
Premièrement, parce que j'en avais envie, puis cela me tenais simplement a cœur.
Ensuite, il y a sûrement une part d'exaspération sur le rapport des "français" aux mangas, et particulièrement des bédéphiles.
En général le manga est traité comme la 5ème roue du carrosse de la BD, cantonné à la débilité, à la violence gratuite et au sexe (bon pour ce point il y‘a une partie de réalité), alors qu'il fait partie d'un genre, la BD, déjà considéré comme un sous-genre de littérature, une lecture pour enfants et relativement débilitante par une bonne frange de la population.
Exaspération par rapport à cela déjà, et puis par rapport au fait que sur les forums, on ne parle que de certains auteurs et de certaines séries, en délaissant les autres.
Exaspération d'entendre que Taniguchi sort du lot des auteurs manga parce qu'il fait plutôt de la bd européenne.
Exaspération devant le fait que pour beaucoup, en dehors d'Otomo, Miyasaki, Urasawa et Taniguchi, point de salut, par méconnaissance en général, mais aussi parce que les préjugés ont la vie dure...
Le monde d'Eden.
Les personnages d'Eden évoluent dans un monde ravagé par un virus rendant les hommes durs et cassants comme de la porcelaine. Le but premier en ces temps troublés est de survivre à n'importe quel prix, et pour ce faire tous les moyens sont bons: trafics, assassinats, implants cybernétiques pour remplacer les membres malades... les hommes tentent de faire leur petit bout de chemin dans cet univers dur et violent, entre cyberpunk, SF et vie contemporaine.
Hiroki Endo a trouvé là un mélange subtil et rare, particulièrement réaliste et travaillé, fouillé jusqu'à la moelle, et s'avère aussi à l'aise pour décrire des paysages désertiques (l'île du premier tome, les grandes étendues d'Amérique du Sud pour les suivants), et leur ambiance calme, contemplative, même pendant les scènes de combat, que des villes animées (à partir du tome 4). Ce talent se vérifie lorsqu'il s'agit de mélanger les genres. Eden est en effet un melting-pot subtil et cohérent de manga guerrier ultra réaliste, (notamment le tome 3, un véritable exercice de style en ce domaine), de cyber punk et de SF, auxquels sont ajoutées une ambiance de polar sur les derniers tomes, ainsi qu'une trame sentimentale en toile de fond mais si Hiroki Endo est un créateur d'univers de premier ordre, son talent s'affirme encore davantage lorsqu'il s'agit d'intégrer et de brosser ses personnages..
On ne peut pas vraiment dégager de personnage principal dans Eden, même si l'histoire semble se dérouler autour de la famille Ballade, et plus particulièrement d'Elia Ballade. Hiroki Endo nous plonge dans un maëlstrom de caractères, de vies totalement différentes, mais avec souvent un but commun: survivre. Au premier abord cyniques, désabusés, indifférents des horreurs qui les entourent, blasés, parfois, du fait de leur corps remplacé par du métal, ce sont en réalité de véritables ecorchés vifs, qui se défendent comme ils peuvent dans un monde qui, ils le savent pour l'avoir experimenté maintes fois, ne leur fera pas de cadeau. Ils se révèlent remplis d'émotions pleins d'un désir de vivre contrastant avec leur apparence froide et indifférente, et profondément humains. Il n'y a pas un seul personnage qui soit totalement négatif, ni un seul totalement positif. On navigue dans différents niveaux de gris, et le grand talent de Hiroki Endo est de nous les rendre tous touchants, mercenaires sanguinaires, prostituées junkies, traficants de drogues, cyborgs n'ayant plus grand chose d'humain, tous nous touchent, parfois nous bouleversent, tous ont leur histoire, largement dépeinte, on s'identifie à chacun d'eux parce que ce sont des hommes, tout simplement.
De ce fait, Eden s'avère débordant de vie et de fraîcheur, de sentiments humains surtout, son auteur réussit à mélanger récit de guerre, polar, récit sentimental, SF et cyberpunk avec bonheur, et réussit le tour de force de nous immerger totalement dans son monde, entre désespoir et volonté farouche de vivre.