Le volume comprend d'un côté les quatre pans formant The Dark Knight Return, le comics qui présente le retour de Batman après dix ans d'inactivité et qui a par son traitement sombre et réaliste ainsi que sa vision du Joker été l'une des inspirations pour le film The Dark Knight de Nolan, et d'autre part aussi le controversé The Dark Knight Strike Again, nettement plus psychédélique et moins bien construit malgré certaines qualités.

Tout d'abord, un mot sur l'art. Si on feuillette le volume on peut-être carrément rebuté par le graphisme, qui n'a a première vue rien de séduisant. C'est Frank Miller qui est aux commandes, et ceux qui ont lu entre autre 300 savent ce que cela veut dire : des traits violents, des personnages anguleux et durs, aux membres parfois disproportionnés, frôlant parfois le grotesque. Il n'y en a pas moins une force certaine dans ses dessins, et si en feuilletant on peut être rebuté, à la lecture le graphisme s'intègre finalement bien à l'histoire et la sert avec efficacité. Certaines planches sont finalement étrangement belles quand on prend la peine de se pencher dessus.



La time-line à présent. Il n'y a aucun doute, on a affaire là à un univers alternatif comme DC comics sait si bien les faire. Dans The Dark Knight Return Bruce a bel et bien viré Dick (Robin I), Jason (Robin II) est mort des mains du Joker, et un peu plus tard (dans des circonstances qui seront en partie éclaircies dans The Dark Knight Strike Again) Bruce a raccroché sa cape. Tim n'est jamais devenu Robin III, Dick a complètement disparu de la scène, et l'ère des héros est finie. Des superhéros ne reste que Superman, au service du Gouvernement Américain dans la lutte contre le bloc communiste alors que le monde est au bord de la troisième guerre mondiale.
The Dark Knight Return commence donc dix ans après le départ de l'homme chauve-sourie. Nous sommes à la veille de la retraite du commissaire Gordon, et sans la présence de Batman, Gotham a inexorablement replongé dans le crime et est la proie d'un gang de malfaiteurs ultra-violents se faisant appeler les Mutans. Bruce Wayne, toujours milliardaire et à présent la soixantaine (très) bien conservée noie son inaction, l'appel de la nuit et les murmures de la chauve-souris dans l'alcool. Mais son obsession est la plus forte, et alors que les pics de violence sont au plus fort, que Gotham sombre dans le chaos, et que Harvey Dent aka Double Face présumé guéri, va être relâché de l'hôpital psychiatrique, Batman reprend finalement du service.
La suite est une histoire sombre et violente, magistralement racontée, de la venue d'une Robin 2.5 aux joutes d'opinion et autres émissions télévisées sur le retour du Chevalier Noir, en passant par la lutte contre Harvey Dent puis le Gang des Mutants, l'affrontement final avec le Joker, que le retour de Batman a tiré de dix ans de catatonie, et enfin une chasse a l'homme monstre lancée par le nouveau commissaire de police.
Tout le récit est entrelacés d'écrans télés, résonnant de la futilité des médias qui font leurs choux gras de la situation, alternants débats psychologique abscons sur Batman et micro-trotoires inutiles, relatant les pires horreurs avec le sourire et changeant d'avis comme de chemise sur Batman sans chercher les vrais coupables ni se poser les bonnes questions. Dans la préface Miller explique que cette vision féroce du pouvoir et de la presse était l'un des axes qui l'intéressait vraiment lorsqu'il a écrit cette histoire.

La voix de Bruce Wayne est l'autre force de TDKR, sombre et sarcastique, et pourtant plus heureux que jamais, il porte littéralement le récit. Reprendre le masque ne s'avère pas être une partie de plaisir, et sa narration est ponctuée de remarques sur ses muscles qui lui font mal, telle action qu'il aurait accomplie les yeux fermés auparavant... et l'attente constante d'une crise cardiaque ou d'un infarctus.
Son obsession est parfaitement bien rendue, et j'ai apprécié le fait qu'il ait tant besoin de croire en la réhabilitation de Dent, au fait que l'homme peut finalement surmonter ses obsessions, ses blessures psychologiques... J'ai toutefois regretté que Miller n'explicite pas plus sa position vis a vie des "fils de Batman", le gang ultra-violent s'inspirant de lui. Le fait qu'il les utilise à la fin comme armée privé est pragmatique, mais on sent ça et là des relents de fascisme plus ou moins fort (qui ne sont toutefois pas en contradiction avec le personnage sous sa plume, le Batman de Miller n'est pas homme à compromettre ou à faire les choses à moitié...) Et puis Batman garde ce petit côté tous les coups sont permis, sciemment vicieux de temps à autre, qui n'est pas désagréable.

