I Saw The Devil - Kim Jee-Woon
Publié : ven. 17 déc. 2010, 17:53
I Saw The Devil - Kim Jee-Woon
Informations sur le film :
- Réalisé par : Kim Jee-Woon
- Avec : Choi Min-Sik, Lee Byung-Hun, Jeon Gook-Hwan
- Genre : Thriller
- Durée du film : 2h24
- Origine : coréenne
- Sortie coréenne le : 10 août 2010
- Sortie française : 27 avril 2011 (à confirmer)
Le nouveau film du réalisateur de The Foul King, 2 Sœurs, A Bittersweet Life et plus recemment, The Good, The Bad, The Weird. Notons que le film a fait débat lors de sa sortie durant l'été, dans les salles coréennes. Jugé par la commission audiovisuelle sud-coréenne comme « portant gravement atteinte à la dignité humaine », le film de Kim Jee-Woon à nécessité quelques menues coupes afin de pouvoir être à l'affiche. Bien qu'apparemment légèrement allégé de son contenu, I Saw The Devil n'a pas échappé à une interdiction au moins de 18 ans.
Synopsis :
Gyeong-Chul est un dangereux psychopathe. Ses victimes sont toujours de sexe féminin. La police le traque depuis un long moment, mais faute de preuves, est incapable de l’attraper. Un soir, Joo-Yeon, la fille d’un chef de police à la retraite, tombe entre ses griffes. Son corps, démembré, est retrouvé en pleine campagne, dans l'eau d'une rivière. Fou de chagrin, son fiancé Soo-Hyeon, un agent secret, décide de traquer le meurtrier lui-même.
Critique : Dans le sillage du diable :
Kim Jee-Woon est-il de retour? Après The Good, The Bad, The Weird, (2008, présenté hors compétition au Festival de Cannes) neo-western cynique et référentiel aux allures d'exercice de style, le cinéaste coréen signe avec I Saw The Devil une sorte de champ du cygne du polar coréen – genre éculé depuis près d'une décennie au sein de la production cinématographique nationale – et à fortiori, du polar contemporain. À travers la lutte implacable et tortueuse entre deux individus socialement brisés, (un tueur psychopathe interprété de main de maitre par Choi Min-Sik et l'impeccable Lee Byung Hun en époux vengeur) Jee-Woon livre un film troublant et vertigineux.
Prolégomènes flirtant avec l'onirisme et paradoxalement, la barbarie la plus féroce, la mort de Joo-Yeon permet au cinéaste d'étayer par le biais de la mise en scène et la radicalité de la situation, le cheminement des protagonistes vers la cruauté la plus complète; un Eden de monstruosité. Se retrouve ici l'un des thèmes fondamentaux du cinéma de Kim Jee-Woon; celui de la porte étroite. Le royaume tant convoité de The Good, The Bad... était avant tout financier, alors que celui de A Bittersweet Life (2006, présenté en compétition au Festival de Cannes) s'inscrivait nettement plus dans la logique de I Saw The Devil. Sun-Woo cherchait à acquérir le bonheur; un bonheur dont l'inaccessibilité ne lui apparaissait qu'au moment même de sa mort sur un étroit sentier tâché de sang. Dans ce dernier long métrage, Soo-Hyeon (Lee Byung Hun) se jette corps et âme dans l'étroit sentier qu'arpente Jeong Gyeong-Chul (Choi Min-Sik) pour assouvir sa vengeance.
« It's just the beginning. Remember this. It's going to be more terrible. »
Le traitement des deux personnages principaux est tout aussi radical. Jee-Woon s'interroge sur la valeur de l'homme dans un monde abandonné au mal et à l'excès. Soo-Hyeon et Gyeong-Chul sont doubles, antithétiques. Physiquement, l'un et l'autre sont initialement des être humains; moralement, psychologiquement, ce sont des animaux monstrueux. Ils sont les artisans de leur propre destruction. Gyeong-Chul amorce la destruction morale de Soo-Hyeon, il le contamine. Ce dernier – sur le sentier de l'autodestruction – organise par la suite la régression du premier vers les stades les plus reculés de l'animalité en l'amputant physiquement de son apparence humaine. Ainsi, en plus de son aspect purement vengeur, la violence physique pratiquée sur les corps (l'éprouvante section du tendon) conduit à l'avilissement.
La mort à rapproché deux êtres à priori différents qui apprennent à se connaître au travers de leur déchéance. Joo-Yeon et l'enfant qu'elle porte (doublant la nature du sacrifice) est la matrice du lien de haine; lien entériné, scellé par le pacte de sang indirect. Leur chassé-croisé machiavélique n'a de cesse d'inverser les statuts: victime/bourreau, traqueur/traqué, homme de loi/hors la loi. Le diable est protéiforme, ne rendant de fait rien définitif.
