeux.

Agitant espièglement les doigts, Kushi parcourut du regard ses ustensiles, chantonnant presque jusqu’à ce qu’il trouve l’outil parfait. Kanjiro ne put en détacher les yeux : une tige de métal formant une sorte de spirale étroite et d’une finesse presque abjecte. Il essaya de se rendre à nouveau compte de l’étroitesse de la pièce, de l’odeur du sang séché ou des sons que pouvaient faire les autres genin dans la pièce voisine, mais peine perdue : il n’y avait plus que son tortionnaire, cet instrument de cauchemar et ses yeux.
-Ah, les yeux…parmi mes parties préférées de l’anatomie humaine, disserta Kushi. Ils sont véritablement parfaits : non seulement ils sont très sensibles, mais en plus leur ablation a de quoi provoquer une terreur sans nom.
Il se tourna vers sa victime et commença à la dévorer du regard, comme s’il allait soudain lui arracher les yeux pour s’en repaître. Il n’avait pas fait un seul geste que Kanjiro tremblait déjà.
-On dit que c’est notre regard qui nous dicte comment agir par rapport au monde : j’ose à peine imaginer ce que doit éprouver un aveugle. Et n’essaye pas de te dire que tu n’auras pas le temps d’explorer chaque aspect de ta cécité : comme tu l’as constaté, je ne gâche rien.
Au moment où Kushi souleva sa paupière droite, avec une délicatesse qui lui donnait la nausée, Kanjiro eut une pensée étrange : au milieu du chaos de la panique, il se dit très clairement qu’il était sur le point de livrer un Byakugan à l’ennemi, trahissant ainsi l’héritage de son clan. Il lui fallut déployer une volonté proprement inhumaine pour s’accrocher à cette pensée : c’était le seul moyen qu’il avait d’échapper à la peur viscérale qui l’assaillait de toutes parts.
-Qu’est-ce que…fit Kushi alors qu’il s’apprêtait à plonger l’outil dans l’orbite de Kanjiro, qui se rendit compte que le tortionnaire avait repéré ses lentilles. Il tenta une fois de plus de se débattre, mais les sceaux le maintinrent immobile et le genin de Yuki révéla lentement les yeux blancs du jeune Hyûga.
-Tiens, tiens…fit-il, l’air agréablement surpris. Sensei, vous devriez venir voir ça.
L’étonnement le disputait à la satisfaction sur le visage de la jônin.
-Un Hyûga ?
Elle s’approcha et, constatant qu’il ne portait pas le sceau de la Bunke, eut l’air encore plus surprise.
-Dis-moi, pourquoi diable la Sôke enverrait-elle un de ses membres dans une mission pareille ? Je croyais que la Bunke avait pour fonction de mourir pour les gens de ton rang.
La question frappa l’héritier de la Sôke par sa justesse. Le clan voulait prouver sa force au village, s’affirmer face aux Uchiha. Mais pourquoi l’héritier de la Sôke ? Pourquoi quelqu’un de si précieux alors que n’importe quel membre compétent de la Bunke aurait suffit ? Il n’eut malheureusement pas le temps d’y réfléchir : la kunoïchi, sans attendre la réponse, se tourna vers son disciple. Kanjiro se surprit à prier tous les saints du ciel qu’ils allaient le considérer comme trop important et laisser tomber la torture.
-Ne touche pas à ses yeux.
Mais bien sûr, seuls ses yeux importaient, seul le clan était important.
-Tant pis, soupira Kushi. Enfin, il reste tout de même matière à s’exercer…