La voix d'Alfred est également merveilleuse, émaillée de ces petits commentaires sarcastiques qui font que je l'adore.
Carrie -Robin- est l'une des bonnes surprise du récit , (et la preuve, s'il était besoin, que Batman a besoin de Robin, et que ces derniers apparaissent bel et bien spontanément quand on a besoin d'eux). Ca m'a fait beaucoup rire que Batman soit un peu a la ramasse avec le numérique et qu'elle ait réussi à pirater l'ordinateur de la batmobile. Et la scène ou Bruce est à moitié agonisant et qu'il la prend pour Dick...
Autre point, la fin du Joker (dans le "Tunnel of Love" d'un parc d'attraction, notez le sous entendu) est l'un moment frappant du récit, et la clôture de plusieurs décennies de lutte acharnée.
Un petit mot aussi sur la fin, et l'affrontement entre Clark et Bruce... On sait (et on sent) que Miller n'a pas grande sympathie pour Superman, mais j'ai malgré tout trouvé leurs interactions plutôt bonnes, avec le fossé idéologique grandissant entre les deux, la différence de moyens, d'objectifs... Comme on dit, cette fois c'est la bonne, et c'est un combat d'anthologie, même s'il est évidemment un peu déstabilisant et attristant de les voir tenter (et réussir finalement) de s'entretuer pour de bon. Je ne vous dit pas comment ça fini. ^^
Au final j'ai trouvé que The Return of The Dark Knigh mérite tout à fait sa réputation d'incontournable, non seulement pour la révolution dans la représentation du personnage, mais aussi tout simplement pour son histoire, sa narration, même si la vision que Miller a de Batman peut ne pas correspondre avec celle idéalisée que l'on aimerait garder.
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The Dark Knight Strike Again est une autre paire de manche, et s'il y a des bonnes choses dedans, il n'a pas grand chose a voir avec TDKR sur beaucoup de points. Les couleurs sont plus flashi, plus ouvertement numériques, et il y a un net côté WTF.
Le récit se passe trois ans après la "mort" de Bruce Wayne, l'Amérique a pris un virage totalitaire avec couvre-feu, société de sur-information et censure bien en place, et il y a de fortes suspicions que les apparitions publiques du président soit en fait un hologramme... Superman est a la botte du gouvernement, et personne n'écoute les cris d'alarme de Jimmy Olsen (comme le dit L, la liberté de la presse c'est génial tant que personne n'écoute...) L'un des thèmes du récit est que les héros sont les géants de ce monde, et que le peuple hait leur grandeur... Face à celà Green Lantern est parti, Superman a choisi le compromis et la "collaboration" (c'est en fait un peu plus compliqué), et Batman... est resté Batman.

Bruce a passé ces années-là à entraîner sa petite armée privée, dirigée sur le terrain par Robin qui entre temps temps devenue Catgirl, et décide que c'est l'heure de lancer la révolution... Ce qu'il fait en commençant à libérer les super-héros emprisonnés (Flash est utilisé comme hamster dans sa roue pour fournir le tiers de l'Amérique en électricité, la planche où ils le libèrent est terriblement frappante), bat le rappel pour ceux qui se sont retirés. La réaparition des superhéros va mettre le feu aux poudre, toujours sur fond de compte rendu médiatique circonstancié, futile et acerbe, et l'on découvre peu à peu que Brainiac et Lex Luthor tirent les ficelles à coup de chantage et de manipulation.

La narration est très hachée, et plus qu'une histoire de Batman, c'est presque une histoire sur la Justice League of América, ce qui implique une connaissance de base des personnages si on veut apprécier un minimum.
Un pan non négligeable concerne Superman et sa collaboration, qui est en fait due au fait que Brainiac tient tout ce qui reste de Krypton, la ville de Kantor, en otage, et qu'il tient a détourner les yeux de ses ennemies de la fille qu'il a eu avec Wonder Woman (si si ^^, on a même le droit à deux-trois belles planches de sexe aerien... épique je vous dit).
Et en arc secondaire, on a un wannabe Joker invulnérable qui tue les super-héros les uns après les autres, fini par essayer (et bien commencer) de faire la peau à Cassie avant d'être arrêté par Bruce, se révèle être Dick Grayson (aka Robin I) qui ne s'est jamais remis d'avoir été jeté de la bat-cave, dit à Bruce qu'il l'aimait et se voit répondre "et alors ?" avant de se faire exécuter manu-militatri.
... Si si, je vous jure, ça m'a fait un drôle de choc aussi quand j'ai lu ça. Mais d'un autre côté j'irais presque jusqu'à dire que c'est bien vu sur Dick et l'importance que Bruce à pour lui dans le canon, et que c'est une vision de son évolution certes très glauque, mais finalement en concordance avec les faits de cette terre alternative dans laquelle il s'est fait jeter par l'homme pour lequel il était prêt à mourir si besoin est. (Mais je vous l'accorde, la thérapie génique qui fait qu'on peut le découper en petits morceaux et qu'il ne meurt toujours pas est totalement tirée par les cheveux. Sans parler de sa logique de s'en prendre a des héros mineurs qui n'ont rien a voir avec sa croisade contre Bruce et Carrie... O_o )
Au final il y a des bonnes choses, mais The Dark Knight Strike Again est aussi plein d'incohérence, de caractérisations approximatives voir contradictoires, de personnages dont les motivations ne sont pas creusées et de divers choses qui font tilter. Il me semble que c'était aussi la rébellion personnelle de Miller face aux éditeurs et à toute censure éventuelle.
Ca reste bon, et les versions plus sombres et moins flatteuses des super-héros sont toujours bonnes à prendre, mais ce n'est certainement pas un indispensable.