La radicalité de leurs actions – allant crescendo dans la cruauté –, reflet de ce monde en proie au mal, éclipse tout autre individu ou institution. Ces derniers baignent dans l'impuissance et l'inaction. Le regard que porte le cinéaste sur ses contemporains est d'un pessimisme qui confine à l'excès. I Saw The Devil est empreint d'un nihilisme ardent. Les individus sont seuls et pour peu qu'ils se retrouvent dans des valeurs communes, celles-ci sont déviantes: pratique de la séquestration, de la torture et du cannibalisme. Soo-Hyeon s'acclimate à cette violence, l'assimile et la reproduit sans pour autant la comprendre. La séquence de l'auberge, véritable pandémonium, est synonyme pour lui de basculement. Les démons qu'il affronte et qu'il parvient à dominer dans cet enfer macabre, viennent renforcer l'ambiguïté de sa personne, « I see you don't look like a monster ». Son acclimatation, sa capacité à survivre en ce lieu le révèle peu à peu comme le véritable « devil », c'est-à-dire l'ange déchu (Soo-Hyeon à tout de l'homme sain d'esprit), être maléfique qui domine les autres démons (il les assujettit par la violence).
Il serait trop réducteur de cantonné le film à une simple débauche d'images macabres; à la simple rencontre violente de deux corps. Kim est un cinéaste privilégiant l'instant. Les évènements orientent les choix des individus et ce n'est que par le biais de ces aléas qu'ils se mettent à explorer des mondes informes. Chez le cinéaste, la forme met en exergue la monumentalité des bouleversements intérieurs. Lancés au galop dans l'action, ses personnages annihilent malgré eux toute lucidité, portés dans un élan qui n'a pour autre conséquence que de les égarer, les duper. Leur sort n'en est que plus funeste: Sun-Woo n'apprenait qu'à la fin qu'il ne pouvait obtenir ce qu'il désirait et ce quand bien même il soit parvenu à vaincre l'adversaire qui était en lui. La prise de conscience de Soo-Hyeon s'inscrit dans cette logique-ci: en sombrant dans le nihilisme pessimiste développé par Cioran, il finit seul, déshumanisé. La raison n'a pu triompher de la folie, implacable et barbare.
Plus rien n'a de sens, Soo-Hyeon est seul sur une trajectoire en ligne droite, perdu dans un néant appelé « incertitude ».
Informations sur le film :
- Réalisé par : Kim Jee-Woon
- Avec : Choi Min-Sik, Lee Byung-Hun, Jeon Gook-Hwan
- Genre : Thriller
- Durée du film : 2h24
- Origine : coréenne
- Sortie coréenne le : 10 août 2010
- Sortie française : 27 avril 2011 (à confirmer)
Le nouveau film du réalisateur de The Foul King, 2 Sœurs, A Bittersweet Life et plus recemment, The Good, The Bad, The Weird. Notons que le film a fait débat lors de sa sortie durant l'été, dans les salles coréennes. Jugé par la commission audiovisuelle sud-coréenne comme « portant gravement atteinte à la dignité humaine », le film de Kim Jee-Woon à nécessité quelques menues coupes afin de pouvoir être à l'affiche. Bien qu'apparemment légèrement allégé de son contenu, I Saw The Devil n'a pas échappé à une interdiction au moins de 18 ans.
Synopsis :
Gyeong-Chul est un dangereux psychopathe. Ses victimes sont toujours de sexe féminin. La police le traque depuis un long moment, mais faute de preuves, est incapable de l’attraper. Un soir, Joo-Yeon, la fille d’un chef de police à la retraite, tombe entre ses griffes. Son corps, démembré, est retrouvé en pleine campagne, dans l'eau d'une rivière. Fou de chagrin, son fiancé Soo-Hyeon, un agent secret, décide de traquer le meurtrier lui-même.
Critique : Dans le sillage du diable :
Kim Jee-Woon est-il de retour? Après The Good, The Bad, The Weird, (2008, présenté hors compétition au Festival de Cannes) neo-western cynique et référentiel aux allures d'exercice de style, le cinéaste coréen signe avec I Saw The Devil une sorte de champ du cygne du polar coréen – genre éculé depuis près d'une décennie au sein de la production cinématographique nationale – et à fortiori, du polar contemporain. À travers la lutte implacable et tortueuse entre deux individus socialement brisés, (un tueur psychopathe interprété de main de maitre par Choi Min-Sik et l'impeccable Lee Byung Hun en époux vengeur) Jee-Woon livre un film troublant et vertigineux.