Il déposa l’espèce de tire-bouchon et prit une lame d’acier toute simple.
-Bien, et maintenant, discutons un peu.
Il passa doucement le revers de la lame sur le visage de Kanjiro. Lorsque la pointe toucha sa pommette, une goutte de sang perla, et le jeu commença. Kanjiro s’efforça de maintenir un calme apparent : l’un comme l’autre savaient que le jeune Hyûga était terrifié, mais toute la question était de savoir à quel point il pourrait duper son tortionnaire. Et pendant combien de temps.
-Discuter ? Pourquoi ? demanda-t-il.
-Oh je ne sais pas, fit Kushi en haussant les épaules comme si de rien n’était. Pour t’aider à sauver les apparences…
-Ou plutôt parce que tu espères qu’au fil de la conversation, je finirais par lâcher une info ou deux sur mes camarades ?
-Ca aussi, avoua Kushi avec un petit sourire en coin.
-Tu peux laisser tomber, je ne dirai rien. Je te l’ai déjà dit.
-Et Tsudao-sensei t’a déjà dit que tu n’avais aucun intérêt à te taire.
Kanjiro lui jeta ce qu’il espérait être un regard intimidant.
-Ce n’est pas une question d’intérêt, ou même de vie et de mort. C’est une question d’honneur : je ne te dirai rien.
Cette fois-ci, Kushi rit franchement, puis traça une longue estafilade sur la joue de Kanjiro. Un peu plus de pression et il crevait la joue. Le jeune Hyûga commença à transpirer.
-L’honneur ? Pour qui tu te prends ? Ce n’est pas l’honneur qui te sauvera, mon pauvre. L’honneur n’a jamais sauvé personne.
Sa voix avait soudain pris des accents d’amertume. L’héritier de la Sôke gémit légèrement lorsque la lame perça sa peau et rentra dans sa bouche, avant de se retirer. Il soupira et se reprit, refoulant la peur.
-Tu as raison, discutons un peu, fit-il.
Il avait besoin de dominer son ennemi : même pieds et poings liés, même si c’était lui qui était supplicié, il restait un moyen, et on venait de le lui servir sur un plateau d’argent.
-Mon père était bel homme. Vraiment. Un noble, de surcroît, commença Kushi. C’était quelqu’un d’ambitieux, et qui en avait les moyens. Mais il n’a jamais vraiment pu les mettre à profit.
La lame traça un sillon carmin le long du cou de Kanjiro, évita soigneusement la jugulaire, puis caressa lentement son épaule. La respiration de genin de Konoha s’accéléra, trahissant son inquiétude, mais son regard restait fixé sur les yeux mélancoliques de Kushi.
-La famille Kazahana domine Yuki no Kuni depuis des années. Le daimyo actuel a dû, comme ses prédécesseurs, se mesurer à ses terres : notre pays est plongé dans un hiver éternel et les cols montagneux sont souvent totalement bloqués par la neige. Mais au lieu d’essayer de les dégager, le daimyo a préféré s’isoler dans sa demeure et tenter de réaliser un rêve : il voulait apporter le printemps à notre pays. Avec la technologie à sa disposition, il aurait pu faire de Yuki une grande puissance militaire ou commerciale, mais il a préféré courir après un rêve.
Au bord des veines du bras de Kanjiro, le trait rouge se prolongeait.
-Quel idiot, dit Kushi d’une voix absente lorsque la lame atteignit l’avant-bras. Alors mon père a décidé de rejoindre la rébellion.
Le genin n’attendit même pas que Kanjiro lui pose la question. Il retourna sa main pour exposer les veines du poignet.
-Kazahana Dôtô, le frère du daimyo, préparait un coup d’Etat pour prendre le contrôle du pays et le sortir de son isolement. Mon père y avait vu sa chance : il s’y est consacré jusqu’à la fin. Et la fin est vite arrivée.
La mince bande d’acier argenté s’approcha des veines. Kanjiro se rendit brusquement compte du froid. Cette histoire était terriblement similaire à la sienne, et une fois encore il éprouva le besoin de prendre de la distance.
-Il s’est tellement impliqué dans les intrigues de cour qu’il a fini par être découvert. Le daimyo l’a vite fait assassiner. Ma mère l’a suivi peu après.
Il arrêta son geste alors que la lame allait pénétrer la chair. Ses épaules étaient secouées par un rire silencieux.
-Mais elle est morte de sa propre main : son mari mort et considéré comme un traître, elle ne voyait pas de raison de continuer à vivre. Elle s’est suicidée sans hésiter…
Son air pensif s’accentua alors que les yeux de Kanjiro luisaient d’une panique à peine contenue : quelques centimètres de plus, et il commencerait à se vider de son sang.
-Pour l’honneur, cracha Kushi.
De l’autre extrémité du bistouri, il donna soudain un coup sec dans les côtes de Kanjiro, qui serra les dents. Il laissa échapper un gémissement sonore. La frappe avait été précise et brutale : la côté était cassée. Il respira lourdement.
-A toi de parler à présent.

