Cyrano de Bergerac, d'Edmond Rostand
Résumé: Cyrano est un esprit libre et habile mais il est laid, très laid. Son nez, grand comme un cap, que dis-je, un cap, une péninsule, le défigure au point de lui faire renoncer à aimer. Pourtant, il tombe amoureux de sa cousine, la belle et précieuse Roxane. Il rencontre Christian, un très bel homme mais peu cultivé (n'ayant pas d'esprit), cadet dans son régiment, lui aussi amoureux de Roxane, et décide de l'aider à séduire la belle, en lui prêtant son habileté de langage. Car Roxane, tout beau que Christian est, veut qu'on la séduise avec de l'esprit...
Enfonçons les portes ouvertes, Cyrano est ma pièce de théâtre préférée (j'essaie moi même d'écrire des pièces de théâtre), et de très loin. Si l'on peut juger d'une pièce au nombre de scènes devenues cultes, aux nombres de répliques magnifiques, ou aux nombre d'interprétations qui en ont été faites, Cyrano est dans la cour des très grands.
Ecrite en 1897, la pièce est un succès immédiat. Historiquement, cela s'explique d'ailleurs, la France est encore traumatisée par la défaite de 1870 face à la Prusse, et la classe politique de l'époque n'est pas propre à inspirer confiance. Surgit ce personnage, si français, héros magnifique. Cyrano EST la France (de l'époque mais telle que la représente l'imagination). Il rumine son malheur, le sourire aux lèvres, s'amusant de ceux qui s'amusent de lui, mais d'une droiture d'esprit et d'actes qui l'honorent.
Les scènes cultes sont légions, et je ne peux que trop conseiller à ceux qui ne connaissent pas cette pièce, où à ceux qui n'ont vu que l'adaptation avec Depardieu (j'y reviendrais) d'en lire le texte intégral. Parmi les scènes mémorables, la tirade des nez, que Pyjama, dans un autre topic a aussi relevée mais dont je ne peux m'empêcher de la remettre ici:
On peut aussi noter, en vrac, tant elles sont légions (ceux qui connaissent la pièce les reconnaîtront) le duel en vers contre le Vicomte Valvert, la tirade de Cyrano sur son indépendance, la description du duel qu'il fait avec Christian le raillant sur son nez à chaque tirade, la scène du balcon de Roxane où il prend la place de Christian, la scène finale...Ah ! non ! c'est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire... Oh ! Dieu !... Bien des choses en somme.
En variant le ton, -par exemple, tenez :
Agressif : "Moi, monsieur, si j'avais un tel nez
Il faudrait sur-le-champ que je l'amputasse !"
Amical : "Mais il doit tremper dans votre tasse :
Pour boire, faites-vous fabriquer un Hanape !"
Descriptif : "C'est un roc!... C'est un pic!... C'est un cap!...
Que dis-je, c'est un cap?... C'est une péninsule!"
Curieux : "De quoi sert cette oblongue capsule ?
D'écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ?"
Gracieux : "Aimez-vous à ce point les oiseaux
Que paternellement vous vous préoccupâtes
De tendre ce perchoir à leurs petites pattes?"
Truculent : "Ca, monsieur, lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu'un voisin ne crie au feu de cheminée ?"
Prévenant : "Gardez-vous, votre tête entraînée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol !"
Tendre : "Faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane !"
Pédant : "L'animal seul, monsieur, qu'Aristophane
Appelle Hippocampéléphantocamélos
Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d'os !"
Cavalier : "Quoi, l'ami, ce croc est à la mode?
Pour pendre son chapeau, c'est vraiment très commode !"
Emphatique : "Aucun vent ne peut, nez magistral,
T'enrhumer tout entier, excepté le mistral !"
Dramatique : "C'est la mer Rouge quand il saigne !"
Admiratif : "Pour un parfumeur, qu'elle enseigne !"
Lyrique : "Est-ce une conque, êtes-vous un triton ?"
Naïf : "Ce monument, quand le visite-t-on ?"
Respectueux : "Souffrez, monsieur, qu'on vous salue,
C'est là ce qui s'appelle avoir pignon sur rue !"
Campagnard : "Hé, ardé ! C'est-y un nez ? Nanain !
c'est queuqu'navet géant ou ben queuqu'melon nain !"
Militaire : "Pointez contre cavalerie !"
Pratique : "Voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, monsieur, ce sera le gros lot !"
Enfin parodiant Pyrame en un sanglot:
"Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître
A détruit l'harmonie ! Il en rougit, le traître !"
- Voila ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit
Si vous aviez un peu de lettres et d'esprit :
Mais d'esprit, ô le plus lamentable des êtres,
Vous n'en eûtes jamais un atome, et de lettre
Vous n'avez que les trois qui forment le mot : sot !
Eussiez vous eu, d'ailleurs, l'invention qu'il faut
Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries,
Me servir toutes ces folles plaisanteries,
Que vous n'en eussiez pas articulé le quart
De la moitié du commencement d'une, car
Je me les sers moi-même, avec assez de verve,
Mais je ne permet pas qu'un autre me les serve.
Source:http://membres.lycos.fr/cultureg/Extrais/Cyrano.html
Sur Dailymotion, des extraits d'une vieille version de Cyrano avec Sorano sont disponibles, dont certaines des scènes susnommées dont voici les liens:
http://www.dailymotion.com/relevance/se ... 2_creation
http://www.dailymotion.com/relevance/se ... 2_creation
(début de la pièce)
http://www.dailymotion.com/relevance/se ... e_creation
(Révélation de son amour)
http://www.dailymotion.com/relevance/se ... c_creation
(Poème du pâtissier Ragueneau)
http://www.dailymotion.com/relevance/se ... c_creation
(Scène du balcon)
http://www.dailymotion.com/relevance/se ... c_creation
(Scène de l'écharpe de De Guiche)
Concernant la version de Depardieu, le texte est assez respecté, mais la mise en scène en fait parfois un peu trop, et Depardieu est un Cyrano énervé contre le monde entier. Je préfère le voir dans la version de Sorano, mélancolique, mais souriant, s'amusant de son malheur plutôt que de maudire le monde. Mais ça, c'est juste sur les adaptions. Le texte en lui même est magistral.
Que dire de plus? Les alexandrins apportent cette douce mélodie à un texte magnifique, qui plus est dans des situations d'actions (les pièces de Corneille ou Racine ont peu d'action, ou elle est suggérée, les textes étant du dialogue, c'est BEAUCOUP moins contraignant à écrire), mais elle sort toutefois du modèle classique d'unité de temps et de lieu. Les décors changent, il y beaucoup de personnages, ce qui rendent délicat son jeu fidèle au théâtre, certains passages ne sont pas aisés à comprendre à moins d'avoir un peu de culture théâtrale et/où historique. Mais dans l'ensemble, le texte est très lisible. La pièce de Rostand, je l'ai lu, et me découvre au nom de cet hurluberlu.