Prolégomènes flirtant avec l'onirisme et paradoxalement, la barbarie la plus féroce, la mort de Joo-Yeon permet au cinéaste d'étayer par le biais de la mise en scène et la radicalité de la situation, le cheminement des protagonistes vers la cruauté la plus complète; un Eden de monstruosité. Se retrouve ici l'un des thèmes fondamentaux du cinéma de Kim Jee-Woon; celui de la porte étroite. Le royaume tant convoité de The Good, The Bad... était avant tout financier, alors que celui de A Bittersweet Life (2006, présenté en compétition au Festival de Cannes) s'inscrivait nettement plus dans la logique de I Saw The Devil. Sun-Woo cherchait à acquérir le bonheur; un bonheur dont l'inaccessibilité ne lui apparaissait qu'au moment même de sa mort sur un étroit sentier tâché de sang. Dans ce dernier long métrage, Soo-Hyeon (Lee Byung Hun) se jette corps et âme dans l'étroit sentier qu'arpente Jeong Gyeong-Chul (Choi Min-Sik) pour assouvir sa vengeance.
« It's just the beginning. Remember this. It's going to be more terrible. »
Le traitement des deux personnages principaux est tout aussi radical. Jee-Woon s'interroge sur la valeur de l'homme dans un monde abandonné au mal et à l'excès. Soo-Hyeon et Gyeong-Chul sont doubles, antithétiques. Physiquement, l'un et l'autre sont initialement des être humains; moralement, psychologiquement, ce sont des animaux monstrueux. Ils sont les artisans de leur propre destruction. Gyeong-Chul amorce la destruction morale de Soo-Hyeon, il le contamine. Ce dernier – sur le sentier de l'autodestruction – organise par la suite la régression du premier vers les stades les plus reculés de l'animalité en l'amputant physiquement de son apparence humaine. Ainsi, en plus de son aspect purement vengeur, la violence physique pratiquée sur les corps (l'éprouvante section du tendon) conduit à l'avilissement.
La mort à rapproché deux êtres à priori différents qui apprennent à se connaître au travers de leur déchéance. Joo-Yeon et l'enfant qu'elle porte (doublant la nature du sacrifice) est la matrice du lien de haine; lien entériné, scellé par le pacte de sang indirect. Leur chassé-croisé machiavélique n'a de cesse d'inverser les statuts: victime/bourreau, traqueur/traqué, homme de loi/hors la loi. Le diable est protéiforme, ne rendant de fait rien définitif.
La radicalité de leurs actions – allant crescendo dans la cruauté –, reflet de ce monde en proie au mal, éclipse tout autre individu ou institution. Ces derniers baignent dans l'impuissance et l'inaction. Le regard que porte le cinéaste sur ses contemporains est d'un pessimisme qui confine à l'excès. I Saw The Devil est empreint d'un nihilisme ardent. Les individus sont seuls et pour peu qu'ils se retrouvent dans des valeurs communes, celles-ci sont déviantes: pratique de la séquestration, de la torture et du cannibalisme. Soo-Hyeon s'acclimate à cette violence, l'assimile et la reproduit sans pour autant la comprendre. La séquence de l'auberge, véritable pandémonium, est synonyme pour lui de basculement. Les démons qu'il affronte et qu'il parvient à dominer dans cet enfer macabre, viennent renforcer l'ambiguïté de sa personne, « I see you don't look like a monster ». Son acclimatation, sa capacité à survivre en ce lieu le révèle peu à peu comme le véritable « devil », c'est-à-dire l'ange déchu (Soo-Hyeon à tout de l'homme sain d'esprit), être maléfique qui domine les autres démons (il les assujettit par la violence).
Il serait trop réducteur de cantonné le film à une simple débauche d'images macabres; à la simple rencontre violente de deux corps. Kim est un cinéaste privilégiant l'instant. Les évènements orientent les choix des individus et ce n'est que par le biais de ces aléas qu'ils se mettent à explorer des mondes informes. Chez le cinéaste, la forme met en exergue la monumentalité des bouleversements intérieurs. Lancés au galop dans l'action, ses personnages annihilent malgré eux toute lucidité, portés dans un élan qui n'a pour autre conséquence que de les égarer, les duper. Leur sort n'en est que plus funeste: Sun-Woo n'apprenait qu'à la fin qu'il ne pouvait obtenir ce qu'il désirait et ce quand bien même il soit parvenu à vaincre l'adversaire qui était en lui. La prise de conscience de Soo-Hyeon s'inscrit dans cette logique-ci: en sombrant dans le nihilisme pessimiste développé par Cioran, il finit seul, déshumanisé. La raison n'a pu triompher de la folie, implacable et barbare.
Plus rien n'a de sens, Soo-Hyeon est seul sur une trajectoire en ligne droite, perdu dans un néant appelé « incertitude ».