Le jeune Hyûga devait parler, il devait trouver ce qui le séparait de Kushi. Il prenait le risque de livrer ses pensées et ses faiblesses à son tortionnaire, mais il avait envie d’oublier sa peur. Dans sa mémoire, les sept préceptes du bushido revenaient vaguement, comme autant de marches pour s’échapper du monde des ombres, de la cruauté et du déshonneur.
-Mon père était un membre de la Sôke. Un membre important. Mais il n’a jamais agi comme son père l’aurait voulu ; les Hyûga ont juré allégeance à Konoha, mais aucun des membres de la Sôke n’est un shinobi : ce sont les membres de la Bunke qui risquent leur vie.
Kushi resta silencieux et revint au front de Kanjiro. Il commença à y composer un dessin d’entailles. L’héritier de la Sôke connaissait bien le motif qu’il traçait, et ne se débattit pas.
-Mais mon père est tout de même devenu ninja, à la fois pour défier le clan, pour servir son village et pour tenter de moderniser les Hyûga. Nous sommes un clan ancien, bien plus ancien que Konoha, et nous tenons à nos traditions.
Des larmes de douleur commencèrent à perler à ses yeux.
-Mon père voulait peut-être changer tout ça. Il ne m’en a jamais parlé. Mais je crois qu’il n’a jamais réussi, pour deux raisons : un, les Hyûga ne changent pas, et deux, il est mort en pleine mission.
Kushi recula et admira son œuvre. Il y avait tant de sang que c’en était difficile de distinguer le motif, mais il s’agissait bel et bien de l’oiseau en cage. Kanjiro pouvait le sentir. Mais il ne savait pas si c’était bien ou mal. Pourquoi ? Pourquoi tant d’honneur et de fierté, si c’était pour préserver ses privilèges en faisant souffrir ses frères ?
-Pourquoi ? demanda Kanjiro, après avoir ravalé ses larmes. Pourquoi la torture ?
Il voulait confronter l’ennemi à sa propre faiblesse, et connaître ses forces. Le détourner de sa tâche. Percer les mensonges et voir la vérité. Savoir pourquoi.
-Je ne sais pas vraiment…répondit vaguement Kushi. Après la mort de ma mère, Dôtô-sama a confié mon éducation au village ninja, son allié. Ca n’a pas été facile de changer de monde…
Appliquant délicatement la lame à une autre des côtes de Kanjiro, il sépara la peau de l’os. Le jeune Hyûga sourit faiblement. Il commençait à comprendre.
-C’est peut-être parce que j’aime entendre les langues se délier et les gens raconter leur histoire…Peut-être parce que j’ai envie d’être brutal avec mes scrupules…
Le bistouri gratta lentement l’os, arrachant la peau à mesure qu’il remontait vers le sternum. Finalement, Takeo-sensei avait raison : le monde avait besoin de gens comme les shinobis, d’ombres pour endosser tout ce qui n’avait pas sa place à la lumière. Mais à la fin, les shinobis n’étaient pas assez forts pour ce rôle : ils devaient tous se mentir à eux-mêmes, et garder un petit lambeau d’humanité, un petit éclat de leur cœur. Que ce soit des souvenirs, de l’honneur, de la clémence, de la gloire, des rêves…Tous devaient se bercer d’illusions, faute de pouvoir faire face à leur propre monstruosité. Mais les yeux de Kanjiro ne pouvaient être trompés : il ne voulait pas mentir, il ne voulait pas s’arrêter aux mensonges. Il ne voulait pas de ça. Le clan était honorable autrefois ; il avait décliné aujourd’hui, mais Kanjiro croyait encore en lui. Il avait besoin de sa force. Il avait besoin d’être au-dessus des ombres.
-Ou peut-être parce que tu as peur de te battre, cracha le jeune Hyûga.
La lame s’enfonça brusquement dans le ventre, perçant la peau et les muscles.

