J'ai bien lu vos critiques (la mienne sera désordonnée), elles me paraissent pour certains points, incroyablement justes. J'ai encore du mal à parler de ce film, il y a tant à dire dessus. Pas de bol pour moi, je n'ai aucun talent pour parler des choses que j'ai aimées. J'ai rédigé un petit truc qui, au final, est toujours en construction car à chaque fois que je pense à ce film, j'ai d'autres mini-révélations.
Pour ma part, je suis sortie envoûtée par ce film, son histoire à lecture multiple, c'est un conte véritablement moderne qui n'hésite pas à pointer du doigt là où les rêves ont déserté. Complètement d'accord avec k1rua à propos de l'autre côté du miroir, les images doivent surtout foisonner à la hauteur de notre imagination, même si elles sont tordues, même si elles partent dans tous les sens au risque de prendre Gilliam pour un fou. Car ici tous les rêveurs sont considérés comme tel. Triste monde, parfois, de crier au LSD chaque fois que l'on aborde la fantasmagorie.
Attention, risque de spoil par moment :
Gilliam délivre une idée magnifique, les histoires permettent au monde de ne pas s'écrouler. Et puis je reste sous le charme de sa roulotte gigantesque imaginée avant même l'histoire, totalement hors d'époque cheminant au milieu des voitures, qui dévoile l'Imaginarium comme un pop-up, et abritant des pièces habitables en son sein, son imbrication me faisait penser à une boîte orientale avec ces ouvertues cachées. Formidable contraste avec les boîtes de nuit qui présentent, sous d'autres formes, une illusion elles aussi. L'intérieur de l'Imaginarium est si mystérieux, si démesuré. Conduit par un si petit homme, Percy (le meilleur rôle de Verne Troyer), le compagnon fidèle et loyal, plus "sensé", cynique, que Parnassus. Gilliam a affirmé qu'il était son Jiminy Cricket.
Là-dedans, perdus et errant dans une époque qui n'est pas la leur, des saltimbanques, une petite troupe dans laquelle règne un triangle amoureux comme dans une Commedia dell arte, vêtus de costumes sublimes, déguisements résultant d'une superposition, mélange de styles parmi lesquels j' ai remarqué un kimono brodé de motifs de "tête de tengu" porté par Parnassus. Preuve une fois de plus que l'inspiration n'avait aucune limite, reflet du Docteur Parnassus qui, immortel, a traversé tous les âges.
Ce film est riche de symboles (tarot, bracelet à breloque, mythologie), de référence (Faust, jouet Pollock's, Monty Python entre autres), d'images, de mystère surtout. A l'heure qu'il est, je m'interroge encore sur l'Imaginarium, sur Parnassus dont le salut de l'âme qu'il prône, s'apparente au bouddhisme. L'idée est là, le premier qui s'est aventuré de l'autre côté, avait le choix entre escalader la montagne ou entrer dans le pub accueillant. Choisir la montagne l'aurait amené à abandonner le monde réel, matériel ? Tout est une question de choix, thème central du film. Le choix de Tony, le choix du Dr.Parnassus, et le choix de sa fille Valentina dont le visage est une oeuvre d'art, entre poupée de porcelaine et Sirène de Waterhouse ; elle si avide de liberté pour, au grand désespoir de son père, devenir femme. Le chiffre seize n'est pas anodin. J'ose croire que toutes les filles à cet âge là dansent le tango avec le Diable.
Johnny Depp et Colin Farrel incarnent le Tony rêvé de la femme avec laquelle ils sont. C'est finalement une idée excellente malgré le terrible imprévu, subtilement menée. On dit que les rêves de femmes sont habités par une figure masculine, que celle-ci prend plusieurs déguisements. Tony est ce que l'on peut considérer, un marchand d'âme. Celui qui nous guide entre ici et là-bas, jusqu'à ce que...
En revanche, le Tony de Jude Law m'a paru très fade, mais sa séquence a été heureusement compensée par la présence des Russes, l'arrivée des policiers dansant. En y repensant, c'était peut-être mieux ainsi, il est si obnubilé par son ascension sur l'échelle, son image dans les journaux, que le reste de ses expressions, en est gommé. Mr Nick est un personnage nécessaire, le Diable le plus charmant (dans le sens que je lui donne), le plus enfantin (d'accord avec kito), Tom Waits avait déjà la voix pour ce rôle. L'Enfer de Mr Nick est un cabaret enfumé dans lequel il convient de jouer son âme, de parier sur celle des autres. Et cette image
démontre qu'il n'y a pas de frontières. Cette relation est nécessaire.
Gilliam est un grand enfant. Il est profondément endormi, depuis le début. Ses films sont comme un rêve. Et il s'est réveillé par le biais de son Imaginarium parce qu'il veut nous prendre par la main. C'est sans oublier que les rêves et cauchemars, tout ça a un prix. La fin est un clin d'oeil, involontaire sur le coup, à George Méliès qui vendait des jouets après avoir arrêté de tourner. L'imaginaire se perpétue, preuve que notre monde ne s'écroule pas.
J'aurais encore d'autres choses à dire, je m'arrête là pour l'instant. Mon coup de coeur de l'année, sans aucun doute, et l'année n'est pas finie ! Il reste "Where the wild things are" de Jonze.