La surprise s’ajouta à la douleur et Kanjiro hurla de toutes ses forces. Il avait perdu. D’ici quelques centimètres, la lame percerait ses entrailles et mettrait fin à son existence, à des milliers de choses passées, présentes et à venir, à des sentiments auxquels il ne comprenait encore rien, à des dizaines d’années de vie. Il ne pouvait pas mourir. Pas maintenant qu’il entrapercevait l’avenir.
-Arrête…arrête, supplia-t-il.
-Bien…voilà une discussion plus à mon goût. Tu as peut-être quelque chose à me dire ?
Il fit remonter la lame qui se fraya un chemin à travers les abdominaux, jusqu’à crever la surface en répandant un sang chaud et noir sur le ventre de Kanjiro. Il n’avait plus le temps d’avoir peur ; il avait besoin de son sang. Son Byakugan s’activa de lui-même, peut-être à cause de la douleur ou de la panique.
-Tu sembles très attaché à ton passé et au rêve de ton père, souffla Kushi, son rictus tout près du visage de Kanjiro. J’ai une mauvaise nouvelle pour toi : dans ce métier, les vies s’achèvent minute après minute, et les rêves avec elles.
L’héritier de la Sôke dirigea son regard vers ses poignets. La douleur garda ses yeux ouverts, et il détailla en un instant le complexe réseau de chakra qui tissait ses liens. Il commença à façonner son propre chakra et à rassembler ce qui lui restait de force de volonté.
-Tu m’en as déjà dit suffisamment, tu sais, et tu ne pourras pas t’échapper, fit le tortionnaire en voyant Kanjiro tenter de se libérer. Mais crois-moi sur parole, chaque instant passé en ma compagnie te rappellera à quel point ton rêve est compromis.
Kushi posa simplement le doigt sur la côte cassée, et la douleur, plus aigue qu’une lame de couteau, menaça de plonger Kanjiro dans l’évanouissement. Mais la pression était si horriblement précise et experte qu’il se retrouvait cloué au point de rupture. La souffrance perçante jetait la confusion dans ses pensées. Il n’y avait plus dans son esprit que l’image de sa mort, et celle d’un visage : la seule image assez forte pour rester dans un moment pareil. Il céda à ses émotions et laissa un échapper un nom.
-Setsuko…
Kushi releva le doigt et tira Kanjiro de son agonie. Son expression intriguée se changea lentement en sourire cruel, tandis que la lueur d’avidité se rallumait au fond de ses yeux froids.
-Une fille qui t’attend au village peut-être ? Ne t’en fais pas…
Le jeune Hyûga rouvrit les yeux.
-D’ici quelques mois, ton village aura été conquis. Et je m’assurerai alors qu’elle te rejoigne…en prenant mon temps.
Il avait besoin de force. De fierté et de superbe. Il devait être plus fort que son ennemi, par n’importe quel moyen.
-Regarde dans mes yeux, Kushi…
Le genin de Yuki eut un temps d’hésitation.
-Regarde-moi !
Les deux genin eurent un sourire méprisant.
-Pourquoi ?
-Parce que je veux que tu voies à quel point je suis sérieux…quand je dis que je vais briser chacun de tes os pour ce que tu m’as fait, souffla Kanjiro, détachant les mots comme si chaque syllabe était un membre qu’il mutilait.
-Pour l’honneur ? se moqua Kushi.
Colère, douleur, haine, peur : cela n’avait plus d’importance. Tout ce qu’il restait, c’était une fierté criant vengeance. Investissant le chakra de Kanjiro, elle brisa le sceau qui retenait sa main gauche.
-Je suis Hyûga Kanjiro, héritier de la Sôke…
La lueur de cruauté dans les yeux de Kushi fut balayée par une vague de panique, et Kanjiro jubila. Il resta sourd aux protestations de son poignet meurtri et ses doigts enserrèrent la gorge du tortionnaire.
-Et toi, tu n’es RIEN !!
Le chakra destructeur du jyûken inonda le keirakukei du genin de Yuki, qui se mit à suffoquer. Il allait mourir. Il fallait qu’il meure. Qu’il paye.

Un coup d’une force surhumaine fit sauter la porte de la pièce voisine. La lourde plaque de bois vola dans les airs, suivant une trajectoire parfaite, et heurta du coin le crâne de Kanjiro avant d’aller s’écraser contre le mur. Le corps agité de spasmes de Kushi tomba à terre. Le choc ne put forcer le jeune Hyûga à s’évanouir. La silhouette gracile de Tsudao apparut dans l’encadrement de la porte, abaissant lentement la jambe. Voyant son élève à terre, elle porta la main à sa hanche et dégaina un kunaï. Kanjiro sourit en la regardant se précipiter vers lui. Dans la lame polie de l’arme, il ne voyait que le reflet de son visage, plein de satisfaction. C’était une belle mort.

***

Kof, kof...après un mois (j'exagère outrageusement, bien sûr) à attendre les relectures et autres corrections des uns et des autres, voilà ce chapitre tant/légèrement/pas du tout attendu (rayer les mentions inutiles). Bien sûr le thème principal est celui du travail d'un shinobi, mais en temps de guerre, avec un sensei-bombe à retardement, un coéquipier à sang froid, une propension aux états d'âme, dans la neige et en écoutant Francis Lalanne (non, je ne vous dirais pas où j'ai mis ma référence sublittéraire à Francis Lalanne). Et ce baptême du feu ne sera pas sans conséquences...

Commentaires grandement appréciés, bien sûr.
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